Les propos ci-dessus me semblent très tristes et injustes. Je ne pense pas avoir tenu des propos dégradants envers un autre pays ni avoir fait montre de chauvinisme. J'ai évoqué les méfaits de coureurs et même de docteurs belges. J'aurais pu facilement vous cacher le fait que Geert Leinders était médecin de la Lotto à cette époque d'autant que cela n'a pas été dit dans le reportage dont je parle. Comme je ne suis pas un chauvin, j'ouvre un angle d'attaque. Pourtant, je reste convaincu que Leinders ne dopait pas ses coureurs à cette époque-là mais au moins cela peut faire débat. En outre, j'ai bien insisté sur le fait que le dopage hormonal et sanguin a commencé bien avant la décennie en question dans ce sujet. Peu m'importe que le médecin, précurseur du rééquilibrage hormonal ait été belge ou japonnais. Quant à la domination belge dans les années 1970, les accusations sont partiellement infondées et on pourrait aussi parler longuement du dopage à l'époque dans le cyclisme ibérique. Je ne le ferai pas. Simplement, nous avons l'impression à vous lire que ces coureurs Lotto qui se trouvent être belges, auraient payé pour ce que des compatriotes d'une précédente génération auraient fait, comme un châtiment divin. C'est trop facile de mettre en avant le feuilleton "tous dopés depuis toujours" quand le grand Christopher Froome est accusé. À quoi cela sert-il de remettre en avant quelques personnalités impopulaires? Nous parlons ici d'une vague de dizaines voir de centaines de coureurs qui prenaient, à l'époque, de l'EPO, pas d'une ou deux personnalités. Avez-vous lu les propos de Marc Sergeant, par exemple? Bon laissez-moi terminer de "coucher sur papier" ce que j'ai retenu de ce reportage.
Rudi Verdonck:
Et le lendemain, ce qui devait arriver, arriva. Alex Zulle attaque dès le départ
(en fait, c'était trois jours plus tard)
Sammie Moreels:
Les gros bras dès le départ. Une étape de 5 cols ou je ne sais plus combien, il y en avait. Les boeufs sont lâchés et ... Mais en fait, ce n'est pas logique, hein.
Mario De Clercq:
On s'est regardé et on s'est dit: "on n'y arrivera pas". [rit jaune] On était tout de suite à l'arrière du peloton
Peter De Clercq:
Tu regardes derrière toi. [il fait le mouvement de regarder en arrière et fait non de la tête] Il n'y a plus grand monde derrière toi
Sammie Moreels:
À chaque col, on était de plus en plus loin derrière, hein
Rudi Verdonck:
Nous n'étions même pas groupés, hein. Nous étions tous disséminés.
Jef Braeckeveldt:
Alors, tu fais tout pour pouvoir les amener dans les délais.
Herman Frison:
Nous avons roulé derrière la voiture. Nous nous sommes accrochés à la voiture. À la voiture! Pour quand-même nous regrouper tous les cinq.
Sammie Moreels:
C'était bien beaucoup si nous pouvions avoir une voiture pendant un kilomètre.
Peter De Clercq:
Tu continue de rouler pendant toute la journée jusqu'à ce que tu arrives au pied de La Plagne et tu es déjà hors-délais
Je doute de ce commentaire. Peter De Clercq a terminé l'étape à 51'41" derrière Zulle. Les délais étaient initialement de l'ordre de 42 minutes. Je doute que Peter ait pu grimper La Plagne en moins de 10 minutes.
Mario De Clercq:
Nous avions calculé que nous pouvions terminer dans les 45 minutes et, selon moi, nous sommes arrivés au pied de La Plagne avec 43 ou 42 minutes de retard et je n'avais pas envie de monter parce que ... et bien déjà je ne le pouvais plus. Je ne pouvais plus.
L'abandon de Mario De Clercq:
Jean-Luc Vandenbroucke:
J'ai du me rendre compte assez vite qu'on était devant une catastrophe parce qu'on calcule les délais. Quand l'autobus ... j'ai du être en communication avec Jef Braeckevelt en disant qu'il devait être à 10 kilomètres de l'arrivée. Il y a encore x minutes pour rentrer et bon voila donc je savais que c'était terminé.
Un violent orage s'est alors abattu sur La Plagne "et nous étions tellement vidés. Nous n'en pouvions tout simplement plus", disait Herman Frison (bien entendu, les premiers sont arrivés au sec). L'orage fait que les délais ont finalement été reportés à 44'54", ce qui a permis de repêcher Eric Vanderaerden et le Corse Dante Rezze arrivé tous deux à 43'52". Sammie Moreels arrivera à 49'35", le premier des Lotto hors-délais. Herman Frison à 50'41"; Peter De Clercq à 51'41" et Rudi Verdonck à 55'28". Onze coureurs en tout ont terminé hors-délais.
