allezlasse a écrit : 12 juil. 2017, 15:59
je confirme pour l'article de velochrono, j'essaierai de vous le retrouver dans mes archives
C'est un peu tardif mais j'ai fini par remettre la main sur l'article en question :
Tout le poids du cyclisme italien
Par Alexandre Philippon
mardi 3 juin 2014 - 20:40
C’est au cours d’un Giro hommage à Marco Pantani qu’un tout jeune Italien, Fabio Aru, a réussi l’exploit de monter sur le podium final à seulement 23 ans. Si les comparaisons de style avec le Pirate sont un peu exagérées, il existe cependant une véritable lignée qui lie le Sarde au défunt auteur du doublé Giro-Tour, incarnée par la personnalité la plus décriée du cyclisme amateur transalpin, Olivano Locatelli. Aru hérite aujourd’hui d’une pression sportive énorme mais aussi d’un héritage douteux. Il joue pourtant cartes sur table.
De Popovych et la Zoccorinese à Aru et la Palazzago
Quand il a gagné à Montecampione, quand il a terminé deuxième du cronoscalata de la Cima Grappa, et surtout quand il a rallié Trieste à la troisième position du général final, Fabio Aru, sensation du Tour d’Italie 2014, a toujours eu un mot pour son mentor, Olivano Locatelli : « Je le remercie parce qu’il s’est toujours attaché à ce que je garde les pieds sur terre, même quand j’ai commencé à avoir des résultats importants. » Une déclaration passée inaperçue car cet homme qui n’a pas eu de carrière en tant que coureur sait se tapir dans l’ombre. Son nom ne revient guère que dans les médias spécialisés italiens et les archives poussiéreuses. Il n’occupe aucune fonction officielle chez les pros, que ce soit chez Astana, l’écurie de Fabio Aru, ou ailleurs. Locatelli est pourtant l’auteur d’une multitude de miracles auprès de jeunes coureurs. Tout ce qu’il touche se transforme en or. Aujourd’hui âgé de 58 ans, il débute comme directeur sportif en 1989 chez Verynet-FNT-Juvene San Marino, l’ancêtre de la Saeco. Son premier coup de maître est d’accompagner la progression des jeunes Wladimir Belli et Ivan Gotti – ce dernier va ensuite gagner le Giro. Il coachera également Fabio Casartelli, Giovanni Lombardi, Paolo Savoldelli, Gianluca Bortolami, Dario Frigo, Salvatore Commesso, Giuseppe Guerini, Gian-Matteo Fagnini ou encore Eddy Mazzoleni. L’équipe devient Mercatone Uno, puis s’allie avec Carrera et récupère… Marco Pantani. Le patron du domaine sportif s’appelle Giuseppe Martinelli et Olivano Locatelli n’est pas sur le devant de la scène, mais il a apporté sa pierre à l’édifice pour le doublé Giro-Tour du Pirate en 1998. C’est toute une décennie de réussite du cyclisme italien qu’il accompagne.
Et en 2000, c’est le retour aux origines : le cyclisme amateur. Olivano Locatelli devient le boss de l’équipe Zoccorinese-Vellutex. Dès l’année suivante, sa réussite est indécente. Sa stratégie est simple : recruter des étrangers pour mettre un coup de pied au cul d’Italiens « privés d’esprit critique, perturbés par leur famille et la société, qui pensent déjà qu’ils sont tous des champions ». L’arrivée de coureurs « qui ne coûtent pas cher et ont plus de volonté », notamment de l’Est de l’Europe, doit entraîner « une remise en cause » des talents de la Botte. Son dévolu se porte ainsi sur les Ukrainiens Ruslan Gryschenko et Yaroslav Popovych. Gryschenko va remporter Liège-Bastogne-Liège espoirs en 2001 au nez et à la barbe des joyaux embourgeoisés. Plus tard dans la saison, c’est le Mondial de Lisbonne. Ce n’est plus une course par nations : la Zoccorinese survole les débats par maillots interposés. Popovych s’impose devant Caruso et Gryschenko. Triplé Locatelli. A la Gewiss, Flèche wallonne 1994 : un cran au dessus du reste du monde. Fraîchement irisé, Popovych signe un premier contrat pro avec l’équipe Landbouwkrediet-Colnago, dont… Locatelli prend les commandes ! Retour à l’étage supérieur, obtention d’invitations pour le Tour d’Italie. Dès 2003, « Popo » est sur le podium de la course rose.
