Merci levrai-dufaux d'avoir créé ce topic qui manquait à un forum d'amoureux de vélo
Nibali est clairement un des plus grands champions du peloton actuel. Néanmoins, il y aura toujours eu autour de lui une minimisation de ses accomplissements en carrière. (Giro 2016, son pauvre adversaire dans la neige, Tour 2014, les 2 favoris au tapis ... oubliant ainsi de dire que le vélo c'est aussi rester debout et savoir se débrouiller partout. Ce jour-là, Nibali volait sur les pavés. )
Sans aller jusqu'à dire que c'est un géant de ce sport, c'est au moins quelqu'un qui a marqué son époque, qui a gagné partout ou presque, et qui en plus, a diversifié son palmarès à une époque où si l'on est coureur de GT, on ne va pas poser ses roues sur une classique. (eh oui, il faut rappeler que lorsque Nibali gagne son premier Tour de Lombardie, Pogacar n'a pas encore eu son bac ...

)
Comme certains le rappellent, gagner autant sans avoir de pointe de vitesse est assez admirable. Pas le meilleur rouleur, pas le meilleur grimpeur, pas le meilleur puncheur, parmi les plus mauvais sprinters, et en revanche, un excellent descendeur. D'une certaine manière, par sa nationalité, son palmarès, la manière qu'ont beaucoup de le sous-estimer, il m'apparaît comme le Felice Gimondi du 21ème siècle. Le bergamasque étant quand même plus attentiste que le sicilien, qui a toujours su prendre sa chance et dynamiter le peloton quand il le pouvait.
Quelques regrets évidemment : le Tour de France 2018, grosse forme pour lui et la chute à la con dans l'Alpe d'Huez. Ne pas l'avoir vu tenter les Flandriennes plus tôt dans sa carrière. En 2018, sur le Ronde, il pleut et il est à son avantage. La course se décante et c'est à son initiative, que Terpstra s'en va cueillir un deuxième bouquet sur un monument. Et LBL évidemment ...
Les quelques images qui me reviennent quand j'entends le nom Nibali :
- Tour de Lombardie 2017 : sa descente qui décramponne Pinot. (Civiglio ?)
- Tour de Lombardie 2018 : le duel avec le même Pinot sur la même course.
- Tour de France 2014, étape des pavés : le type volait autant que les spécialistes du pavé glissant.
- Milan-San Remo 2018 : une des dernières fois où j'ai bondi de mon canapé. Attaque moyennement tranchante, tout le monde se dit qu'il prépare le terrain pour Colbrelli, la caméra passe sur le peloton. Elle revient sur Nibali, et là il s'est aplati sur le vélo, il envoie la sauce, et on se dit qu'on vit un grand moment. Son émotion Via Roma reste un grand moment de sport.
- Journée de repos du Tour de France 2019, Nîmes.
J'ai eu l'adresse de l'hôtel d'Alaphilippe. Je vais me balader dans le coin, juste pour voir. Dans le hall de l'hôtel, je vois les frères Yates qui refusent des autographes à des fans qui les attendent depuis des heures. Luke Durbridge sort de l'hôtel, seul, pour passer un coup de fil. Il a l'air tout triste. Jasper Stuyven étreint sa famille venue le voir. Il est aussi carré qu'un nageur, il a l'air simple. J'attends dehors, je continue de goûter l'atmosphère en me demandant si je serais capable de vaincre ma timidité si Alaphilippe sortait. Je m'asseois sur un plot en béton. Il fait 40 degrés. Une famille passe devant moi, avec deux pré-ados. L'un d'eux dit à son père : "papa, papa ! Regarde, y a Nibali !"
Plaît-il ? Un mioche pourrait-il dire un truc intéressant un jour ? Je me lève, je penche la tête vers le jardin de l'hôtel, et je vois qu'il a dit vrai, le petit ! Nibali est en interview, il répond à un journaliste italien. Ils sont sur un tabouret, à l'ombre. Il répond tranquillement sans ignorer que des fans de vélo l'ont repéré. A la fin de l'interview je vois la famille s'approcher. Nibali prend le temps de faire une photo avec chaque membre de la famille. Plusieurs photos, même, au cas où l'appareil ait mal fonctionné. Il propose aussi d'en faire une avec un gamin de chaque côté, pour le souvenir. J'en suis presque ému de voir la disponibilité du bonhomme.
La famille le remercie, tourne les talons et continue sa chasse aux photos / autographes.
C'est le moment, il faut que j'y aille. C'est mon tour. Près de la piscine, le requin me regarde (ça dure 1 seconde et demie, mais je m'en rappellerai longtemps). Il ne parle pas mais il m'invite par le regard. Après tout, j'ai attendu poliment et assez longtemps. Il doit sentir ma gêne aussi. Mais c'est trop dur. Admirer quelqu'un et réussir à lui dire sont deux choses incompatibles chez moi. Alors l'abruti que je suis continue d'errer en ne sachant pas prendre mon courage à deux mains. Je m'en veux, je n'aime pas être comme ça, et ça fait 34 ans que ça dure. Je me fous une claque en pensée et me retourne pour aller le voir. Trop tard. Les portes coulissantes du hall de l'hôtel se referme, et le requin est reparti dans les profondeurs du souvenir. Pas de l'oubli.
