Si le cyclisme breton avait déjà reçu ses lettres de noblesse avant-guerre avec des coureurs comme Lucien Petit-Breton, Paul Le Drogo, ou Léon Le Calvez, c’est avec Jean Robic et surtout avec Louison Bobet, premier vainqueur de trois Tours de France consécutifs, que la Bretagne est devenue la terre privilégiée du vélo en France. Avant l’avènement de Bernard Hinault, Bobet a été le principal champion breton de cette lignée. Sa rivalité avec Jean Robic fut par la suite éclipsée par celle qui mit aux prises Jacques Anquetil à Raymond Poulidor, mais le vainqueur du Tour 1947 et celui des éditions 1953 à 1955 se détestaient. Le trouvant pleurnichard, affecté, Robic baptisa son rival « Louisette Bonbon », un sobriquet qui séduisit le peloton, prompt à qualifier le fils de boulanger de Saint-Méen de « pleureuse ». Il est vrai que Louison Bobet et sa souffrance ont donné au Tour de France quelques-unes de ses plus belles images pieuses. Décrit comme « hypernerveux » par son frère Jean, il eut pendant toute sa carrière une santé délicate, une impétuosité qui lui joua des tours, et de multiples incidents mécaniques qui brisèrent son élan. Handicapé par de nombreuses blessures à la selle, au point de devoir subir une opération vitale fin 1955, il eut l’intelligence d’identifier ces lacunes et de les corriger. C’est ainsi qu’il s’inspira des méthodes d’entraînement de Fausto Coppi, qui fut son ami et rival le plus proche, et prit à son service un médecin et un soigneur attitré, Raymond Le Bert, qui sut calmer ses bobos au corps et à l’âme. Déjà amateur de talent, il se révèle dès son premier Tour de France, celui que Robic enlève en 1947, en se plaçant au service de René Vietto. En 1948, il remporte deux étapes, porte le Maillot Jaune pendant plus d’une semaine, mais cède sous les banderilles de Gino Bartali et échoue au pied du podium. Le légendaire Alfredo Binda, qui dirige alors l’équipe italienne, assure que, sous sa coupe, ce jeune Français impulsif aurait remporté l’épreuve. Il lui faudra encore cinq ans. Les pépins de santé (furoncles, indurations, angines) se multiplient, et s’il patiente en s’adjugeant Milan-San Remo ou le Tour de Lombardie en 1951, le Tour comme le Giro semblent se refuser à lui. Tout rentre dans l’ordre en 1953 où, toujours diminué par ses éternelles douleurs à la selle, il l’emporte enfin au prix d’une belle empoignade avec ses compatriotes et rivaux Jean Robic et Jean Malléjac. Si cette victoire est une libération, 1954 est l’année de la consécration. C’est encore dans l’ascension de l’Izoard que Louison Bobet assure sa victoire et musèle ses deux adversaires les plus proches, Gilbert Bauvin et le Suisse Ferdi Kübler. Moins d’un mois plus tard, le voilà champion du monde à Solingen, en Allemagne. Avec le temps, le Breton a appris à temporiser, à calculer, à frapper juste : c’est avec cette tactique qu’il parvient à contenir Charly Gaul et Jean Brankart dans l’édition 1955. Au parc des Princes, il effectue un tour d’honneur avec le Belge Philippe Thys, le seul triple vainqueur avant lui. Le déclin s’amorce avec cette opération de 1955. Louison Bobet signe encore des exploits retentissants, comme une victoire au sprint dans Paris-Roubaix en 1956 devant Rik Van Steenbergen, mais sa forme est trop irrégulière. S’il échoue d’un rien dans sa conquête du Tour d’Italie en 1957 face à Gastone Nencini, il renonce aux éditions 1956 et 1957 du Tour de France. En 1958, on le voit encore à l’attaque dans l’Izoard, comme aux plus belles années, mais il ne termine que septième et premier Français. Son dernier Tour, en 1959, il l’achève au sommet de l’Iseran, qu’il a tenu à gravir jusqu’au bout. On passe un imperméable sur ses épaules, Gino Bartali, devenu suiveur, récupère son vélo. La course dit adieu à l’un de ses plus beaux héros. Un accident de la route fin 1961 met un terme définitif à sa carrière. La reconversion sera aussi exemplaire : Louison Bobet lance la vogue de la thalassothérapie à Quiberon puis ouvre un autre établissement à Biarritz, où un cancer l’emporte en 1983.