Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

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jicébé
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

Un article ce we dans Het Nieuwsblad sur José De Cauwer, ex-coureur, ex-DS (notamment de G. LeMond lors de sa victoire-surprise au Tour pour 8 secondes) et actuellement commentateur pour la VRT (TV Belge néerlandophone), tâche qu’il accomplit pour ce Tour quelques jours après le décès de sa fille.

Pas d’actualité cycliste en tant que telle, mais je crois que ça valait la peine de vous traduire ce témoignage de ce qui est une leçon de vie. Bonne (et longue) lecture.


Bientôt De Cauwer doit assurer les commentaires du contre-la-montre de Remco Evenepoel dans le Tour, mais à cette heure il est assis devant nous et il essuie ses larmes : « J’ai beaucoup encaissé dans la vie. Parfois je pense : ‘Tout encaissé’. Mon épouse Jeanne est décédée à l’âge de 32 ans. Mes sœurs sont déjà aussi décédées. Mais ceci se ressent encore différemment. C’est mon enfant. Debbie et sa maman ne sont plus toutes les deux, comme si un chapitre de ma vie avait été gommé. Ce qui n’est pas vrai, car il y a de merveilleux petits-enfants. Et pourtant c’est comme ça que je le ressens. Tout le monde me demande : ‘José, comment ça va ? A vrai dire : je n’en sais rien. »

Déjà en 2016, a été diagnostiqué chez sa fille Debbie un cancer du sein. « Je le dis souvent : la douleur, l’acceptation, le traitement … ça vient de milliers de petites choses. Ça commence avec ‘Debbie a senti une grosseur’, comme en son temps avec sa maman. Durant huit ans la maladie s’est stabilisée, mais aux alentours de Pâques elle a eu une rechute, avec des métastases dans les os et le foie. Alors nous avons su qu’il n’y avait plus rien à faire. »

« Il y a eu à cette période une grande fête de famille chez nous à la maison, pour laquelle je suis arrivé plus tard après la retransmission de Liège-Bastogne-Liège. Au reste de la famille elle avait apparemment dit qu’il ne fallait pas trop en remettre vis-à-vis de moi. Puis-je l’interpréter de la façon suivante ? Elle ne voulait pas – dans une soi-disant période agitée – m’en imposer plus. »
José lutte en vain contre les larmes. « Sais-tu ce que je trouve le plus grave ? Ça m’arrache encore des larmes, mais quand j’ai été lui rendre visite à Roulers, elle était au lit avec tellement de douleur. Et alors elle m’a dit : ‘Sorry de te faire endurer tout ça. (sous le coup) Sorry …’ Parce que je suis soi-disant le boute-en-train, toujours d’humeur joyeuse. Elle s’en sentait donc coupable, de me faire ça. Comment est-ce possible ? »

Ces dernières semaines, la douleur physique s’était heureusement beaucoup atténuée. Debbie est encore allée il y a trois semaines à un weekend entre sœurs. Ensemble avec Giana et Nanouk, qui sont en réalité des demi-sœurs, mais cette dénomination ne colle pas. Ce sont de vraies sœurs à part entière. Ma fille Romy était aussi de la partie et ce fut un très beau weekend. Debbie se sentait suffisamment bien pour la sortie. Elles sont allées ensemble au cinéma à Lichtervelde, dans la plus vieille salle de Belgique. Debbie avait choisi un film qui avait pour elle une signification particulière. Très émotionnel, mais aussi très beau. Elles avaient choisi un hébergement en pleine nature, mais il y avait tellement de vent qu’elles ont eu peu que leur tente chic ne s’envole (il rit). »

« Deux semaines avant le Tour je suis allé dans le Nord de la France pour reconnaître les premières étapes. Quand je suis revenu, j’ai été passer un peu de temps chez Debbie. Je sentais que c’était presque la fin. Nous sommes restés seuls un bon moment. (silence) Nous ne sommes pas dit grand-chose, mais il s’est passé entre nous plein de choses. »

« Debbie avait accepté sa situation. C’est incroyable comment elle y a trouvé de la sérénité. Elle était soulagée que ses enfants aient tout à fait bien trouvé leur chemin dans la vie. Mais je me demande : ‘Que se passe-t-il avant l’acceptation ?’ J’ai 75 ans et je pense encore toujours à demain et après-demain. Mais quid quand toute cette misère vous tombe dessus et qu’il est écrit noir sur blanc qu’il n’y aura pour vous plus de demain ? Que pense une personne à ce moment-là ? Je me pose la question à moi-même, mais n’ai jamais osé la poser. »