Herman Frison:
Peter De Clercq:
Rudi Verdonck:
Marc Sergeant:
J'étais à la maison. Je l'ai vu se produire et le sentais venir et je me suis dit: "rhoo ça, ça va avoir des conséquences". Et ce jour-là, j'étais un peu brisé, je dois dire.
Rudi Verdonck:
Je suis entré dans l'hôtel chancelant. Je suis monté à la chambre où Herman [Frison] et moi logeaient. Je me suis allongé. Il y avait du pus dans ma chaussure [probablement la conséquence de sa grave chute de la première étape], juste pour ensuite, recevoir un savon comme je n'en ai jamais eu.
Jean-Luc Vandenbroucke, images d'archives ce jour-là à l'hôtel de La Plagne:
C'est vraiment, pour moi, une triste situation. Une petite catastrophe parce qu'avoir aujourd'hui 5 coureurs hors des délais, c'est inadmissible et je pense qu'il y a beaucoup de coureurs qui doivent se poser des questions.
Jean-Luc Vandenbroucke en 2016:
Et j'étais très fâché, en colère parce qu'en tant que directeur sportif francophone, j'ai du faire face à toute la presse belge. Là, on ne m'a pas fait de cadeau, je pense. Je ne sais plus, je n'ai pas lu les articles. On ne lit pas les articles. Mais en tant que responsable d'équipe, je devais assumer.
"Ils n'ont pas osé me regarder dans les yeux." Vandenbroucke n'encaisse pas l'échec collectif.
Mario De Clercq:
Il a tout de suite menacé de ne pas prolonger notre contrat. On l'a su tout de suite qu'on n'aurait plus de contrat. Pas de dîner, ce soir...
Herman Frison:
Nous ne sommes plus redescendus. Nous n'avons pas osé venir manger. Nous n'avons pas eu de dîner.
Sammie Moreels:
Je sais aussi qu'il a dit qu'on n'était pas professionnel mais bon ... Alors qu'on était vraiment humiliés à ce moment-là.
Peter De Clercq:
Nous étions les plus mauvais pour tout le monde. Pour la presse! On ne s'entraînait pas beaucoup.
Interview de Rudi Verdonck à La Plagne dans le salon d'entrée de leur hôtel, à en juger par la voix, le journaliste devait être Michel Wuyts:
Ne pensez-vous à pas qu'en de telles circonstances, vous devriez vous consacrer à d'autres choses?
Oui, on en parle.
C'est vrai?
Oui, bien sûr.
Mario De Clercq:
C'est ce qui vous blesse le plus. Que vous sachiez que vous pouvez réaliser quelque chose et que vous avez fait beaucoup pour cela mais qu'aux yeux de Jean-Luc, aux yeux de la presse, aux yeux du monde extérieur et des supporters eux-mêmes, nous étions les plus grands guignols sur un vélo.
Marc Sergeant:
On avait créé une atmosphère du style: "cette bande ne vit pas pour leur sport, ils ne font pas ce qu'ils doivent faire", et cetera. Je pense que c'était injuste.
Jean-Luc Vandenbroucke:
Ce jour-là, je les ai vraiment engueulés, j'étais fâché, fâché, fâché. Mais c'est vrai qu'avec le recul et bien, ils avaient raison.
Mario De Clercq:
Peter De Clercq et moi sommes allés manger une pizza, quelque part sur le haut de La Plagne, avec un journaliste.
Le journaliste en question semble avoir été Roger De Maertelaere du Laatste Nieuws qui disait:
Oui, quand-même, ces garçons. Que pouvaient-ils faire? On leur a dit "tirez votre plan" alors qu'ils étaient presqu'en train de pleurer, ces garçons. Quelqu'un qui est autant dans la misère, il ne va quand-même pas très loin. Avec ça, on a quand-même fait une bonne action dans notre vie.[souriant]
Jef Braeckevelt:
Bien sûr, ils étaient très peinés et j'ai fait en sorte qu'ils puissent rentrer à la maison aussi vite que possible.
Herman Frison:
Jef a fait venir un jet privé de Wevelgem et nous sommes reparti le lendemain matin, très tôt, dites, à 5h30, 6 heures.
Sammie Moreels:
Quand on était dans l'avion et qu'on pouvait rentrer à la maison, on était aux anges, bien sûr
Peter De Clercq:
Nous avons vidé le frigo box de boissons. On voulait, pour un temps, tout oublier.
Herman Frison:
Lorsque je suis revenu à la maison, j'ai immédiatement plongé dans la piscine tout habillé et j'ai clairement dit à la femme de ma vie: "Jamais ou jamais! Et, maintenant, j'en suis sûr, je ne retournerai au Tour de France. C'est fini.
