Le Québec : cœur du cyclisme canadien
Cette année, les championnats du Canada se sont déroulés au Québec et qui a remporté le titre sur l'épreuve sur route ? Antoine Duchesne. Le coureur de la Groupama-FDJ, québecois, s'est imposé devant les siens à Saguenay pour sa première victoire professionnelle. Ce n'est pas tant sa victoire qui nous intéresse mais plus l'endroit où se sont disputés ces championnats : Saguenay au Québec.
1ère partie : Tout commence à Montréal
Au XIXème siècle, alors que le cyclisme n'en est qu'à ses balbutiements, la pratique du vélo commence à apparaître au Canada mais plus particulièrement à Montréal qui est la principale métropole du Québec. Les premières pistes cyclables sont inaugurées à partir de 1874.
Les premières personnes à utiliser le vélo sont moquées et montrées du doigt. C'est à partir de la toute fin du XIXème siècle et du début du XXème qu'on peut voir l'activité cycliste être pratiquée par la catégorie bourgeoise. Toutefois, le vélo reste seulement un moyen de transport et son développement implique de mettre en place une réglementation pour encadrer son utilisation dans les villes. Pourtant, le vélo ne fait pas le bonheur de tout le monde car on voit circuler des pétitions contre cette machine considérée comme dangereuse pour piétons et chevaux.
En 1881, le patineur, natif de Montréal, Louis Rubenstein, champion du Canada de patinage artistique en 1883 et champion du monde en 1890 en Russie, est président de la Canadian Wheelmen's Association et permet de développer le cyclisme. Entre 1913 et 1915, il est aussi président du Montréal Amateur Athletic Association.
En 1899 a lieu la première course internationale cycliste montréalaise. Devant une foule composée de 30 000 spectateurs, on peut apercevoir des coureurs canadiens, états-uniens, anglais, écossais, français, australiens ou encore sud-africains.
Il faut attendre l'entre-deux-guerres pour voir naître un engouement pour ce sport.
1899 : Au Queens Park Velodrome dans le quartier de Verdun a lieu le premier grand évènement cycliste de Montréal
Au début du XXème siècle, la grande figure du cyclisme au Québec mais aussi au Canada est Louis Quilicot.
Ce dernier est né en 1896 à Smyrne en Turquie de parents italiens. Alors âgé de 15 ans, les Quilico s'installent à Montréal et rajoutent un ''t'' à leur nom pour mieux s'intégrer. Après avoir fait de la compétition entre 1916 et 1917, il crée, en 1918, le premier club cycliste cycliste au Canada du nom de Club Cycliste Quilicot. Outre la création de club, il est le fondateur de la plus ancienne boutique canadienne spécialisée en vente de vélos, Bicycles Quilicot.
Il participe à la construction du vélodrome de Montréal inauguré en 1929 puis contribue à l'organisation annuelle des Six Jours de Montréal. Enfin, il est à l'initiative de la course Québec-Montréal. De part ses nombreuses actions, il est considéré comme le père fondateur du cyclisme au Québec.
Avec son club, il entraîne de nombreux coureurs canadiens de 1920 à 1948 dont Joe Laporte, Jules Audy, Henri Lepage, Zénon Saint-Laurent ou encore Laurent Gachon, premier québecois a avoir pris le départ d'un Tour de France, en 1937. Deux de ces coureurs, nés à Montréal, vous nous intéresser.
Louis Quilicot (au centre) posant avec des coureurs du Club Cycliste Quilicot
Joe Laporte en 1928
Joe Laporte, né Joseph Laporte le 31 mars 1907, devient le premier canadien à se qualifier pour l'épreuve sur route des Jeux Olympiques, ceux de Paris en 1924. Il termine 54° puis 31° à Amsterdam en 1928. Il est sept fois champion du Canada (5 titres entre 1924 et 1928) sur route et six fois du Québec.
Il remporte son premier titre canadien sur 100 milles en 1926 à l'âge de 19 ans puis en 1927 à l'âge de 20 ans sur 50 milles. Il ne prit part qu'à un seul Six Jours de Montréal, en 1930, qu'il gagne avec le hollandais Piet van Kampen venant de remporter les Six Jours de Berlin, Breslau, Bruxelles et de Saint-Étienne la même année. Il est intronisé en 1992 au Temple de la renommée de la Fédération Québécoise des Sports Cyclistes. Il meurt en 1983 à l'âge de 76 ans.
Jules Audy posant sur machine dans les années trente
Le deuxième, Jules Audy, est né en 1911. Il est surnommé ''The Blond Flash'' ("La comète blonde" en français) car il porte beaucoup d'attention à sa chevelure blonde. Spécialiste des Six Jours, il en a couru 146 au total. Connu pour être intrépide, lors des des Six-jours de Philadelphie en 1932, il chute violemment sur la tête mais souhaite reprendre la course. Conduit à l'hôpital, on lui diagnostique une fracture du crâne !
Il fait équipe à plusieurs reprises avec le spécialiste canadien des Six Jours, William Peden, et remporte avec lui des courses à Minneapolis (1931), Chicago (1932), Montréal (1932 et 1934) ou encore Toronto (1934). Alors qu'il conteste une décision des juges, pendant les Six jours de Montréal 1940, il se voit prendre une suspension ainsi qu'une amende de 50 dollars. L'affaire pourrait s'arrêter là mais son caractère et la fatigue (NB : il était 2h du matin) le pousse à se rendre dans la loge des juges pour les frapper. Toutefois il est retenu puis forcé de sortir de la piste.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, il combat pour l'US Navy. Il meurt en 1989 à l'âge de 78 ans.
2ème partie : Perte de vitesse et remobilisation
Malgré quelques efforts individuels, le vélo comme moyen de transport perd en popularité pendant l'entre-deux-guerres et se voit dépasser par le tramway de Montréal construit en 1892.
En 1967, le père Gabriel Lupien fonde la Fédération cyclotouriste provinciale. Déjà, au début des années 1960, Gabriel Lupien organise des activités autour de la sécurité à bicyclette qui s’adressent aux jeunes garçons.
Le vélo deviendra même une pratique dangereuse puisqu'en 1974, 84 cyclistes sont morts au Québec.
Robert Silverman s'en souvient : « C’était affreux. Il n’y avait aucune infrastructure. Il n’y avait même pas de vocabulaire cycliste. On ne parlait pas de “piste cyclable”, on ne parlait pas de “stationnement pour vélos”. Il n’y avait rien. C’était dangereux »
Toutefois dans les mêmes années, le vélo revient à la mode et particulièrement sous l'impulsion de ce même Silverman. Celui-ci plus connu sous le nom de Bicycle Bob, Claire Morissette et Jacques Desjardins fondent en 1975 Le Monde à bicyclette, un groupe qui mènent des actions, parfois même illégales, pour promouvoir le cyclisme à Montréal.
La même année, 3000 cyclistes les rejoignent lors du premier défilé organisé par le collectif. Le groupe de cyclistes peignent les pistes cyclables eux-mêmes jusqu'a écopé de plusieurs jours de prison pour cela et principalement Silverman .
En 1983, Le Monde à bicyclette remporte sa plus belle bataille après qu'un juge de la Cour supérieure déclare l'autorisation de transporter le vélo dans le métro, chose impensable pour la Société de transport de Montréal oposée au groupe de Silverman.
Lors d'une action médiatique celui surnomé ''Bicycle Bob'' sé déguise en Moïse pour « séparer les eaux du fleuve » La raison ? Le Monde à bicyclette milite pour que les cyclistes aient accès aux ponts et notamment pour la Rive-Sud. Nouvelle victoire en 1990 pour le groupe lors de la construction d’un pont cycliste près du pont Victoria, aux écluses de Saint-Lambert. Dans les années 90, le groupe disparaît. « On avait obtenu beaucoup de ce qu’on avait demandé, explique Silverman. Les cyclo-frustrations avaient beaucoup disparu. »
À force de mobilisation, le vélo revient à la mode et les autorités finissent par l’admettre comme un mode de transport à part entière.
L'activiste Robert Silverman alias Bicycle Bob
En 1973, la Fédération cyclotouriste provinciale devient la Fédération québécoise de cyclotourisme. Il faut attendre jusqu’en 1979 pour qu’elle prenne le nom de Vélo Québec. D’abord considérée comme un loisir, le vélo redevient peu à peu un moyen de transport.
Dans les mêmes années, l'Union Cycliste Nationale, qui régit le cyclisme au Québec change de nom pour devenir la Fédération cycliste du Québec puis en 1985 elle prend sa forme définitive pour devenir la Fédération québecoise des sports cyclistes (FQSC).
En 1985, Vélo Québec organise le premier Tour de l’île de Montréal. Cette première édition rassemble plus d’un millier de participants et les cyclistes parcourent alors de nouvelles pistes cyclables aménagées dans la partie est de l’île.
L’année suivante, l’événement réunit 15 000 sportifs. Se déroulant début juin, il rassemble chaque année des milliers de participants de 7 à 77 ans.
3ème partie : De Montréal-Québec au Grand Prix cycliste de Montréal
La classique Montréal-Québec reste la course mythique du Québec. Créée en 1931, cette course d’endurance de 187 milles (300 kms), destinée aux amateurs seulement, se fait en une seule étape et dans une limite de temps de 14 heures à l'époque. Il s’agit de la plus longue course d’endurance en Amérique du Nord. Le gagnant de cette première édition fut Zénon Saint-Laurent, membre du célèbre club Quilicot. Ce dernier remporte la course en 1932. La première édition a servi à la Canadian Wheelman Association d’épreuve éliminatoire pour les Jeux olympiques de 1932.
En 2011, la course fait 242 kms.
Devenue depuis une tradition annuelle, elle porte aujourd’hui le nom de Classique Montréal-Québec Louis-Garneau.
Anciennement la course se déroulait de Québec vers Montréal. Elle fait actuellement partie des nombreuses cyclosportives canadiennes.
De plus, on ne peut passer à côté du Tour de Beauce. D'abord crée en 1986 comme étant le Grand Prix cycliste de Beauce (GPCB), la première édition s'est étalé sur deux jours. L'année suivante, la course fait office des championnats de Québec.
La course prend de l'ampleur en 1988 lorsqu'elle devient une manche de la Coupe du Canada puis permet de désigner le champion du Canada ainsi que de sélectionner les coureurs qui prendront part aux Jeux Olympiques de Séoul.
En 1990, la course se déroule sur 5 étapes. En 1991, le Mont Mégantic est ajouté comme final d'étape devenant au fur et à mesure le lieu privilégié de l'épreuve. En 1996, l'Union Cycliste Internationale (UCI) attribue au GPCB le niveau 2.4 correspondant au niveau le plus élevé en Amérique équivalent au Clásico RCN en Colombie. En 2001, la course fait plus de 1 000 km et dure huit jours. L'année suivante elle passe en 2.2.
Pour ses 20 ans, en 2005, le Grand Prix cycliste de Beauce se renomme le Tour de Beauce. En 2018 elle compte 33 éditions.
Quelques vainqueurs : Jonathan Vaughters (1997), Levi Leipheimer (1998 et 1999 mais non attribué cette année là en raison d'un déclassement pour dopage), Michael Rogers (2002), Svein Tuft (2008), Francisco Mancebo (2011), Toms Skujiņš (2014), Peio Bilbao (2015).
Toms Skujiņš (Hincapie Sportswear Development Team) s'imposant devant Rob Britton (Team SmartStop) et Edson Calderon (4-72 - Colombia) sur la dernière étape du Tour de Beauce 2014. Le letton remporte l'épreuve.
En 1998, Montréal accueille pour la première fois une grande course sur route internationale : le Grand Prix des Amériques faisant partie de la Coupe du Monde de cyclisme de 1989 à 1992, année de sa disparition. Steve Bauer ou encore Franco Ballerini ont remporté la course.
Un peu en retrait, le Grand Prix cycliste de Saguenay est une course cycliste canadienne organisée depuis 2008. Entre 2008 et 2013, l'épreuve s'appelle Coupe des nations Ville Saguenay et elle accueille une manche de l'UCI Coupe des Nations U23. Depuis 2014, l'épreuve est réservée aux coureurs et équipes professionnels en la faisant passer en catégorie 2.2. et se renomme Grand Prix cycliste de Saguenay pour l'occasion.
Aujourd'hui les deux classiques de septembre renforce la place du Québec dans le cyclisme. Créés en 2010 et passant en World Tour l'année suivante, le Grand Prix cycliste de Québec et Grand Prix cycliste de Montréal marquent le retour du grande course à Montréal depuis le Grand Prix des Amériques.
Peter Sagan vainqueur du GP de Québec 2017
Par ailleurs, une équipe québecoise se forme. Garneau-Québecor créée en 2000 avec le statut amateur passe dans la catégorie continentale en 2012 puis possède dans ses rangs Michael Woods en 2013. L'ancien cycliste et Louis Garneau (NB : il donne son nom à la classique Montréal-Québec Louis-Garneau) devient manager de l'équipe. L'équipe perd sa licence continentale fin 2017.
En 2018 l'équipe Probaclac / Devinci est une équipe Continentale. Le sponsor Probaclac est une compagnie québécoise qui se spécialise dans la fabrication de suppléments de probiotiques pour soutenir la santé et et l’immunité gastro-intestinale. Devinci est un constructeur de vélos dont le siège social se trouve à....Saguenay. 100% Québec.
Actuellement, parmi les canadiens professionnels, Guillaume Boivin (Israel Cycling Academy), Antoine Duchesne (Groupama-FDJ) et Hugo Houle (Astana) sont originaires du Québec.
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