Salut Iguane,
Merci pour ton message mesuré.
Tu as raison, je me suis laissé emporter par l'agacement que m'avaient procuré certains messages et me suis montré surement trop caricatural dans la forme de mon propos. J'en suis désolé.
Nous avons cependant des visions différentes et je pense qu'il sera difficile de nous mettre d'accord mais je trouve intéressant de les confronter. Je vais reprendre les points de ton message et essayer d'y répondre.
Dans toutes les disciplines athlétiques on parle en terme de record, sur piste on parle de record, ça reste un marqueur important de la performance.
Je te l'accorde, on continue d'accorder de l'importance aux records dans les disciplines athlétiques. Mais l'athlétisme est justement un bon exemple pour montrer que les temps ne sont pas comparables à travers les époques. Regarde ce qui se passe depuis quelques années sur marathon et la révolution des plaques carbone. Ces chaussures, plus que l'effet rebond qu'elles offrent, ont surtout amélioré la récupération des coureurs et leur ont permis d'augmenter leurs charges d'entraînement tout en réduisant les risques de blessure et la fatigue (faire des semaines de 300 km comme a pu l'affirmer Kiptum, cela était tout bonnement impossible sans courir à la blessure).
Résultat : des chronos qui explosent à tous les niveaux. En France par exemple, courir 2h06 comme l'a fait Felix Bour à Valence fin 2023 ne lui permettra même pas de figurer dans l'équipe de France olympique. 2h06, cela a pourtant constitué le record de France durant près de 20 ans. Mais entre les 2h06'36 réalisés en 2003 par Benoit Z. et les 2h06'46 de Bour, il n'y a plus rien de comparable justement. Le gain admis grâce à ces chaussures est de l'ordre de 2 à 3 minutes (cela varie d'un athlète à l'autre, certains sont plus réceptifs que d'autres). Un Mehdi Frère par exemple affirmait après avoir couru 2H08 il y a quelques années à Valence que son chrono en "valeur absolue" était inférieur aux 2h09 réalisés par Abdellah Behar au marathon de Paris vers l'an 2000.
Même dans une discipline aussi "simple" techniquement que la course à pied, des révolutions sur le matériel peuvent avoir des conséquences énormes sur les performances et rendre incomparables les époques. Sur piste, les nouvelles pointes, les lièvres lumineux contribuent également à accélérer les chronos. De nombreux records du monde réalisés dans les années 1990 ou 2000 ont été battus (5000 et 10 000m par exemple) ou menacés (y compris l'emblématique 3'26'00 d'El Gerrouj sur 1 500m).
Je pense également qu'on est capable de faire la différence entre le contexte d'une performance et celui d'une autre.
Tu as raison... sauf que ce n'est pratiquement jamais fait. Que ce soit par les journalistes ou la plupart des intervenants de ce forum ou des réseaux sociaux, on se contente souvent de poster une liste de temps puis d'y adjoindre un commentaire sarcastique du type "tout va bien
"
Et je m'inclus dans la critique. Lorsque dans l'un de mes messages, j'ai mentionné la performance de Guerrero au Ventoux en 2022, il aurait été facile d'objecter qu'une performance sur une course d'un jour n'est pas comparable à une étape arrivant au Ventoux après 240 km en fin de deuxième semaine du Tour de France (performance de Froome en 2013 à laquelle j'avais comparé le temps de Guerrero).
Mais le contexte est justement l'un des éléments qui rend la comparaison des temps d'ascension quasiment impossible. Si je reprends l'exemple de Froome et Guerrero au Ventoux, on comprend bien que sur une course d'un jour, le second arrive avec plus de fraîcheur que le premier mais comment quantifier le différentiel en temps ? Cela me paraît tout bonnement impossible. Donc oui, on va pouvoir écrire des articles affirmant que Guerrero a grimpé le Ventoux plus rapidement que Froome. Cela est factuellement vrai. Mais, en replaçant chaque performance dans son contexte, on arrive simplement à la conclusion que les deux performances sont juste ... incomparables. Par conséquent, il n'y que peu d'intérêt à mener ce type de comparaison, et même aucune pour prouver un quelconque dopage. Les comparaisons pertinentes, ce sont celles conduites sur une même course.
Qu'on vienne pas m'embêter avec les progrès technologiques, un vélo reste un vélo surtout que ceux de 1995 pèsent le même poids que ceux de 2024. Les améliorations aéro et roulement jouent sur une fraction des 10 à 15% de la puissance développée.
