https://www.cairn.info/revue-actes-de-l ... 28.htm#no3
Un des travaux en accès libre issu d'une commande de l'UCI sur le dopage. Je ne vous mais pas le résumé car il ne rend pas hommage à l'ensemble de l'article. Il tente d'appréhender le dopage comme une partie de l'environnement institutionnel et économique du cyclisme. ARSS est l'une des meilleures revues de sociologie en france
Un extrait pour appâter le chaland :
et hop un secondIl s’agit ici de comprendre la manière dont s’est construit ce modèle en restituant le processus de « différenciation des pouvoirs » (Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997)
, amorcé à partir des années 1980, au terme duquel s’établit une double domination sur l’espace du cyclisme professionnel. La première, économique, est exercée par l’oligopole médiatico-événementiel des organisateurs de courses. La seconde, de type légal, est celle que revendique l’UCI pour réguler la discipline. Cette domination règle ainsi la forme que prennent successivement les circuits mondiaux d’épreuves, le ProTour en 2005, puis le WorldTour en 2010. Dans ce jeu, les équipes divisées, très majoritairement vulnérables économiquement, ne constituent pas une force d’opposition suffisante mais un appoint dans la lutte que se livrent les organisateurs et l’institution régulatrice du cyclisme. La cartographie de l’espace du cyclisme professionnel et sa légalité propre permettent de comprendre la précarité structurelle et la position dominée des coureurs, généralement masquée par la possession d’un capital sportif et la visibilité médiatique d’une petite élite qui concentre les profits économiques et symboliques.
et pour ceux qui veulent du chiffre :Les enjeux sur le travail des cyclistes sont complètement absents des débats ; les classements semblent simplement être une évidence, les meilleures équipes et les meilleurs coureurs seraient les gagnants. Pourtant, les règles fixées pour l’organisation des compétitions et des classements ont des effets sur la stabilité des ressources des équipes, que ce soit sur leurs charges, la durée des contrats, le volume de travail, l’encadrement et l’accompagnement des coureurs. Si les détenteurs du pouvoir de contrôle des compétitions et les cyclistes semblent avoir leur propre autonomie, les seconds subissent directement les effets des modifications de l’organisation des classements par les premiers. En dépit de la volonté de faire profiter l’ensemble des « stakeholders » de la manne médiatique du circuit mondial, cette stratégie commerciale n’a pas modifié l’assujettissement des coureurs à différentes formes de précarité. Plus encore, elle ne participe pas à régler la question du dopage dans la mesure où les liens entre ces usages pharmacologiques illicites et la précarité subie par les coureurs sont attestés. Pourtant les affaires de dopage sont toujours assimilées à des fautes morales individuelles. En conséquence, la prévention se base majoritairement sur l’idée d’accroître l’éthique des coureurs pour surmonter les difficultés, sans que les effets des conditions de production des performances sur le dopage ne soient pris en compte
Ces résultats éclairent les effets des concurrences autour du contrôle de l’organisation des deux circuits mondiaux et continentaux sur la précarité des cyclistes. Mais le plus marquant est le lien entre cette précarité subie et la tentation de recours au dopage. Ainsi plus que les confessions déjà éclairantes du mécanisme par lequel les coureurs se « socialisent » au dopage, une appréhension quantitative du phénomène révèle un lien entre ce recours aux produits et la précarité. L’analyse de la population des coureurs contrôlés positifs par l’Union cycliste internationale entre 2005 et 2012 indique que le recours au dopage peut être une stratégie de maintien en emploi relativement efficace pour les coureurs qui s’y risquent.
Sur l’ensemble des coureurs ayant effectué leur carrière à cette même période, 46 % de ceux qui n’ont pas été convaincus de dopage (ce qui ne signifie pas qu’ils n’y aient pas eu recours) abandonnent au plus tard deux ans après leur entrée, ce n’est le cas que de 26 % de ceux qui ont été sanctionnés pour dopage. Dans la même logique, quatre ans au mieux après leur entrée, 69 % des coureurs qui n’ont pas été contrôlés positifs ont cessé leur carrière, ce n’est le cas que de 59 % des convaincus de dopage. De même, les pourcentages de coureurs qui retrouvent une équipe après une interruption de carrière sont plus élevés chez ceux qui ont été convaincus de dopage (29 %) que chez les autres (13 %).
Il semble également exister un lien entre la capacité à se maintenir au sein d’une équipe et le fait d’être contrôlé positif. Ainsi, 62 % des coureurs convaincus de dopage ont une fréquence de changement d’équipe supérieure ou égale à 1,75 an contre une moyenne de 2,4 ans pour tout le peloton. Cette fréquence de changement relativement élevée est le fait de 40 % des coureurs. Ce résultat est cependant délicat à interpréter. Il est par exemple imaginable que certains coureurs ayant recours aux produits dopants de manière trop ostensible soient repérés par leur encadrement qui n’hésite donc pas à s’en séparer.
Si l’on ne peut pas dire que ceux qui ne se font pas prendre n’ont pas eu recours à des produits interdits, ceux pour lesquels la preuve est administrée semblent réussir à prolonger leur carrière au-delà de la moyenne des 2,7 années pour l’ensemble du peloton. L’héritage d’une pratique de la prise de produits dopants est certes important mais le lien entre stratégie de maintien en emploi et recours au dopage est une manière pour les coureurs de composer avec leur précarité structurelle.