- 10 mai 2020, 07:04
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Extraits d'un article de l'excellent Stéphane Thirion, du quotidien Le Soir à propos de Pat. Je vous mets le détail car je crois qu'il est réservé aux lecteurs abonnés.
Les confidences de Patrick Lefevere, patron de Deceuninck-Quick Step: «Je ne pensais pas que le vélo me manquerait autant»
Patrick Lefevere nous précisait, en début d’année, qu’il allait profiter, en tout cas en partie, de son statut de retraité officiel à partir du 6 février. Si on en juge par les propos rapportés ce dernier jeudi par téléphone interposé, le Flandrien a manifestement déjà fait le tour de la question et conclu, qu’à 65 ans, il n’était pas encore taillé pour la vie en pantoufles !
Patrick Lefevere, le confinement a donc été difficile ?
Je ne vais pas me plaindre dès lors qu’au niveau de la santé pour mes proches et pour moi, tout se passe bien. Mais qu’est-ce que je m’ennuie ! Une petite sortie à vélo, quelques mails, la lecture des journaux, quelques coups de téléphone et puis c’est le vide. Je n’avais pas l’habitude d’être présent à la maison aussi longtemps. Vivement que les courses reprennent car je ne pensais pas que le vélo pouvait me manquer autant !
Voilà pour la confession, peu surprenante du reste. Précisément, le calendrier remodelé, tout frais, cela devait vous rendre le moral !
Et comment ! Bon, il y a à boire et à manger dedans, il ne plaît pas à tout le monde mais comme dans tous les sports, il y a davantage de critiques dans les tribunes que sur le terrain. C’était ultra compliqué de déterminer un calendrier et ce n’est pas fini puisqu’il s’agira, aussi, de dresser un organigramme, notamment en Belgique pour les courses de type continentales. Je regrette simplement le programme italien, début août : pourquoi ne pas avoir mis Tirreno-Adriatico entre les Strade Bianche et Milan-Sanremo plutôt que le Tour de Pologne ? Cela aurait été plus cohérent au niveau de l’organisation, de l’hébergement, des transports. Maintenant, il faut faire plaisir à tout le monde. Le cyclisme, comme tous les sports, c’est aussi de la politique.
Encore faut-il qu’on roule. Vous êtes prêt au pire ?
Oui, car en effet, cela ne dépend ni des sportifs ni des fédérations. Mais, au moins, les coureurs ont un agenda, des dates précises et donc des programmes d’entraînement à respecter, désormais, à la lettre.
Il y a aussi ces monuments des classiques placés pendant le Tour d’Italie. Était-il possible de faire autrement ?
A partir du moment où le Tour de France et les championnats du monde s’enchaînent, franchement non. Les coureurs du Giro ne viendront donc pas aux classiques ardennaises et, inversement, les courses wallonnes vont bénéficier de la présence des coureurs sortant du Tour, et donc aussi du nouveau champion du monde. Le niveau risque d’être particulièrement élevé. On n’avait pas le choix de toutes façons et, en octobre, les conditions climatiques ne sont pas moins rudes qu’en avril, au contraire même, si j’en juge par l’été indien de ces dernières années. En fait, pour nous, tout est bon car les coureurs ont envie de rouler. Certains n’ont plus évolué en compétition depuis fin janvier ! Et si Liège-Bastogne-Liège, le Tour des Flandres et Paris-Roubaix entrent en concurrence avec le Giro, je suis certain que les amateurs regarderont tout à la télévision, en zappant, en enregistrant. Les coureurs de pavés n’auraient pas participé au Giro s’il s’était déroulé à la date prévue, cela ne change donc pas grand-chose
Comment préparer les Strade Bianche et Milan-Sanremo sans le moindre mètre de compétition en amont ?
On verra qui a été sérieux à l’entraînement ! Pour le reste, ce sera l’occasion de découvrir le cyclisme autrement. Ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. Peut-être aurons-nous une Primavera complètement surprenante, sous la chaleur, je ne sais pas mais j’ai hâte de voir cela ?
Le programme de vos coureurs est déjà défini ?
Pas tout à fait. Nous avions déjà discuté, par réunion « Zoom » en nous basant sur les calendriers diffusés… dans la presse mais comme tout n’était pas exact, il faut revoir les plans. En gros, le programme établi pour chaque coureur en début de saison ne changera pas.
Sauf pour Remco Evenepoel qui ne pourra participer à la Doyenne ?
Non car, en effet, il découvrira son premier grand Tour en Italie. A 20 ans, ce n’est pas grave de manquer Liège-Bastogne-Liège, a fortiori face à une concurrence sortant du Tour de France, ce qui ne sera pas son cas.
Par quel biais va-t-il préparer les championnats du monde ?
D’abord, il faut que ces Mondiaux aient lieu, ce qui n’est pas gagné par rapport aux précautions annoncées par les Suisses. Ensuite, nous allons peut-être l’aligner à Tirreno-Adriatico, du 7 au 14 septembre avant de rejoindre la région de Martigny. Par rapport au contre-la-montre, il n’aura pas beaucoup de choix. Celui de Tirreno est plat et fait dix bornes, la comparaison est donc inutile. Un chrono, cela se prépare sur le parcours officiel. Peut-être dans un premier temps en simulation, ensuite, dès que nous le pouvons, sur place, quelques jours avant. Même si la Fédération n’envisageait pas de partir plus tôt en Suisse, nous mettrions à sa disposition un mécano, un entraîneur et un soigneur, au minimum, car le jeu en vaut la chandelle.
On voit beaucoup votre jeune prodige sur les réseaux sociaux. C’est sous votre contrôle ?