Alors désolé, mais je vais venir "t'embêter" avec les progrès technologiques
L'argument de l'amélioration du rendement du matériel me paraît tout à fait recevable. Je l'ai déjà mentionné dans un précédent message mais l'an passé, l'équipe Bahrain a mené des tests concluant que sur le plat, on constate une différence de 2 km/h entre un vélo de 1989 (un Carrera en acier) et un vélo 2023 (un Merida Scultura) pour la même puissance développée (c'est Colbrelli qui a conduit cette expérience en tournant à 300 watts sur le plat et en montée). Surtout, ce qui était observé est qu'il y avait peu d'écart entre le Carrera de 1989 et un vélo de 2012 (un Pinarello de l'équipe Movistar) mais que l'écart s'était essentiellement creusé entre 2012 et 2023. Est-ce que ce sont simplement des "salades des discours autorisés" selon toi ? Je ne crois pas que l'on puisse réduire cela à du simple marketing.
Dans le même ordre d'idée, j'avais aussi lu un témoignage de Zubeldia qui revenait sur la principale innovation à laquelle il avait assisté durant sa carrière cycliste. Il s'agissait de l'apparition des dérailleurs électroniques. D'après lui, avant cette introduction, les coureurs économisaient leurs changements de braquets lorsqu'ils étaient à bloc dans un col tandis qu'avec l'électronique ils n'avaient plus à s'en soucier.
Ce sont des petites choses je te l'accorde mais, additionnées les unes aux autres (matériel + micronutrition + gains aérodynamiques liés aux casques et aux tenues), elles conduisent à de grandes différences. Certes, ce n'est pas spectaculaire et il n'y a pas UNE révolution en particulier (qui soit aussi nette que les chaussures carbone sur marathon par exemple) mais à l'arrivée, je n'ai pas le sentiment qu'un vélo de 2024 soit directement comparable à un vélo de 1995. Il n'y a d'ailleurs qu'à voir l'évolution de l'organigramme des équipes au cours de cette période pour se rendre compte que la course à l'innovation est devenue une obsession pour chacune d'elles. Par exemple, chez Specialized, il ont un département (Ride Science) dont l'unique rôle est de collecter un maximum de données pour ensuite conseiller les équipes utilisant leur matériel comme Quick Step ou Bora. Là encore, cela n'existait pas il y a une trentaine d'années : nous sommes passés à une approche beaucoup plus scientifique de la compétition et nous disposons d'outils permettant de le faire qui n'existaient pas il y a 25-30 ans.
Il y a un argument "intéressant" dans le discours de Levrai quand on le lit attentivement, celui du passeport biologique. Il rendrait actuellement impossible le dopage sanguin.
Rappelons que ce passeport biologique possède un volet "sanguin" et un volet "stéroïdien". Il recense les valeurs de certains paramètres mesurés à l'occasion de différents prélèvements sur l'athlète, prélèvements établis d'année en année.
Ce passeport biologique n'est pas infaillible. Sinon des coureurs comme Stefan Denifl ou Pirmin Lang qui ont avoué d'être dopés de longues années sous la conduite de Mark Schmidt (on est sur les années 2015 environ) auraient été choppé par cet outil.
Je ne pense pas non plus que le passeport biologique soit infaillible. En revanche, je pense qu'il limite les possibilités de grosses manipulations sanguines. En résumé, le dopage sanguin n'a probablement pas disparu, mais je suis convaincu qu'il ne peut plus être pratiqué dans les mêmes proportions que dans les années 1990.
Donc je pense en conclusion que le post de Levrai part d'un bon sentiment sur le dopage, quant à la comparaison avec les années 90, qui n'est pas tenable dans le sens où un produit totalement indétectable et terriblement efficace n'est pas connu à ce jour. Cependant il mélange beaucoup de choses et va dans une caricature au moins aussi outrancière que les excès dénoncé sur l'interprétation des fameux temps d'ascension. Dommage
Nous sommes d'accord sur le fait que la comparaison avec le dopage des années 1990 n'est pas tenable.
Pour certains, on dirait que les temps des années 1990 ne peuvent pas être atteint sans recourir à un dopage lourd. Et si jamais ils le sont, c'est bien la preuve que le cyclisme va mal (à se demander quand il allait bien à les lire mais c'est un autre sujet). Ce que j'ai voulu ajouter, et c'est surement ce que tu me reproches, c'est qu'on ne peut pas fixer ainsi une limite arbitraire qui, une fois franchie, constituerait une preuve de dopage.
Pour dire les choses très clairement, je pense que les temps d'ascension de Pantani seront par exemple battus par des coureurs moins dopés que lui. D'ailleurs, soyons francs, si une arrivée à l'Alpe d'Huez était organisée, je n'ai guère de doutes sur le fait qu'un Vingegaard ou un Pogacar y feraient mieux.