Près de dix années plus tard, Olivano Locatelli sévit toujours à l’échelon amateur. Il est le directeur sportif de la Palazzago. En 2008, il a repéré un coureur sur le Giro di Lunigiana : Fabio Aru. Originaire de Sardaigne, parent pauvre du cyclisme italien, le gamin n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’étalonner sur route. Il a déjà disputé un Mondial juniors, mais en… cyclocross, se classant en tout début d’année à une anecdotique 26e place, à Trévise, sur une course gagnée par Arnaud Jouffroy devant Peter Sagan. Discret vingtième du Lunigiana, il est loin de crever l’écran. Le Français Boris Zimine, présent sur la course, ne se « souvient absolument pas » de la participation de l’Italien à cette compétition. Locatelli beaucoup plus. Le voilà donc engagé à la Palazzago. C’est le grand saut. Problème : ses racines sardes vont lui manquer. Loin de sa famille, il tombe en dépression, ce qui ne l’empêche pas de terminer troisième de la course de côte Bassano-Monte Grappa, là même où il sera tout près de battre Nairo Quintana cinq années plus tard. L’éclosion a lieu en 2010, avec sa quatrième place obtenue sur la course référence du circuit espoirs italien, le Tour du Val d’Aoste. La saison suivante, il se classe deuxième du Girobio, s’adjuge haut-la-main le Val d’Aoste. Il remet ça en 2012 : il est le meilleur U23 du monde en montagne. Dès le 1e août, n’ayant plus rien à accomplir chez les jeunes, il signe dans la formation World Tour Astana, où il rejoint Giuseppe Martinelli, l’ancien collègue de… ce sacré Olivano Locatelli. Les débuts sont prometteurs, avec un soutien très apprécié par Vincenzo Nibali lors de sa victoire sur le Tour d’Italie 2013, et la chute de Michele Scarponi sur l’édition suivante le propulse au rang de leader improvisé.
Locatelli, la science du cyclisme
Les Italiens ont un rapport particulier au leadership. Chez les jeunes, toutes les équipes du pays s’articulent autour d’un coureur à qui toutes les responsabilités sont confiées. Axel Domont connait bien ce schéma : « On aimait bien, avec le Chambéry CF, aller en Italie parce que se mesurer à de tels jeunes, qui avaient toute une équipe à leur service, ça nous apprenait à courir comme les pros, témoigne-t-il. On retrouvait toujours les mêmes hommes forts, dans des équipes où il y avait les équipiers, les baroudeurs, le leader et ceux qui le placent au pied du col. » « Introniser les plus forts dans le rôle de leader, les Italiens font ça dès les rangs juniors », continue Boris Zimine. Olivano Locatelli a toujours fonctionné de cette manière, dès la fin des années 80, et forcément, Fabio Aru l’a expérimenté. « Il était déjà habitué à courir en leader, avec toute une équipe pour lui, qui canalise la course, conclut Clément Chevrier. C’était lui contre le reste du peloton et il gagnait quand même. » Aucun jeune coureur français ayant mis ses roues sur les routes transalpines chez les U23 n’aura été surpris de voir Fabio Aru batailler avec les tous meilleurs sur le récent Giro, avoir les épaules pour assumer les responsabilités dans son équipe, tenir dans la tête plus de vingt jours. Locatelli aura tout réussi avec lui : déceler son potentiel, le développer, le tout selon un timing parfaitement maîtrisé. Durant l’été 2011, il expliquait pourquoi son protégé n’allait pas franchir le Rubicon tout de suite : « Physiquement, il n’est pas prêt. Il faudrait qu’une équipe soit OK pour le laisser tranquille pendant sept à huit mois en 2012, de façon à le laisser grandir, et nous pourrons alors conclure un accord. » Ce fut donc Astana.
Fabio Aru a donc de bonnes raisons de remercier Olivano Locatelli devant tous les médias quand il s’affirme comme la nouvelle sensation du cyclisme italien. Mais attention à ne pas se prendre les pieds dans les casseroles du gourou. Il y a une immense zone d’ombre dans son parcours et elle remonte à 2003. Yaroslav Popovych vient de terminer troisième du Giro. Quelques jours plus tard, une affaire éclate : le procureur de Brescia ordonne l’arrestation de deux dirigeants italiens : William Dazzani et… Olivano Locatelli. Chef d’inculpation ? Il reçoit et fournit des médicaments interdits dans le cadre d’un trafic de produits dopants. Des écoutes téléphoniques le surprennent en train d’informer des coureurs majeurs sur le bon dosage à choisir pour éviter les contrôles positifs, mais aussi de commander des substances auprès de médecins et infirmiers corrompus. Un ex-coureur amateur, sous couvert d’anonymat, explique avoir stoppé sa carrière à cause de malaises cardiaques survenus pendant qu’il évoluait dans la structure de Locatelli. « M.F. » dévoile la liste des courses : testostérone, acides animés, cortisone, Neutron, Sensurrene, Maxicortex, Sinarten-Depox. « Si tu ne prends pas ça, tu ne pourras même pas finir la course », lui disait le technicien si l’on se réfère à son témoignage. « Les autres équipes font pire, nous faisons le strict minimum. » C’est cet homme sulfureux que Fabio Aru a remercié à chaque fois que les micros, en troisième semaine du Tour d’Italie, lui en donnaient l’occasion. Ou comment jouer cartes sur table et clairement assumer ses fréquentations. Il a raison : personne ne les a décriées et c’est toute l’Italie du vélo qui l’adule.