Ce topic est intéressant, mais un point n'a pas été abordé : la mondialisation du cyclisme, celle des fédérations sportives en général et en particulier. Le mouvement actuel est au reflux et nous allons retrouver le sens des limites.
Je suis d'un temps que les moins de 20 ans n'ont pu connaître. J'ai connu le cyclisme de la fin des années 60, quand c'était une affaire, en gros, de Belges, d'Italiens et de Français, saupoudrés de quelques Hollandais, Suisses, Espagnols, Luxembourgeois, Allemands, Anglais, Danois. Pas de sponsors chinois, quataris, guatémaltèques, australiens, et que des courses sur le territoire européen, toutes concentrées dans les pays historiques du cyclisme. Nous étions entre nous, et les équipes ne ressemblaient pas à un défilé chamarré de la Gay Pride, où on ne sait plus qui est quoi, où on mélange des nationalités improbables (perso, ça m'angoisse, car j'aime les structures identitaires fortes : une équipe belge devrait comporter au moins 75% de coureurs belges, désolés).
Les équipes de mon époque étaient majoritairement sponsorisées par des marchands de cycles, des boissons et des glaciers. Aujourd'hui, par des multinationales improbables ou des pays. Que vendent la Sky, Astana, UAE Emirates ? Je l'ignore. Parlez-moi de Peugeot, Bic, Molteni, Scic, Salvarani, Ijsboerke, Flandria, Kas, etc. Il ne s'agissait que de sponsors locaux ou nationaux qui cherchaient à se faire connaître davantage, pas à l'échelle planétaire. Quand j'achetais un "Bic", j'avais le sentiment de supporter Luis Ocaña, Alain Santy ou Francis Campaner. Et, bien que Belge, j'en étais heureux, car les cyclistes étaient mes amis, jusqu'au dernier, le moins illustre, celui qui, au mieux, terminait 65e du GP de l'Escaut en deux années de professionnalisme. Les équipes étaient de petites (en Italie) ou moyennes structures, pas des machines à tuer genre ONCE, US Postals ou Sky aujourd'hui, dont les méthodes sont bien plus mafieuses que sportives selon moi, pour ce que j'en sais.
En 1972, on ne voyait pas d'Espagnols sur Paris-Roubaix. Qu'y auraient-ils fait, ces bonshommes tout bruns d'1m65 qui nous enchantaient par contre en juillet (Fuente, Lopez-Carril, Torres, Perurena, Galdos, etc) ? Les Anglo-Saxons ne faisaient pas la loi, y compris la loi étrange que permettent l'argent sous les tables et les pressions quasi politiques. Nous nous souvenons du boute-en-train Barry Hoban, qui avait poussé le chic jusqu'à épouser la veuve de son ami Tom Simpson. Pas d'Américains. De temps à autre un Australien (Donald Allan, en plus du pur pistard Danny Clark). Les scandinaves s'abstenaient de déferler, en quoi nous les aimions bien (ils courraient souvent en Italie, soleil oblige). Ils s'appelaient Ole Ritter ou Gösta, Sture, Erik ou Tomas Pettersson. En ce temps-là, on n'allait pas courir aux quatre coins de la planète dès janvier. Une saison cycliste sérieuse commençait avec le Circuit Het Volk fin février et se concluait au lendemain du Tour de Lombardie. On n'exigeait pas des coureurs qu'ils s'abstiennent de se doper tout en les obligeant à courir déjà en Australie dès janvier. Il était fréquent que des étapes de GT fassent plus de 250 km et qu'il y ait 6 ou 7 cols au programme de la journée. Certes, il y avait du dopage, mais de l'artisanal, du bricolé. Ces années-là, même bourré de pilules, un gros bourrin comme Riis n'aurait jamais fait mieux que 23e sur le Circuit des Régions Fruitières !
Bref, j'ai connu un cyclisme d'un autre temps, moins professionnalisé, certes, mais bien plus passionnant à suivre, sportivement parlant. En dehors du tour des Flandres et de Paris-Roubaix, je ne trouve plus guère à m'exciter (ah si : les Strade Bianche, course géniale). Le Tour m'emmerde, alors que jadis il me rendait fou et je passais mes après-midi de juillet l'oreille collée au transistor. Je revois les visages éprouvés, vers 78, des Van Impe, Zoetemelk et les autres au sommet de l'Alpe d'Huez, des types qui s'effondraient dès la ligne d'arrivée franchie, et je compare avec les petites mobylettes modernes, des types qui finissent 50e du Tour mais grimpent les doigts dans le nez, frais comme des gardons d'un bout à l'autre de la course. Je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais vu des Huysmans, Mintjens, Spruyt, Deschoenmacker, Bruyère, Janssens et autres van Schil emmener Merckx tout en haut du 124e col de la journée tout en faisant du stretching et en bavassant, en écœurant les plus grands grimpeurs d'alors. Impossible. La montagne, c'était l'affaire des grimpeurs individuels, pas des équipes. En montagne, le leader était tout nu et en bavait. Vrai de vrai.
La fin de ce monde, je l'ai vu arriver avec les années fric & flouze 80 : Bernard Tapie et La Vie Claire. C'est l'esprit d'une époque et l'ambition d'un homme qui ont tué petit à petit le cyclisme, ce cyclisme que j'aime toujours (car je suis encore un enfant quant au fond), mais qui me déçoit tellement tout le temps... Alors voici encore un Tour de France que je ne regarderai pas, préférant marcher dans la nature, faire de la botanique et des photos. Le soir, j'irai voir sur Cyclingnews le classement de l'étape, le général, le premier Belge, et puis basta. Peut-être que je suis devenu un vieux con nostalgique avec le temps, mais je pense sincèrement que nous sommes encore des millions de vieux cons comme moi, qui regrettons le cyclisme d'avant la folie mondialiste et l'anglo-saxonisation du monde (car là est le problème "philosophique" et politique majeur).
Un Tour de France idéal à mes yeux devrait couronner Bardet ou Nibali. J'aime bien Quintana, mais je hais Valverde, donc je ne souhaite pas la victoire de cette équipe. Nibali : le dernier coureur capable de gagner un GT et une classique ; Bardet, pas très folichon, pas très charismatique, un anti-teigneux, mais quelque chose dans son comportement sur le vélo qui fleure bon le cycliste d'antan, d'avant les oreillettes, les casques à la con et les lunettes de blaireau tatoué.
Vive la démondialisation du cyclisme ! À mort la Sky et les Angloys !
