1 - Paris-Roubaix
Un anachronisme, un voyage, une épopée. Dans un sport que certains admirent depuis des décennies, et qui n'a plus grand-chose à voir avec celui des forçats de la route, Paris-Roubaix est une madeleine de Proust.
C'est un souvenir d'une époque lointaine où le talent devait forcément se conjuguer avec l'imparfait revêtement des chaussées... Quand il y avait une chaussée.
Si tant de coureurs veulent la courir, c'est qu'il y a une raison. Ils ont le sentiment d'appartenir à la famille du vélo, celle dont les ancêtres avaient des boyaux autour du thorax. Ils ressemblaient à des aviateurs avec leurs lunettes particulières. Aujourd'hui ils ressemblent plus à des hommes-sandwichs. Mais l'effort reste bien similaire.
Et surtout, encore et toujours, ce qui fait l'unicité de Paris-Roubaix : elle accouche d'une vérité indéniable, ou d'une injustice crasse. Elle est sublime autant que répugnante. Ici, les coureurs sont avant tout des hommes qui essaient de filer droit entre les assauts du destin. Ils savent qu'ils jouent contre plus fort, mais ils essaient.
Autant de dégâts alors qu'il n'y a pas 100 mètres de montée, c'est aussi une chose unique dans la saison.
2 - Tour des Flandres
La grand messe ! Une intensité du début à la fin, des corps chahutés et secoués par les pavés, là aussi, mais en ajoutant le piment du relief. Un ruban coloré dans la campagne flamande, des coureurs arrêtés comme des Sam Bennett en montagne, par 200m d'altitude ...
L'impression inamovible qu'il faut passer par chaque village, chaque ferme, et qu'il faut y passer à plusieurs reprises, une fois par ici, une fois par là. On se demande si les lâchés sont moins forts ou s'ils sont juste désorientés. Certains se perdent dans la géographie cycliste, alors que d'autres entrent dans l'histoire de leur sport.
Comme déjà mentionné par certains, l'organisation porte atteinte à ce monument en établissant un circuit, qui en plus ne passe pas par les meilleurs monts. Comble du sacrilège, il n'y a plus le mur de Grammont. Un monument c'est pourtant ça : des adaptations parfois, des nouveautés de temps en temps, mais un respect des lieux emblématiques. On n'imagine pas la trouée d'Arenberg disparaître de Paris-Roubaix par choix. C'est pourtant ce qu'ils ont fait avec le Mur de Grammont.
3 - Tour de Lombardie
Le chant du cygne de la saison cycliste. Le dernier chef-d'œuvre avant d'hiberner et de rêver à de nouveaux exploits. Il Lombardia, c'est aussi beau que dur. Ce sont les derniers cols au milieu d'une végétation mordorée. Certains regrettent une adversité bien moindre que plus tôt dans l'année. Peut-être. Ceux qui sont là n'en sont que plus méritants. C'est le rappel inaltérable qu'une saison de vélo se termine en octobre, pas avant. Le parcours est somptueux, et ne laisse pas de répit. Le fait de le faire une fois dans un sens, une fois dans l'autre ajoute à sa particularité. Une des rares occasions pour des grimpeurs de s'illustrer sur une course d'un jour.
4 - Liège-Bastogne-Liège
L'aller-retour le plus célèbre avec Paris-Brest-Paris. Là aussi, ça grimpe. Le décor est différent et bien plus austère. Les forêts ardennaises abritent jalousement leurs champions. Elles les relâchent parfois, isolés et solitaires ou par petites grappes. Elles les malmènent sous des températures étranges à ce moment de l'année. On dit adieu à un printemps de classiques. Peut-être pour ça qu'on veut geler le moment (1980, mais pas que) L'enchaînement des difficultés fait frémir et l'on se trouve à la croisée des chemins. On y voit des classicmen endurants et durs au mal, qui croisent le fer avec des coureurs par étapes qui viennent de se réveiller.
Un bémol pour ce monument désormais : un scénario bien trop prévisible. Des bosses escamotées depuis de nombreuses années, voire décennies. Depuis combien de temps ne s'est-il rien passé dans la trilogie pourtant idéale Wanne-Stockeu-Haute-Levée ?
5 - Milan-San Remo
Une distance qui rend cette course unique dans l'année. La descente vers la Méditerranée, longue procession silencieuse où rien ne se passe.
Cela fait penser aux préparatifs des réveillons. On est là, on est ensemble, on s'ennuie presque et l'on s'interroge sur le bien-fondé d'une telle occasion. Et pourtant, tout à l'heure, ce sera le feu d'artifice, ce sera la fête, ce seront des souvenirs intenses et des moments mémorables. Mais ça, ce sera tout à l'heure.
Avant, il faudra faire preuve de constance, s'échauffer sur des capi insignifiants qui pourtant nous diront si on a les jambes ou pas. Et puis il faudra se réveiller et enlever toutes les couches superflues. Rester soudés avec les copains pour se placer. Jouer des coudes au bas de la Cipressa. En haut il faudra passer sous cette porte médiévale tellement étroite. Elle marque le début de la fin. Ou la fin du début, plutôt.
A partir de là, c'est une intensité que l'on retrouve à quelques moments de l'année : avant d'entrer sur Arenberg ou le Carrefour de l'Arbre. Dans les quelques kilomètres qui précèdent le Bourg-d'Oisans un jour de juillet, et évidemment, sur les quelques kilomètres du Poggio. Un tel "switch", un tel dédoublement de personnalité, si brutal, c'est unique dans l'année.
L'arrivée en pleine ville dans une effervescence toute italienne contribue aussi à la beauté du moment.