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Du haut de ses 190 centimètres dégingandés, Mathew Hayman est un \"vieux\" coureur, qui aura bientôt 38 ans le 20 avril 2016. Il compte 15 années professionnelles derrière lui. Il débute chez Rabobank, puis intègre la Sky en 2010, pour vraisemblablement terminer sa carrière chez Orica Greenedge, qu'il intègre en 2013.
Sa puissance et ses talents de rouleur infatigable lui valurent d'emmener régulièrement les sprints de ses leaders sur les plus grandes courses.
A l'occasion, il endossait lui-même le rôle de sprinteur sur les courses de moindre importance.
Quelques victoires professionnelles à son palmarès, peu marquantes, dont un Tour de Saxe en 2005 et un Paris-Bourges en 2011.
Un équipier honnête, utile, mais sans \"grande envergure\". Une carrière plutôt passée dans l'ombre de ses leaders...
Mais il y a un type de courses qui intéresse plus particulièrement Hayman, et sur lesquelles il peut mettre davantage en valeur ses caractéristiques physiques: les classiques pavées.
Entre 2005 et 2016, il va régulièrement accrocher quelques placettes sur les flandriennes: 6 top10, dont un podium, sur Dwars Door Vlaanderen (À travers la Flandre), 2 top10 sur le Het Nieuwsblad et un podium sur Gent-Wevelgem. Pas mal quand meme pour ce coureur originaire du pays des kangourous et des koalas!
Mais zéro victoire...
Quant au Tour des Flandres, sa grande carcasse n'y est pas adaptée, avec cette succession de monts aux pourcentages meurtriers. Il y décrochera tout de même une 13ème place en 2010, dans un groupe réglé par Tyler Farrar (5ème), à 2'35\" de Spartacus.
Mais la course préférée de Mathew Hayman, celle qui le fait rêver, celle pour laquelle il se prépare chaque année avec une ambition toujours plus grande, notamment grâce à l'expérience qu'il y a engrangée, c'est Paris-Roubaix!
Depuis 2002, il n'a manqué aucune édition, et les a toutes terminées!
Ses meilleurs résultats sont une 10ème et une 8ème places, décrochées en 2011 et 2012.
En 2016, Mathew Hayman attaque donc sa 15ème campagne de flandriennes. Comme chaque année, sa préparation est optimale en vue de ces courses pavées, avec en point d'orgue une 15ème participation consécutive à la Reine des Classiques.
Il entame donc sa campagne avec le Het Nieuwsblad le 27 février. Et là...\"c'est le drame\": une chute, qui le contraint non seulement à l'abandon, mais surtout une fracture du radius, qui met pour ainsi dire un terme à ses ambitions sur les flandriennes 2016.
Sauf que Hayman renonce...à renoncer.
Plutôt que de rester au repos à regarder les classiques sur son canapé, Hayman s'impose deux séances par jour d'une heure et demi chacune sur home-trainer, avec le progamme Zwift (course virtuelle) qui lui permet de se concentrer véritablement sur son effort.
Chaque jour, il descend dans son garage et enfourche son home-trainer. Il installe un escabeau pour y poser son bras douloureux, ne pouvant supporter la position normale.
Le 2 avril, soit 5 semaines après sa chute et sa fracture, il est de retour sur la route et s'aligne sur le GP Miguel Indurain.
Huit jours plus tard, il se réjouit de courir son 15ème Paris-Roubaix.
Cette édition réunit tous les monstres flandriens: Boonen, Cancellara, Sagan, Vanmarcke, Kristoff...
Hayman a l'ambition de prendre l'échappée, pensant que c'est là sa seule chance de faire un résultat. Cependant, il n'essaie pas vraiment de sortir du peloton. La seule fois où il essaie de prendre l'échappée...c'est la bonne! (KM 75)
Un groupe de 16 coureurs, avec notamment Chavanel et la révélation flandrienne de l'année, l'espagnol Erviti, entrent dans le premier secteur pavé avec une minute d'avance.
Dans le secteur de Maing (KM 127), l'échappée compte 3'50 d'avance.
Une chute va alors scinder le peloton en deux: Cancellara, Sagan et Kristoff sont piégés. Devant, un petit groupe avec notamment Boonen, Tony Martin, Stannard, Boassen Hagen et Vanmarcke, embraye.
C'est alors le début d'une course-poursuite infernale entre ce petit groupe et le peloton des piégés. L'écart oscillera en permanence entre 30\" et 1'30\", jamais au-delà.
Devant, Hayman se sent bien et enchaîne les secteurs sans problème. Il va même tenter de partir en solitaire au KM 175, mais sa fuite ne durera que quelques minutes.
L'échappée est finalement reprise au KM 190. Erviti et Hayman sont les seuls à pouvoir s'accrocher à ce groupe de costauds, qui compte notamment 4 coureurs de la Sky. La course est fabuleuse, le rythme est effréné, il n'y a aucun temps mort. Et pour cause: le groupe de Sagan et Cancellara est revenu à moins de 40\"!
C'est alors que, quasiment coup sur coup, Puccio, Moscon et Rowe vont au tapis, dans des virages pavés, laissant le dernier Sky, Stannard, aux prises avec ce groupe qui commence à se réduire considérablement.