Parfaitement, à 100 %. Nous avons demandé, d’une manière générale, à nos coureurs et nos directeurs sportifs de s’exprimer, d’être inventifs, pour satisfaire nos partenaires. Remco, il ne faut pas beaucoup le pousser, il est jeune, il aime cela.
On sent beaucoup d’impatience, chez lui comme chez tout le monde ?
Il était temps que ce calendrier sorte. J’ai eu peur pour certains qu’ils sombrent en dépression. Vous savez, quand on se prépare tout l’hiver, qu’on fait attention à son poids etc., c’est dur à assumer. Nous avons eu un cas délicat à régler, avec James Knox, notre Anglais qui était à Andorre, seul dans un petit studio. Il déprimait, sans pouvoir sortir. Heureusement, il a trouvé un moyen pour rentrer en Angleterre.
A Andorre où vit aussi Julian Alaphilippe qui s’est entraîné sur les rouleaux contrairement aux Belges par exemple. Verra-t-on la différence ?
Si on prenait le départ d’une course demain, oui, sans aucun doute. Mais dans trois mois, chacun sera au même niveau. Il faut bien se rendre compte que les athlètes auront eu plus de temps pour être prêts qu’en hiver, où il fait souvent moche, sauf pendant les stages, et encore, ce n’est pas évident. Pour moi, cela ne change strictement rien.
Deceuninck-Quick Step, c’est une PME de 80 personnes, coureurs inclus. Comment avez-vous géré le confinement… économique ?
Tous sont employés, sauf quelques prestataires et des indépendants comme les directeurs sportifs. J’ai mis le personnel au chômage technique, nous avons diminué le salaire des coureurs dès le 1er avril mais j’ai tenu à rémunérer, quoi qu’il advienne, les indépendants, afin qu’ils ne soient pas floués. Une seule personne ne touche rien : c’est moi ! Le patron doit montrer l’exemple. J’espère que, sous peu, notre « service course » à Wevelgem pourra retrouver un rythme normal, que nous pourrons organiser de petits stages pour occuper à nouveau tout le monde.
A cette période, on discute beaucoup transferts. En mai 2019, vous aviez d’ailleurs déjà conclu quelques transactions. Qu’en est-il dans cette situation particulière ?
Pour l’instant, je ne bouge pas. L’année dernière, j’avais dû renouveler 18 contrats, c’était différent. Ma priorité, c’est d’abord de discuter avec les six coureurs en fin de contrat, dont Lampaert, Jungels, Keisse, Devenyns. Ensuite, j’ai signé le jeune Vansevenant comme néo-pro. Enfin, je regarde, avec une préférence pour l’engagement de jeunes éléments. Les managers sont dans l’expectative aussi. Ils m’envoient par e-mail la liste de leurs coureurs en fin de contrat mais, pour le reste, c’est le calme plat. Le marché est figé jusqu’à nouvel ordre. Nous pourrions inclure des espoirs comme stagiaires en septembre mais j’ai déjà 28 coureurs à faire rouler et même avec toutes les courses programmées, prenons l’exemple du Giro et des classiques en même temps, il en restera 13 à occuper. Donc, la période n’est pas propice aux stagiaires.
Revenons une dernière fois à Remco Evenepoel : Alberto Contador a confié récemment qu’il « n’avait jamais vu un tel phénomène et qu’il le voyait gagner le Giro à 20 ans… »
Moi, je reste calme. J’ai vu beaucoup de vedettes défiler dans mon équipe. Remco aussi reste calme, c’est sa force. Il ne plane pas et ne se prend pas la tête, à l’image de ses parents. Son père, qui est son manager comme vous le savez, reçoit régulièrement des offres d’autres équipes, c’est normal et je suis ravi… qu’il m’en parle, il n’est pas obligé de le faire. C’est pourquoi nous avions conclu un contrat de quatre ans, deux fermes et deux avec option, l’option étant dépendante du destin de notre équipe. Je reste calme mais je n’ai jamais vu cela à cet âge-là en effet. Son numéro à San Sebastian fut grandiose. Quand la télévision a pris le direct, les commentateurs sur Sporza nous expliquaient qu’il était lâché, qu’il allait chercher les bidons pour ses équipiers et, quand il a attaqué dans la côte, c’était pour ouvrir le bal à son leader ! Or, il gagne et avec quelle manière. C’est pourtant en Allemagne, quelques semaines plus tard, qu’il m’a le plus impressionné. Son échappée de 107 kilomètres avec un peloton emmené, derrière, par Nibali et Thomas en personne, c’était quelque chose. Il a fait peur à tout le monde.
Et les propos de Contador, par rapport au Giro que Remco pourrait gagner ?
Franchement, je n’oserais pas avaliser de tels commentaires, je suis raisonnable.
Peut-être parce que vous n’avez jamais dirigé un coureur capable de gagner un grand Tour ?
Euh, pas un Belge, en tout cas, mais à l’époque Mapei, j’avais tout de même Rominger, Olano, Tonkov, Jazkula, troisième du Tour mais, je vous l’accorde, ils étaient plus âgés.
Vous qui adorez la « semaine sainte » avec le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, cela va être difficile en plein Giro où sera Evenepoel ?
Je serai un peu partout, je l’espère. Je suis impatient de voir comment les coureurs réagiront sur les pavés en octobre. Car il y a des coureurs plus forts en fin de saison, comme en début d’ailleurs, et ce sont souvent les mêmes. D’autres brillent en juillet, en août. Le biorythme des coureurs va pouvoir s’exprimer, c’est très intéressant. Je n’ai pas peur une seconde pour l’intérêt du Ronde ou de Roubaix. Les gens ont faim, comme les coureurs.