Ce dernier samedi ont eu lieu les funérailles de Debbie. « Une belle cérémonie, si tant est qu’un enterrement puisse être beau. A l’image de ce que Debbie était. Elle l’avait elle-même préparée. Ça te fait réfléchir à la grande question de la vie : ‘Ai-je été suffisamment bien ?’ Finalement c’est après tout une question absurde. Je suis sur la pente descendante de ma vie. Qu’est-ce qu’un papa idéal ? Celui qui est tous les jours à la maison ? Je n’ai certainement pas été le meilleur papa du monde, mais certainement pas le plus mauvais. »

« J’en suis perpétuellement à me poser des questions. Aux funérailles, je me suis demandé : ‘Est-ce qu’on enterre aujourd’hui Debbie De Cauwer ou la femme de Marion Bekaert ? Quelle est ma place ici ?’ Stupide de se poser ce genre de questions, non ? Elle est naturellement autant son épouse et une maman qu’elle est ma fille. Et malgré cela, c’est ce que je ressens. »

« Je pense à la façon dont les gens expriment leur compassion et à la manière dont cela est le reflet de ce qu’ils sont en tant que personne. Non pas que j’en aie fait des recherches sur le sujet, mais à quelque chose d’aussi simple que le salut à l’urne funéraire on en comprend tellement. Aux funérailles il y a avait beaucoup de gens du monde de Debbie. Le monde des punks. Quand tu vois défiler en rue cent de ces punks l’un à côté de l’autre, tu penses, ho c’est quoi ça ? Mais ils m’ont paru les personnes les plus émues et affectueuses. »

« Je me suis d’abord opposé au choix de Debbie d’être différente. Alors que je me rends compte maintenant de combien elle a été courageuse d’oser être différente. Beaucoup de gens font l’inverse : ils ont à dire sur tout, mais suivent. C’est un signe de notre époque : chacun veut paraître identique. Les belles femmes se laissent maigrir pour répondre à on ne sait quel idéal de beauté. »
« Quand Debbie a interrompu ses études parce qu’elle avait rencontré l’un ou l’autre de ces punks, nous avons parlé. Et c’est alors que vinrent ces mots légendaires : ‘Tu as toute ta vie fait ce que tu as voulu, mais maintenant j’en fais de même.’ Et après cela, il n’y avait plus d’un coup rien à ajouter. Nous avons ouvert une bouteille de cognac et sommes tombés en larmes dans les bras l’un de l’autre. ‘Si c’est ainsi ma petite, vole de tes propres ailes.’

Deux jours après les funérailles, le lundi 7 juillet, José De Cauwer était de nouveau dans les studios de Sporza à Bruxelles pour commenter l’étape du Tour vers Dunkerque. « Je me suis surpris moi-même : j’en suis à le faire avec enthousiasme. J’en suis même à rire. Alors me revient la pensée : ‘Je dois un peu me freiner.’ Je ne sais pas si je freine vraiment ou pas. J’espère que non, car je dois être pleinement dans la course. Sinon, j’en reste à raconter des banalités et ce n’est cela pas donner des commentaires. »

« Mais je suis – pour une fois- content de ne pas être sur place au Tour. J’ai dit au rédacteur en chef de Sporza : ‘Ca ne marcherait pas de me retrouver dans ce cirque actuellement.’ On est entouré de personnes qui ne savent pas ce qui s’est passé. Ou de gens qui ne savent pas quelle attitude adopter, ce que je conçois aussi car ce n’est pas une situation facile. Les commentaires se font depuis le studio à Bruxelles et en petit comité et c’est bien comme ça. Que des gens qui m’apportent énormément de soutien. »

Bientôt, après cet entretien, José va intégrer le studio et sait que durant les cinq heures à venir n’existera plus que la course. « Ça aide, oui. Mais comme je l’ai dit, avec un sentiment de faute. Si je parle de façon trop enthousiaste, la pensée peut me passer par la tête ‘ne l’as-tu pas déjà oubliée ?’ Bien sûr que non, mais un peu quand même à cause de la course. Crazy, crazy, crazy, comment la vie suit toujours de nouveau son cours. »

Se demande-t-il parfois pourquoi le cyclisme a pris tellement de place dans sa vie ? Pourquoi il peut le trouver si essentiel ? « Je trouve que le cyclisme est quelque chose de tellement excitant. Une métaphore de la vie, c’est ce que je pense vraiment. Tomber et de nouveau se relever. Pourquoi Tim Merlier paraît-il un petit bonhomme quand on lui plante un microphone sous le nez et devient-il un Hulk 180 kilomètres plus loin, qui ne reculera devant personne ? Ça me branche énormément. »