À 50km de l'arrivée, Cancellara chute dans le secteur de Mons-en-Pévèle, c'est fini pour lui. Sagan, avec le maillot de champion du monde sur le dos, évite la chute, au prix d'une invraisemblable acrobatie!
À l'avant, Rowe est revenu après sa chute et se met au service total de Stannard.
Au fil des kilomètres, le groupe de devant va perdre des éléments un à un, ne laissant plus que 5 coureurs aux avant-postes: Boonen, Stannard, Boasson Hagen, Vanmarcke...et Hayman qui continue de s'accrocher, alors qu'il est devant depuis 160km.
À l'entrée du Carrefour de l'Arbre, Hayman se fait tasser par Stannard à l'extérieur du virage, et perd le contact. Ils ne sont plus que 4 et c'est Vanmarcke qui place une attaque terrible, en prenant de gros risques dans les virages. Vanmarcke écrase les pédales mais ne parvient pas à creuser suffisamment.
Et là, de manière impensable, tel un fantôme, Hayman revient et raccroche le groupe!
La course est déjà fantastique, mais les 6 derniers kilomètres vont être un feu d'artifice absolument ahurissant!
Stannard est le premier à attaquer en partant de l'arrière, mais échoue.
Dans la longue ligne droite qui mène au dernier secteur pavé symbolique de Roubaix, c'est Hayman qui tente son va-tout, rapidement contré par Boasson Hagen. Mais Boonen veille au grain.
Vanmarcke part alors en facteur puis accélère violemment. Boonen revient encore, et contre, mais Boassen Hagen ramène rapidement le groupe.
Les mecs sont morts, ils sont à fond depuis 130km, mais ils trouvent encore les ressources de s'en mettre plein la tête!
Stannard place alors un contre énorme, et il faudra que Boasson Hagen, Vanmarcke et Boonen s'emploient tour à tour pour rejoindre le Britannique. Hayman reste gentiment à l'arrière du groupe.
Stannard repris, Boonen contre immédiatement mais Boasson Hagen part à sa poursuite, suivi de Hayman! Sur le relais, Boassen Hagen perd la roue de Hayman qui part seul à la poursuite de Tommeke. Derrière, Stannard et Vanmarcke semblent avoir abdiqué.
Hayman revient comme une bombe et contre Boonen!
Ce dernier va alors littéralement se dépouiller pour revenir sur l'Australien. Par deux fois, il doit se relever de sa selle pour tenter d'accélérer et reprendre Hayman. Le Belge, à l'agonie, parvient finalement à rentrer. Les 3 autres étant hors-jeu, Boonen n'a alors jamais été aussi près d'une 5ème victoire à Roubaix, ce qui constituerait un record unique.
Il ne reste que quelques hectomètres avant l'entrée du Vélodrome.
Mais.....voilà que Vanmarcke revient sur le duo en entrant sur la piste. Hayman est déjà très content de pouvoir jouer un podium.
Sauf que, à un tour de l'arrivée, personne ne veut emmener, et Boasson Hagen et Stannard font alors leur retour. Ce sera donc un sprint à 5...
Boonen va tout faire pour contrôler et contenir ses adversaires, mais il ne peut empêcher l'attaque de Hayman dans le dernier virage, qui lance le sprint.
\"C'est alors que j'ai vu la pancarte qui annonce 200m. Je me suis dit que c'était loin...\", déclarera Hayman. Boonen se retrouve enfermé mais s'extirpe à l'entrée de la dernière ligne droite.
Hayman donne tout ce qu'il a dans ce sprint final, la tête dans le creux de l'aisselle pour voir la roue de Boonen se rapprocher....sans jamais le dépasser.
Avec un vélo d'avance, Hayman lève les bras au ciel!
Beaucoup regretteront que Boonen n'ait pu gagner Paris-Roubaix une 5ème fois. Pour ma part, je venais d'assister à une course légendaire, la plus belle qu'il m'ait jamais été donné de voir!
Mon coeur battait à 100 à l'heure. Mes larmes ont coulé.
Le lendemain, je découvre cette photo d'Hayman dans son garage, et son petit commentaire:
\"J'avais un peu honte de cette photo. Entre stupidité et dévouement, la frontière est mince.\"
Comment croire que ce type, dégoûté de sa chute à l'orée de ses courses préférées, s'entrainant dans son garage, accoudé sur un escabeau, pourrait faire une telle course? Qu'il irait chercher, devant sa femme, son fils, ses parents (ayant exceptionnellement fait le voyage depuis l'Australie), son frère (qui bosse tellement qu'il ne se déplace presque jamais), la quête de toute une vie, son Graal, en battant Boonen? C'est impensable.
Cette photo a pour moi définitivement scellé la légende autour de cette fabuleuse édition.
Le surlendemain, je découvre la vidéo d'Orica: les DS, dans leurs voitures, qui prient puis exultent; l'épouse de Hayman, sur le Vélodrome, qui raconte l'arrivée et, emplie d'émotion, secoue le bras de son fils comme un prunier; Hayman, incrédule, qui demande à un de ses équipiers
\"Non c'est pas vrai, c'est une session de home trainer, n'est-ce pas?\"....
Mes larmes ont encore coulé.
Même des semaines après, je repense souvent à cette course. Je n'oublierai jamais.