De l'Ariège aux Hautes-Pyrénées : les cols et leur faune endémique.
Certains jugent de la difficulté d'une étape à l'ascension la plus difficile qu'elle comporte. Ils se trompent. C'est souvent à la lumière de l'ascension la plus accessible du jour que l'on peut anticiper la souffrance de ceux qui poseront leurs roues sur cet asphalte qui se cabre.
C'est donc peu dire que l'étape du jour devait être compliquée. Jugez plutôt : le dyptique bien connu Portet d'Aspet-Menté, placé en début d'étape, constituait alors la partie "accessible" du parcours ! Quiconque a déjà visité la région se rappellera la rudesse des pentes, les virages traîtres qui se referment au milieu des arbres, le goudron rugueux qui ne rend pas dans le Menté, au niveau de Ger-de-Boutx, pile dans la partie la plus raide du col haut-garonnais. C'était donc là le hors d'œuvre que les coureurs devaient considérer comme "facile".
C'est en tous cas dans ces pentes que l'échappée du jour se forma. Des grimpeurs expérimentés s'alliaient alors à de jeunes pousses prometteuses : Vietto, Botcharov, Casar, Perez-Frances, Pinot, côtoyaient les cadors Binda, Jimenez, Hinault ou le surprenant belge De Gendt, décidément très en forme.
Dans la transition qui mena les coureurs au pied du Peyresourde, une poignée de guerriers se mit en tête de rejoindre les hommes de tête. Certains étaient attendus aujourd'hui, comme Virenque ou Ugrumov. D'autres l'étaient moins, tels Argentin, Marie, ou Flecha.
Avec des machines comme Binda et Hinault dans les ascensions et de solides roule-toujours comme Flecha ou De Gendt dans les portions de transition, l'échappée progressa rapidement. Et pourtant...
A terrain d'exception, grimpeurs d'exception. C'est dans le col de Peyresourde que les purs escaladeurs furent libérés. Les isards pyréneens avaient pour noms Contador, Gaul, Bahamontes et Pantani. Ce quatuor de rêve n'eut besoin que d'une grosse dizaine de km pour combler les 3 minutes qui les séparaient de la tête.
Quand les blaireaux ne sont pas là où on les attend.
Une surprise les attendait cependant. Alerté par son DS, Hinault avait pris la tangeante, ne souhaitant pas entraîner dans ses roues ces bouquetins de la bicyclette, ces rois de la danseuse au pied sûr quand les pentes atroces deviennent un défi à l'équilibre. Hinault s'était donc lancé dans un raid à la mesure de son orgueil.
40 secondes au sommet du Peyresourde. C'est le maigre matelas dont disposait le breton au moment de se lancer dans la descente. Impossible pour lui d'imaginer qu'il vivait alors ces derniers instants sur le Tour.
A l'approche du bas de la descente, une bande de "crétins" - le lecteur pardonnera cet élan de ... justesse dans la description - crut bon de se faire remarquer en "commettant" une blague de mauvais goût. Les motos avaient pris du champ, mesure logique quand les vitesses atteignent les 90 km/h dans les lignes droites qu'offre le Peyresourde sur ce versant. Ces idiots organisés profitèrent du laps de temps entre le passage des motos et l'arrivée de l'homme de tête pour barrer la route dans la joie et la bonne humeur, à hauteur de l'intersection qui mène au superbe lac voisin de Loudenvielle. Hinault tourna à gauche alors que le parcours devait continuer tout droit vers Arreau. Ce ne fut que lorsque la voiture du directeur de course se porta à hauteur du breton que ce dernier fit demi-tour, dans une colère qui n'avait rien d'une surprise au regard du caractère que chacun lui connaît désormais. Le reste de l'échappée avait déjà filé tout droit et Hinault savait un retour impossible. Et devant le chaos et les bousculades qui agitaient le bord de route, il reconnut le groupe d'amuseurs publics qui avait causé sa perte. Il descendit de son vélo et envoya une salve de crochets à l'un d'eux pris au hasard. La puissance des coups causa des blessures sérieuses à l'irresponsable et le directeur de course Adrien Leuvredufot se vit dans l'obligation d'exclure le quintuple vainqueur de l'épreuve. Si nous n'encourageons pas l'acte de colère, nous formulons ici nos vœux de justice la plus ferme possible pour les responsables de ce chaos. Le champion d'Yffiniac ne doit pas être le seul à payer.
Il restait alors 3 ascensions et pas des moindres, ainsi que des cyclistes remarquables pour les gravir.
Rapidement dans l'Aspin, l'escadrille de rêve - Gaul, Bahamontes, Pantani, Contador - fit la différence. Le vieillissant Binda s'accrocha à eux et dut puiser dans ses réserves pour passer le sommet en leur compagnie. Au passage de l'Aspin, panorama exceptionnel sur le Pic du Midi de Bigorre qui semblait appeler les coureurs tels une sirène les marins imprudents, les 5 hommes comptaient 2'30" d'avance sur un groupe Anquetil, Ocana, Coppi, Bobet, Thevenet, Van Impe et le jeune Pinot, rescapé de la première échappée.
Dans le Tourmalet Binda paya ses efforts et céda dans les tunnels paravalanches précédant La Mongie. Il n'y avait guère plus que les aigles pour voler plus haut que ces quatre-là. Et contre toute attente ce fut celui de Tolède qui plia les ailes en premier, quelques hectomètres au-dessus de la Mongie.
Contador, Pantani, Gaul.
Pistolero braqueur, Pirate pilleur d'ambitions, Ange mystérieux passeur de montagnes. Ces trois champions nous ont donné un superbe spectacle, se toisant sans jamais se cacher pour passer leur relais, se testant en appuyant parfois les relais sur quelques dizaines de mètres de plus, usant même de bluff pour Contador qui fit semblant de se rasseoir en grimaçant lors d'une accélération de Charly Gaul.
Dans la montée de Luz-Ardiden la route se fit de plus en plus étroite, réduite qu'elle était par les murs ondulants de supporters déchaînés. Le soleil de fin d'après-midi paraissait presque pâle au-dessus des drapeaux rouge et vert des colonies basques, jamais rancuniers de ne pas voir un des leurs fendre leurs rangs en premier.
Contador attendit les derniers hectomètres, barriérés, pour porter une ultime attaque, violente. Quand il eut ouvert un écart de 30m avec ses concurrents, il sut que c'était gagné. Pantani et Gaul hesitèrent à faire l'effort pour revenir, un effort violent qui aurait pu leur coûter la victoire si près de l'arrivée. Ils durent se résigner devant le successeur de Bahamontes perdu dans la pampa pyrénéenne. Celui-ci se dandine aussi, mais en danseuse plus souvent que son aîné vissé sur sa selle. Et devant son geste signature en passant la ligne, les suiveurs que nous sommes ne peuvent que souhaiter être sa cible aussi souvent que possible. Tirez ici, pistolero. Là, en plein cœur.
1 - Contador
2 - Gaul
3 - Pantani