levrai-dufaux a écrit : 15 mars 2023, 16:26
dolipr4ne a écrit : 14 mars 2023, 18:25
- que le peloton était ultra-hétérogène, et qu’il n’était pas rare de voir un paquet de gars totalement incapables de suivre un rythme de course un peu soutenu. Au point que, par exemple, sur un CLMPE, un mec finit par tracter seul toute son équipe (de 10 coureurs au total) sur les 10 derniers kilometres! Totalement impensable de nos jours! Sans etre péjoratif, certains coureurs étaient vraiment « médiocres » et donnent l’impression, au court des différents récits, qu’ils étaient plus des faire-valoir que de véritables professionnels du vélo. Mais je ne le dis pas dans un sens péjoratif, mais bien pour dire qu’il s’agissait vraiment d’une autre époque, d’un autre monde, d’un autre sport.
A mes yeux, tu fais là un gros contre-sens sur l'histoire du cyclisme, contre-sens malheureusement assez répandu.
Si des Coppi, Bobet, Merckx, etc. ont pu se forger des palmarès aussi riches et diversifiés, ce n'est pas parce que l'adversité était médiocre mais parce que la spécialisation des coureurs était moindre et les stratégies d'équipe embryonnaires. Contrairement à ce que tu affirmes, le peloton des années 80 n'était pas plus hétérogène qu'aujourd'hui avec des semi-amateurs dans ses rangs, mais à l'inverse plus homogène... précisément parce que les coureurs étaient moins spécialisés qu'aujourd'hui, d'où des écarts de niveaux moins importants.
Pour schématiser, les coureurs étaient davantage des "4x4" avec leurs points forts et faibles bien sûr, mais c'est bien pour cette raison que l'on retrouvait à peu près les mêmes coureurs aux premières places tout au long de la saison. Le besoin de spécialisation était nettement plus faible pour ne pas dire absent plus on remonte dans le temps. Les purs spécialistes n'existaient pas ou si peu : "un coureur de GT", cela n'avait pas de sens jusqu'aux années 1990. Même Lemond, souvent accusé d'avoir lancé la tendance de focaliser sa saison sur le Tour de France, participait à Paris Roubaix, et avec les honneurs (4e en 1985, encore dans le top 10 en 1992 alors que son déclin était entamé).
Autre exemple qui reflète bien cette hyper-spécialisation récente des coureurs : les "purs" sprinteurs n'existent pratiquement pas sur route avant le milieu des années 1980. Bien sûr, il y a toujours eu des coureurs rapides au sprint à l'image des duels entre Charles Pélissier et Raffaele Di Paco qui enflammaient les suiveurs dans les années 1930. Mais ces coureurs étaient relativement complets, ils pouvaient briller sur les classiques ou bien résister an montagne : Pélissier se classe ainsi 15e de la grande étape pyrénéenne du Tour 1930. On imagine mal un Philipsen ou un Ewan réaliser cela de nos jours. De ce point de vue, je dirais que Van Poppel est le premier grand sprinteur moderne.
Si l'on s'intéresse aux performances du peloton en montagne, c'est le même constat qui prévaut : celui d'une plus grand densité qu'aujourd'hui, liée à la moindre spécialisation des coureurs. Pour reprendre le Tour 1984 que tu as mentionné, on peut regarder les écarts sur l'étape de l'Alpe d'Huez et les comparer à ceux des derniers passages du Tour à l'Alpe :
- En 1984, ls sont 65 à être classés dans le même quart d'heure (c'est-à-dire que 64 coureurs ont moins de 15 minutes de retard)
- En 2018 : seuls 26 coureurs sont classés dans le même quart d'heure
- en 2022 : 38 coureurs sont classé dans le même quart d'heure
Et on pourrait multiplier les exemples en reprenant les étapes de montagne des années 80 et en les comparant aux étapes actuelles : en tendance, les écarts serait plus faibles dans les années 80 que durant la dernière décennie, signe d'une plus grande densité.
La conclusion n'est pas que les coureurs étaient meilleurs en montagne dans les années 1980 qu'aujourd'hui mais que :
1) Ils étaient moins spécialisés et donc les écarts de niveaux étaient nettement moins grands qu'aujourd'hui.
2) Les stratégies d'équipe étaient très incomplètes et peu élaborées, du moins à des années-lumières de ce qu'elles sont aujourd'hui où de moins en moins de détails sont laissés au hasard par les équipes et où le rôle de chacun est bien défini avant le départ de chaque course. D'où une plus grande liberté des coureurs (certains ne se relèvent pas, d'autres courent sans se soucier d'aider leurs leaders...).
Pour moi, ces deux points résument ce qui a vraiment changé depuis les années 1980 : d'un côté la progression des stratégies d'équipe grâce à la professionnalisation de leur approche et les données qu'elles accumulent, de l'autre l'hyper-spécialisation des coureurs qui rend quasiment impossible pour un coureur de se forger un palmarès aussi complet que les plus grands champions du passé. De ce point de vue, ce que réalise Pogacar depuis quelques saisons est un formidable anachronisme et me laisse plus qu'admiratif.