« Y a-t-il trop de course dans ma vie ? Je ne pense pas. Je trouve que j’y ai d’autre nombreux centres d’intérêt. L’inverse serait problématique : des gens qui n’ont dans la vie aucune passion. Alors commence selon moi la vraie misère. »

« Une passion est quelque chose de bizarre. Quand la course est finie, quand je referme derrière moi la porte de la VRT, c’est retour à la réalité. Bam, on se retrouve en une fois sur une autre planète. Je roule en voiture à la maison en pilotage automatique. Depuis les funérailles, j’ai été flashé deux fois à 125 km/heure, ce qui ne m’arrive jamais en temps normal. Je sais où se trouvent tous les radars. (rire) Mais je suis dans mes pensées. »

Furieux sur le monde, il ne l’est pas, il n’a selon ses propres termes pas de raisons pour cela : « Sur qui devrais-je être furieux ? Sur la croyance en un Dieu ? Je ne suis pas croyant dans le sens où je pense qu’il n’y a pas quelqu’un au-dessus qui partage la misère : ‘Toi un peu plus et toi encore un peu plus.’ Je suis trop réaliste pour voir la vie de cette façon. Ce dernier weekend j’ai eu la visite d’Hennie Kuiper (ancien coureur), qui est en tant que Néerlandais très croyant. Il se demandait : pourquoi tout cela doit-il t’arriver ? Je lui ai répondu : ‘Hennie, nous sommes quand même trop intelligents pour penser que ça fonctionne comme ça ? »

« Sais-tu ce qui me dérange vraiment ? Pourquoi y a-t-il tellement de m… dans le monde ? Nous en sommes à discuter de la misère autour de Debbie, mais ailleurs dans le monde, on ne doit pas être malade pour mourir. C’est en cela que ça ne tourne pas rond. C’est ça qui peut me rendre furieux. On pourrait penser que l’humanité va de l’avant, mais ça ne devient que de mal en pis. »

Pour José il est plus temps de rejoindre la VRT, nous en sommes bien à déjà une demi-heure de retard. Il a encore un message important, car il ne veut pas en terminer sur une mauvaise note : « C’est incroyable le nombre de gens de qui j’ai reçu des messages. Des gens que je connais depuis longtemps, des gens que je connais vaguement et même des gens que je ne connais pas. Des gens aussi pour qui c’est aussi la raison d’enterrer la hache de guerre, ou prétendue telle. Très bizarre : tous ces messages font un peu mal et en même temps consolent aussi. Mais ce que je veux surtout dire : pour toute animosité sur terre, il y a heureusement encore beaucoup de chaleur humaine"
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

Merci Jicébé pour la transcription de l'article.
joske75
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

Très émouvant et très vrai. Le meilleur cocommentateur de cyclisme.
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JohanMusée
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

fred30 a écrit : 31 mai 2025, 12:40 Intéressant l'anecdote sur Paris-Roubaix.
Mais du coup, pour qui roulait Dierckxsens ? Pour lui-même ? Je vois qu'il a fini 6ème de l'Enfer du Nord cette année-là.

Je n'arrive pas à me rappeler de lui sur cette classique.
Je réagis avec une guerre de retard mais je m'en souviens très bien de ce Paris-Roubaix. Edition mythique si il en est. Magnifiée par la photo de Peeters à la sortie d'Arenberg (photo ci-dessous) et sans doute dépréciée vis-à-vis de celles l'entourant par la moindre célébrité de son vainqueur. Et sans Stercke Ludo, il y a clairement une bonne probabilité que Peeters l'emporte. Mais Dierckxsens ne roulait pour personne. Et souvent bêtement (et certainement pas pour VDB qui trainait cette année-là son bide de l'hiver tellement loin qu'il avait abandonné avant Arenberg je crois). Pourtant, le gars n'était pas bête. J'ai eu la chance de suivre une étape du ZML Tour avec lui comme conducteur d'une des deux voitures. En plus d'être particulièrement sympathique, le fait qu'il paraisse tout sauf bête m'avait surpris vu ce que sa manière de courir m'avait fait penser, à moi et à un peu près tout le monde je pense.
Dans le fond, je crois que c'était juste un amateur passionné perdu chez les pros. Et qui courrait les courses comme il courrait ses sorties du dimanche

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FRANCISCOGALDOS
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

Grand merci Jicebe
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jicébé
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Re: Vu de Belgique: Lu dans Het Nieuwsblad (ou autres media)

Merci à SW3, joske75 et FRANCISCOGALDOS :jap: (pour la petite histoire, bien qu'il n'ait pas un palmarès exceptionnel, Francisco Galdos a toujours été un de mes coureurs préférés :wink: - réf. à la fabuleuse équipe KAS de grimpeurs, je suppose)
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