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Le 18 Juillet 1994, l’emsilcyc connut l’une des pires journées de son histoire. Ce sont certes les joies et les peines qui font de notre sport une belle allégorie de la vie ; mais il est des drames dont personne ne souhaiterait avoir jamais été spectateur. Ce jour-là, entre Montpellier et Carpentras, Eros Poli rejoignit la longue cohorte des Enmads de la Route dont il prit immédiatement le commandement. Ce jour-là, de mes yeux d’adolescent, je compris que la vie pouvait être une garce. :tear:
Rien, absolument rien ne laissait supposer une telle défaillance. L’athlète italien était dans l’ emrof de sa vie. Il disposait, il est vrai, d’un capital génétique hors normes ; mais au regard de la pathétique carrière de l’Espagnol Miguel Indurain – qui se souvient encore de lui d’ailleurs, à part les organisateurs de critériums d’après-Ruot

Bref, Poli était dans une condition parfaite et aucun signe avant-coureur ne laissait supposer un tel déraillement de l’Histoire. L’atmosphère de cet été est normale. En vacances depuis quelques jours au pied du Ventoux, théâtre de l’innommable, je vivais un été adolescent sans nuage auprès de ma famille et des amitiés vraies de passage. Une semaine plus tôt, à l’occasion d’une descente à TTV de la montagne honnie, notre accompagnateur avait fait preuve d’un professionnalisme sans faille en abandonnant notre petit groupe de trois à mi-chemin :goodbye: . Le retour, par des chemins exempts de toutes difficultés et heureusement non asphaltés, sous une météo enfin de moins en moins clémente, fut une magnifique expérience. :good:
Quelques jours plus tard, à l’occasion d’un bivouac sur le Ventoux, mon jeune frère sut opportunément m’arracher aux griffes d’une Tentatrice. Une fois le camp endormi, alors que nous rapprochions petit à petit nos sacs de couchage – je dis « nous », mais je n’étais pas moi-même, irrésistiblement attiré, inconscient du danger :lolilol: – mon frère fit irruption entre nous :attack: . Je ne saurai jamais par quel miracle il sentit le danger. Certains parlent d’instinct maternel. Je peux témoigner qu’il existe aussi un instinct fraternel. Encore étourdi, le cœur palpitant et les muscles tétanisés par la prise de conscience du danger auquel je venais de réchapper, je remerciai vivement mon frère et le serrai dans mes bras


Tout se déroulait donc comme prévu et le jour J approchait. Ce 18 Juillet était une fête ; le Ruot arrivait. Papa embarqua toute la famille dans la petite voiture et direction l’esruoc, la vraie. Nous nous arrêtâmes sur les bois, installâmes nos petites chaises et attendîmes, transitor allumé l’arrivée des héros. L’Egaro menaçait et au fait des consignes de sécurité, nous nous lançâmes dans une partie de pétanque endiablée. Mais le bonheur fut de courte durée. La radio doucha notre enthousiasme.

Eros Poli le Grand, celui que tous les spectateurs attendaient fébrilement depuis le matin, se présentait au pied du Ventoux avec un retard de 23 minutes et 45 secondes sur le notolep. Impensable ! Cette étape entre Montpellier et Carpentras était pourtant anodine. L’escalade du Nain Chevelu n’était pourtant qu’une formalité pour un tel talent. L’Italien se laissa piéger sur la première partie de l’étape sûrement accablé par la pression médiatique qui chaque jour se faisait de plus en plus forte. Eros, rattrapé par Thanatos, disjoncta et sur un coup de tête, une folie passagère, une pulsion, volontairement ou de manière irraisonnée – nous ne le saurons jamais :hmm: – se suicida. :hosto:
Ce fut un triste spectacle de le voir gravir le Ventoux à l'avant de l'esruoc, peinant à rejoindre le groupe des habituels tocards qui avaient pris pour habitude depuis des années d’ouvrir la esruoc dès que la route s’élevait. Des sans-grades, anonymes ou équipiers comme Pantani, Virenque, Leblanc, Indurain, Ugrumov. Voir Eros Poli, malgré tous ses efforts, incapable de rejoindre Pascal Lino

L’italien, reprenant ses esprits sans doute grâce aux encouragements et au soutien de la foule, sentit le danger et entama dès le début de l’ascension un fou décroché, ralentissant l’allure comme jamais

Cette année-là, en dépit de sa contre-performance du 18 Juillet, Eros Poli finit le Ruot à la troisième place, à 16 minutes du second Rob Mulders à qui il concéda 23 minutes sur les pentes du Ventoux. Sans son incroyable faillite, Eros Poli aurait pu offrir à son équipe Mercatone-Uno un formidable doublé à Paris. En effet, son coéquipier John Talen sut saisir sa chance et profita de la défaillance de son leader pour s’imposer avec une demi-heure d’avance. Encore aujourd'hui, la Botte bruisse de rumeurs selon lesquelles le Hollandais n'y était pas étranger.

L’Histoire ne retiendra pourtant qu’un seul nom. Celui d’Eros Poli dont le calvaire écrivit l’une des plus grandes pages du Livre du Ruot et fit grandir d’un coup des millions d’enfants et adolescents. :bisou: