levrai-dufaux a écrit : 01 juin 2018, 11:44
Je fais partie de ceux qui pensent que Froome n'aurait pas du être au départ du dernier Giro compte tenu de son contrôle anormal sur la Vuelta 2017 et, à ce titre, sa victoire sur ce Tour d'Italie m'apparaît comme une défaite importante et amère pour la lutte anti-dopage et la crédibilité du cyclisme.
Pourtant, je suis assez choqué et mal à l'aise avec le manque d'objectivité du forum vis-à-vis de la performance globale de Froome sur ce Giro. Pour schématiser, j'ai l'impression que la réaction majoritaire sur VCN a été à la fois de crier au dopage et, d'autre part, de minimiser l'exploit accompli par Froome lors de l'étape du Finestre.
Je suis en total désaccord avec ces deux attitudes.
En ce qui concerne le dopage, les temps d'ascension réalisés par Froome au Zoncolan et lors de l'étape du Finestre sont loin d'être suspects et, j'irais même plus loin, accrédite la thèse d'un dopage moins lourd qu'à une certaine époque à laquelle Froome est souvent ramenée.
Regardons du plus près :
- Froome a gravi le Finestre en 1h04'20. A titre de comparaison, Rujano lors du Giro 2011 l'avait escaladé en 1h02'09 et en 2015, Landa en 1h02'51. Et pourtant, cette année, il y a eu un rythme d'enfer du pied jusqu'au sommet. Ok, on pourra dire que le relais de Puccio n'était pas supersonique, mais je soulignerais que ce relais a été suffisant pour réduire le groupe des favoris à une quinzaine d'unités distançant des coureurs comme Geniez ou Dennis. On était donc loin d'un rythme de sénateur. Ensuite, Elissonde a mis un relais stratosphérique, Froome a fait une puissante attaque à 10 km du sommet. Bref, il y a eu une bagarre terrible et pourtant le temps de Froome est bien en deçà des performances accomplies en 2015. Il est vrai que l'étape a été couru à bloc jusque là, et cet aspect explique probablement beaucoup de défaillances auxquelles nous avons assistées dans ce col. Mais, en soi, la performance de Froome dans cette ascension n'est pas particulièrement suspecte. J'ai lu qu'il aurait développé une puissance moyenne de 397 watts dans cette ascension. Là aussi, les indicateurs de puissance confirmeraient qu'on est loin d'une performance "mutante" comme dirait Vayer.
- Dans Sestrières, Froome aurait perdu 1'45 sur le Aru 2015 qui avait pourtant monté plus rapidement que lui le Finestre. Et pourtant, c'est en grande partie dans cette ascension que Froome a creusé l'écart avec ses poursuivants...
- Sur la montée finale vers Bardonecchia, beaucoup ont été choqués que Froome ne concède pas de temps au groupe Dumoulin. Mais peu ont noté que, dans le même temps, Froome n'avait absolument rien repris dans cette ascension au groupe Pozzovivo-Formolo-Bennett. Tout le monde était cuit et a grimpé cette ascension a peu près au même rythme. D'ailleurs, là encore, en regardant le temps de Froome on voit qu'il est à plus de 2 minutes du temps d'ascension réalisé par Nibali et Santambrogio en 2013 dans une configuration où ça n'avait pas bougé avant les derniers kms. Ce débours est bien logique vu les efforts consentis par Froome avant cette ascension, mais là encore, 2 minutes de perdues sur 7 km d'ascension, ça montre que celle-ci n'a rien de spécialement suspecte.
- Enfin, sur le Zoncolan, Froome est monté en 39'58, là encore nettement en retrait de Piepoli et Simoni et leur 39'03. Et pourtant, les conditions de course très fraîches du jour étaient favorables à une grosse perf' tout comme le fait qu'il s'agissait de la première véritable étape de montagne sur ce Giro. De plus, Froome est loin d'avoir mis une valise à ses adversaires ce jour-là : Yates est à 5 secondes, Pozzo toujours très à l'aise sur les gros pourcentages à une vingtaine de secondes avec MAL et Pinot et Dumoulin sont autour de 40 secondes. Bref, il n'y avait pas un monde d'écart entre Froome et ses adversaires ce jour-là.
En conclusion sur la question du dopage, je comprends et partage la suspicion qui entoure l'équipe Sky et Froome, mais les performances réalisées par Froome sur ce dernier Giro en montagne ne sont pas particulièrement suspectes, il faut savoir le reconnaître. Et, si on est convaincu que Froome se dope, son niveau de performance suggère un dopage moins lourd que celui des années 2000.
Mais le manque d'objectivité du forum vis-à-vis de Froome va plus loin que le dopage. C'est la portée même de sa performance du Finestre qui est minimisée. Je vais le dire très clairement : Froome a réalisé ce jour-là le plus grand exploit en montagne des 50 dernières années. Voilà ni plus, ni moins, ce à quoi nous avons assisté. Et ce, au terme d'une étape sensationnelle par son scénario, ses défaillances, sa bagarre incessante, ses incertitudes tactiques (attendre Reichebach ou non ? Dans quelle mesure en garder pour le col final, etc...). Nous avons vécu un grand moment de cyclisme, et personnellement, j'ai beau ne pas apprécier Froome, j'ai vibré comme rarement. Pour moi, Froome a prouvé ce jour-là qu'il n'était pas une arnaque, mais un grand champion.
J'ai lu que selon certains, Froome n'avait pas spécialement pris de risques dans cette étape car il n'avait pas d'autre choix pour remporter ce Giro. C'est une blague ? Dans le Finestre, Froome est entouré par De la Cruz, Henao, Elissonde et Poels. Yates est en perdition. Il reste plus de 80 kms. Qui, à ce moment, pense vraiment que Froome va attaquer en solitaire dans le Finestre ? C'est insensé ce qu'il a fait, et c'est une prise de risque incroyable compte tenu de la configuration de la course. Sachant que l'étape du lendemain était plus propice à un raid solitaire et à de gros écarts, Froome aurait très bien pu se dire : "ok, Yates est out, je suis à moins de 3' de Dumoulin, on met un train d'enfer jusqu'à Jafferau avec mes équipiers et je mets une mine terrible dans le col final pour reprendre 1' à 1'30 avant de finir le job demain". Mais il n'a pas fait ça. Lorsque j'ai vu Henao en difficulté, puis de la Cruz s'écarter, je me suis dis que les Sky s'étaient vu plus beaux qu'ils n'étaient (surtout que Poels n'a servi à rien et n'a pu passer le moindre relais non plus). Puis lorsque Elissonde a accéléré et Froome a placé son attaque, j'étais sidéré. Comment ne pas reconnaître le panache de Froome ? A ce moment de la course, je ne pensais vraiment pas qu'il irait au bout de son raid. Mais il a été incroyablement fort sur la durée et la configuration de course a été parfaite pour lui (Reichenbach qui ne sait pas descendre alors que Froome a fait des descentes magistrales, Pinot qui crève, les sud-américains qui pourrissent l'entente du groupe de poursuite).
J'ai également lu que, sans son équipe, Froome n'aurait jamais pu faire une telle performance. Mais il me semble que la Movistar, Astana ou même la FDJ avait des collectifs suffisamment forts en montagne pour appliquer la stratégie de la Sky ce jour-là. La vérité, c'est que seule la Sky a couru pour la gagne, et que seul Froome était assez fort pour réaliser un tel exploit.
Pour conclure, je n'aurais jamais pensé écrire un plaidoyer "pro-Froome" avant ce Giro. Mais entre temps, j'ai assisté à une performance sensationnelle qui mérite d'être soulignée comme telle. Je ne comprends pas pourquoi, sur ce forum, Pantani (mon coureur préféré) est encensé alors qu'il était autrement plus chargé que Froome. De manière un peu provocatrice, j'ai envie de dire qu'à l'image du Pirate qui avait sauvé le Tour 98 de la farce complète avec son exploit des 2 Alpes, Froome a en quelque sorte sauvé ce Giro 2018 avec son exploit de Bardonecchia : quoi qu'il arrive maintenant sur le plan de la justice sportive, il a gagné ce Giro sur le terrain, comme Contador avant lui en 2011.