Mercredi 9 juillet 2014. Jusque-là raillé pour ses raids de grande aventure brisés par quelque quatrième couteau surgi du néant, ou ses succès arrachés, dit-on, à une concurrence qualifiée d'étriquée, ou encore son style poussif, un homme a rendez-vous avec son destin. Lui, le Sicilien ombrageux à la peau tannée par le soleil méditerranéen, lui dont la svelte silhouette épouse comme une ombre les interminables pentes des plus hauts cols européens, lui qui a soumis tant et tant de ces cols non pas dans leur versant ascendant mais descendant, en sublime artificier, en oiseau de proie, avec la majesté indolente d'un point de fuite, oui, c'est cet homme qui se révèle dans le bourbier flamand proposé ce jour-là. L'image dit tout : les yeux fermés, Vincenzo Nibali s'avance avec la plus froide détermination du monde vers la réalisation de la Prophétie. Rien ne pouvait l'arrêter, et son corps ceint de lumière et du bleu délavé des ciels purs avalait un à un les morceaux de terre arrachée qui se succédaient dans une improbable liturgie. Ni la pierre, froide et huileuse, parsemée en petits blocs acérés comme autant d'épines sur le front du Christ, ni la pluie, torrents implacables jetés à la figure de ces pantins désarticulés comme pour laver les âmes les plus souillées d'entre eux, rien, absolument rien ne pouvait stopper cette chevauchée héroïque. Se permettant même le luxe de désarçonner les bûcherons friands de ces paysages apocalyptiques, Vincenzo Nibali étire comme une guirlande la file des prétendants au sacre suprême sans jamais se retourner, avec pour verbe le mouvement ininterrompu de ses cuisses. Voyez cette pointe de lassitude dans le regard ! Elle n'est pas abandon. Sinon l'abandon à la Prophétie. Elle dit tout, de cet acteur écrasé par le défi comme ont pu l'être tant et tant de ces héros mythologiques dont on se ressasse les exploits entre crainte et envie, élu d'une cause qui le dépasse mais qui se magnifie, malgré tout. Car la Prophétie est la Vie, jamais choisie mais qui se doit d'être honorée à sa juste valeur. Alors il avance, inexorablement, vers l'accomplissent de son destin. Déjouant tous les pronostics. Levant grand les bras à l'espérance folle qu'il a répandu sur les routes, cette folle journée-là, qui fût bien davantage qu'un moment de sport. Ce jour-là, Vincenzo Nibali était un poème.
Nous sommes les Tonton Tapis et nous roulons pour gagner.