« Avec la domination de Jonas Vingegaard, tout le monde se pose des questions. Que faites-vous face à ce scepticisme ?
Il y a deux choses. La première, c'est qu'on ouvre nos portes à des gens qui tournent des documentaires, cela fait quatre ans maintenant (Amazon puis Netflix), des journalistes viennent à nos camps d'entraînement. La deuxième chose que je veux dire, c'est que certaines personnes pourraient regarder plus en profondeur, se poser les bonnes questions et analyser.
Par exemple, la télévision australienne a fait une analyse du contre-la-montre, avec les vidéos de Jonas et (Tadej) Pogacar en parallèle, et on voit déjà un grand gap, dans la cadence de pédalage, le changement de vélo qui lui fait perdre 40 secondes. C'est énorme. Vous pouvez aussi demander à Bert Blocken, professeur en aérodynamique avec lequel on travaille, les gains entre un vélo de chrono et un vélo normal comme celui utilisé par Pogacar dans les derniers kilomètres. On répond avec tout cela, on essaie de donner les indications.
On regarde aussi autour de nous ce que font les autres. Par exemple, on était avec une équipe française (il ne la cite pas, mais il s'agit de Groupama-FDJ) à notre hôtel durant la journée de repos (lundi, veille du contre-la-montre). On voyait des coureurs boire des grandes bières. L'alcool, c'est du poison, et surtout quand vous êtes déjà fatigué, vous allez l'être encore plus. Au début de la dernière semaine du Tour, qui est la plus importante, il faut faire très attention à ce que vous buvez et mangez.
Nous, personne n'a bu d'alcool, car ça vous casse, et même ceux qui ne sont pas coureurs ne devraient pas en boire. Donc c'est tout un ensemble. On peut ouvrir nos portes, répondre à toutes les questions. Mais il faut aussi montrer l'autre côté. Parce que ça explique aussi une partie des différences, pas seulement en notre faveur, mais en défaveur des autres.
Certains plaident pour que les données soient publiées. Pourriez-vous le faire ?
C'est une information très importante en compétition, quelque chose que l'on observe en interne pour réfléchir chaque jour, donc non, pas en pleine course. Mais on l'a déjà fait aux Pays-Bas : un journaliste (Thijs Zonneveld, ancien cycliste de niveau élite) est venu, on lui a montré les chiffres. On lui a demandé de ne pas publier les données, car les experts sauraient les regarder, mais une majorité auraient une mauvaise interprétation. Donc il a pu regarder, analyser, nous interroger, on a tout partagé, et il a pu publier ce qu'il voulait. Nous sommes ouverts.
Utilisez-vous un produit, pas interdit, mais dont les bienfaits n'ont pas été découverts par certaines équipes ?
Non, on n'a rien de ce genre. Prenons le cas de Jonas et des cétones. Ce n'est pas un secret, certains de nos coureurs en utilisent, mais c'est un complément, un supplément comme de la vitamine C ou D que tout le monde peut utiliser, pas un médicament ou quelque chose de ce style. Les cétones, Jonas les refuse, il n'en veut pas. Même un paracétamol, il n'aime pas en prendre.
Comprenez-vous la surprise que suscitent ses performances ?
Ce qui est très important à comprendre, c'est que ce n'est pas un match d'un jour, puis un deuxième, un troisième. Le match dure trois semaines, donc vous devez tenir compte de la fatigue durant la compétition, la subir le moins possible, et c'est ce qui est difficile. On aborde un Grand Tour ainsi : faire en sorte que les adversaires soient plus fatigués que nous. Et on l'a vu mercredi (au col de la Loze), notre opposant était cassé, malheureusement pour lui. Mais c'est le résultat de deux semaines et demie de course très difficile.
Vingegaard a toujours paru confiant, malgré les étapes où Pogacar lui a pris du temps alors qu'elles semblaient plutôt taillées pour votre leader (les Cauterets par exemple). Est-ce seulement une façade ?
Non, on a gardé confiance car on savait que cette étape du col de la Loze était vraiment, vraiment taillée pour Jonas. On était confiants, mais comme du côté de Pogacar j'imagine. Il a soudainement lâché, et ça aurait pu nous arriver aussi, ou qu'on commette une grosse erreur à un moment. Nous, on essaie de faire en sorte que Jonas reste au même niveau durant les trois semaines, et c'est ce qu'on réussit pour l'instant.
Par le passé, Vingegaard pouvait craquer sous la pression, et il paraissait moins serein l'an dernier, alors qu'il semble imperturbable cette année.
C'est vrai à 100 %. C'est logique. Il a gagné le Tour l'année dernière, ça lui a donné un énorme boost de confiance. Vous ne pouvez pas enseigner ça dans les bureaux, vous devez expérimenter ce qu'est une grosse victoire.
Vous répétez que votre meilleur moment est l'instant présent. Ces derniers jours, à l'approche d'une deuxième victoire dans le Tour, sont-ils votre meilleur moment comme patron ?
Chaque jour est une autre étape et on doit faire ce qu'il faut, réfléchir à ce qu'on doit faire de mieux, car c'est comme ça qu'on obtiendra le meilleur des résultats dimanche. Aujourd'hui, on a le Maillot Jaune donc oui, je suis heureux, je profite du moment.
Mais on doit aussi faire les bons choix à chaque seconde pour être certains d'obtenir le meilleur résultat dimanche. Je reste concentré comme les coureurs. Je l'ai déjà dit, Tadej Pogacar est comme l'équipe d'Allemagne de foot, on en est débarrassés seulement quand elle est vraiment rentrée chez elle. J'attends qu'on franchisse la ligne d'arrivée à Paris, à ce moment seulement, on aura gagné. »