- 13 août 2022, 14:28
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La rubrique hebdo de P. Lefevere:
"Bonne nouvelle pour tout qui pense que l’UCI, en plus des longues chaussettes et de la position puppy paws [qui a valu la récente exclusion de M. Vos], avait aussi interdit le contre-la-montre par équipes : ce prochain vendredi nous en recevons encore une en ouverture de la Vuelta. Qui me connaît, sait que je suis un grand fan. Déjà de l’époque de chez les amateurs, quand, avec la sélection West-Flandrienne, nous renvoyions les autres provinces à la maison. Nous faisions encore cent kilomètres à quatre coureurs.
A la Vuelta c’est « seulement » 23 kilomètres, mais comme équipe, on doit quand même bien y réfléchir. Simplement mettre ensemble ses huit meilleurs rouleurs n’est pas une bonne idée. Parce que dans un Grand Tour on a de toute façon besoin d’autres profils, mais aussi parce que les rouleurs individuellement s’annihilent l’un l’autre. Comparez ça avec un 4x100 mètres en athlétisme : il en va de la vitesse du témoin, pas de celle des sprinters séparément.
Le leitmotiv d’un contre-la-montre par équipes est : se faire mutuellement le moins mal possible, tout en roulant cependant le plus vite possible. Le moteur doit être suffisamment grand et l’ego suffisamment petit. Tony Martin en était le grand maître d’œuvres incontesté. Nous avons atteint trois de nos quatre titres de champions du monde avec lui dans l’équipe. Quand chacun roulait quinze secondes en tête, Tony restait trente secondes quand venait son tour. C’était même mettre en marche le cruisecontrol. La vitesse augmentait maximum d’un-demi kilomètre heure.
Les sprinters sont en général très utiles dans un TTT. Des profils idéaux pour boucher les trous. Le problème est qu’ils ont aussi tendance à en remettre une couche quand ils passent en tête. D’un coup rouler deux km/heure plus vite, ça fait naturellement complètement exploser quelqu’un qui est à bloc. L’idéal est quelqu’un comme Marcel Kittel : un sprinter, mais bel et bien double champion du monde junior en contre-la-montre. Aux championnats du monde au Qatar, il nous a sauvé la mise avec un double relais dans les derniers kilomètres.
Jamais il ne fait aussi calme au petit-déjeuner que le matin d’un contre-la-montre par équipes. La peur de mal faire est grande chez beaucoup de coureurs. Il existe beaucoup de bons coureurs qui sont très mauvais dans un contre-la-montre par équipes. Un nom « neutre » pour ne mettre personne mal à l’aise : Thomas Wegmüller était capable de rouler toute une journée à cinquante à l’heure, mais pas une demi-heure à soixante. De tels coureurs, il ne faut surtout pas les emmener avec soi.
Notre sélection à la Vuelta doit être en état de rouler un bon contre-la-montre par équipes, mais a ses problèmes spécifiques. Ce n’est pas un cadeau d’être placé derrière un coureur de petite taille et extra-aérodynamique comme Remco Evenepoel. Le même vaut pour Ilan Van Wilder. Aussi ce puzzle doit être bien mis en place, suivant le principe des Daltons.
Autre point d’attention : Rémi Cavagna sera sans aucun doute un des gros moteurs de l’équipe à Utrecht, mais le danger existe qu’il oublie en route qu’il y en a sept autres pendus à sa roue. C’est un pur-sang, mais parfois il perd en route le plomb dans la cervelle.
Quant aux chances de Remco dans cette Vuelta, nous n’allons pas à l’avance faire de déclarations ronflantes. Pour en dire quelque chose de sensé, il faut de toute façon attendre l’étape dix, le contre-la-montre individuel vers Alicante. Là on peut commencer à philosopher sur ce qui est possible. Avant cela, il y a trop d’inconnues : le contre-la-montre par équipes, le vent et le mobilier urbain aux Pays-Bas, les pourcentages d’ascension qui iront largement dans les nombres à deux chiffres au Pays Basque…
En tout cas, je connais peu de coureurs de 22 ans qui en auront fait autant que Remco. On peut difficilement faire mieux en matière de camps d’entraînement et de stages en altitude. On continue à chercher ce qui est pour lui la préparation idéale, mais lui-même et l’équipe avons de plus en plus de vue sur ce qui marche ou pas.
Ce qui est sûr : il a tout, mais alors tout fait. Quel que soit le résultat à la Vuelta, Remco n’aura rien à se reprocher."