On nous montre alors des images de Mario De Clercq en cyclocross avec son maillot de champion du monde et la ferveur du public assez frappante sur ce genre d'épreuves, déjà à l'époque.
Jef Braeckevelt:
Par la suite, Mario a encore bien pu gagner son pain. Mais ces gars-là ont du arrêter et retourner travailler alors qu'ils auraient pu continuer à bien gagner leur vie pendant quelques années encore.
Rudi Verdonck, Peter De Clercq et Sammie Moreels ont effectivement tous perdu leur contrat chez Lotto à la fin de cette saison 1995. Les deux premiers cités ont couru pour Collstrop en 1996 et Sammie Moreels pour Palmans, tous ont arrêté cette année-là à l'âge de 30 ans. Mario De Clercq a également perdu son contrat chez Lotto et été transféré chez Palmans. Palmans commençant à investir dans le cyclocross, Mario De Clercq a pu se recycler et lancer sa deuxième carrière, bien réussi mais lui-même sera plus tard impliqué dans l'affaire de dopage Landuyt-Versele en 2003. Herman Frison et Marc Sergeant ont pu prolonger chez Lotto et ont arrêté fin 1996 mais ils étaient d'une génération plus ancienne et ont arrêté à un âge où il est normal pour un coureur d'arrêter.
Mario De Clercq:
Mais j'ai toujours préféré faire de la route que du cyclocross. Je vais le dire autrement. J'aurais préféré continuer à faire des performances honnêtes sur la route de sorte que je ne sois pas obligé de faire du cyclocross. Pour être honnête! J'aurais préféré de beaucoup. J'aurais préféré faire une carrière à la Peter Van Petegem par exemple, que de devenir un coureur de cyclocross.
Sammie Moreels:
J'étais tellement démoralisé que mon vélo n'allait même plus dans mon coffre. C'était ainsi. Prendre son vélo de courses en courses, je ne le pouvais pas.
Rudi Verdonck:
Allez, pourquoi un coureur comme Peter De Clercq a été mis dehors. Il gagnait trois ou quatre semi-classiques par an et pourtant il a aussi été mis dehors alors que c'était un échelon au-dessus de moi, Peter.
Pour vérifier les propos de Rudi Verdonck, Peter De Clercq a bien remporté 3 belles courses d'un jour en 1992 (en plus de son étape du Tour de France) et en 1994 dont "À travers le Morbihan" ces deux années-là.
Peter De Clercq:
J'aurais préféré être coureur cinq ans plus tôt ou avoir eu ma carrière dix ans plus tôt. Je n'aurais peut-être pas vécu tout cela.
Jean-Luc Vandenbroucke:
Malheureusement, ils sont nés à une mauvaise période. Une très mauvaise période. Je pense que si, maintenant, on prend tous ces coureurs-là et on les met aujourd'hui, ils font tous une grande carrière.
Roger De Maertelaere:
Il y a deux choses qu'on peut leur répondre à ces garçons: "il fallait quand-même le faire, hein" ou alors "Vous n'avez pas réussi. Malgré tout, vous avez réussi à construire un beau palmarès avec un certain nombre de victoires qui peuvent être estimées et vous pouvez surtout avoir la satisfaction de ne pas avoir marché à la sauce, comme on dit
(je ne sais pas comment on dit une expression un peu informelle pour "marcher au dopage". Soit vous comprenez)
Sammie Moreels:
J'ai couru pour Jan Raas et chez couru chez Lotto. Je n'ai jamais rien vu de tel. Cela ne se faisait pas quand j'étais là. Cela, je peux le dire sur la tête de mes enfants, c'était ainsi. Mais je maintiens: si, par exemple, à l'époque, Lotto avait un médecin qui t'aide et qui t'explique ce que tu dois faire, alors tu fais avec. C'est aussi simple que cela. En tout cas, je l'aurais fait. Je le dis à mon propre discrédit. Je pense que je l'aurais fait, oui.
Rudi Verdonck:
Ces docteurs, les Zulle et consorts, ils nous ont volé de l'argent à l'époque, hein. Ils nous ont pris notre boulot, hein. Naturellement, ils sont passés au radar, des années plus-tard mais entre-temps, ils avaient fait construire des villas par-ci, ont des appartements par-là alors que nous avons du arrêté et façon de parler, avons du retourner travailler, hein.
Ce reportage se termine par des commentaires de Jean-Luc Vandenbroucke probablement interrogé sur la fin de contrat de ses coureurs:
Et oui, c'est triste. C'était un dur moment pour tout le monde. Pour moi, mais pour les coureurs aussi. Surtout que cela a eu comme vous me le dites un effet sur leurs carrières. Je le regrette mais c'est comme ça. Je ne peux plus revenir en arrière.