l'Equipe a écrit:
GIRO 2017 11E ÉTAPE
« Je donnerai toute mon âme »
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIALPHILIPPE BRUNEL
À L'ATTAQUE HIER SUR LE MONT FUMAIOLO, VINCENZO NIBALI TIENT SES COMPTES À JOUR…
FOLIGNO (ITA)
– Depuis le départ d'Alghero, en Sardaigne, Vincenzo Nibali se fait discret et distille ses déclarations avec la prudence d'un chat échaudé. Mais ce soir-là, à Foligno, à la veille du chrono de Montefalco dans lequel il a colmaté en partie son retard sur Nairo Quintana, le Sicilien était affable. Nous l'avions retrouvé au bar de son hôtel, pour une conversation informelle, à bâtons rompus. Deux jours après son échec relatif sur le Blockhaus, où il avait souffert sur les plus forts pourcentages. « L'étape était courte, avec une montée sèche… Je préfère quand il y a plusieurs cols… » Il s'estimait déjà chanceux d'avoir échappé au mauvais sort qui attendait les Sky au pied de la montée, par la faute d'un motard de la police.
« Est-ce de l'habileté, du sangfroid ? J'ai failli tout perdre, moi aussi. Dans l'oreillette, j'entendais : "Nibali n'est pas là, il est tombé !" Siutsou avait déjà fait demi-tour pour m'attendre… » Il en conservait une frayeur rétrospective, l'idée que, dans un grand Tour, la réussite ne tient qu'à un fil. La Movistar n'avait jamais été « aussi forte » que ce jour-là, et pas seulement Quintana : « Au pied du Blockhaus, Anacona roulait à 60 km/heure. Impressionnant ! Il m'a rappelé Froome, dans le Tour, quand il tirait Wiggins. » La conversation s'était vite concentrée sur Quintana, son « rival absolu » qu'il n'apprécie guère. Une affaire d'épiderme. Au Blockhaus, il n'avait pas aimé l'entendre célébrer la mémoire de Michele Scarponi, tragiquement disparu. « C'est étrange comme beaucoup se réclament ici de l'amitié de Michele, lâcha-t-il, nombreux ne l'ont même pas connu… »
Il reste proche d'Anna, la veuve, et de ses deux enfants, parce que « c'est ce que Michele aurait voulu ». Le moment venu, il cherchera « à lui dédier quelque chose ». « Il me manque, énormément, avait-il ajouté, il m'aide aussi, c'est pour lui que je vais me battre. » Nibali était chaleureux, serein. L'an dernier, après ses revers à Corvara et dans la Cronoscalata del Val di Siusi, les critiques ne l'avaient pas épargné, ce qui explique sa discrétion. « On disait que j'étais fini, c'est mal me connaître. D'ailleurs, j'avais laissé dire. Je n'ai plus rien a prouvé. Comme tous les coureurs, je vais donner toute mon âme sur ce Giro qui n'est pas terminé.. » Sur sa propre équipe du Bahrain, si faible en montagne, ou le « vieux » Pellizotti endosse le rôle de capitaine, il esquive le sujet.« Ils m'aident sur le plat », dit-il, comme pour dire : je m'arrange avec le reste. Il peut aussi compter sur l'autre Sicilien, Giovanni Visconti, qui l'a rejoint après quatre années passées chez Movistar ou le Palermitain avait éprouvé l'ingratitude de Quintana, auquel il avait dit, ou plutôt craché ses vérités, à la Vuelta 2014. « Nairo jouait les patrons, tous les équipiers étaient agacés , un soir à table, il avait dû s'excuser », a rapporté Visconti dans le Corriere della Sera, ce qui lui vaut l'inimitié des Movistar qui, hier, avaient délégué Amador pour le contrôler, sur la route de Bagno di Romagna. De son côté, Nibali a tenté de sonder la résistance de Dumoulin, sur le mont Fumaiolo, à 27 km de l'arrivée. Dumoulin, le maillot rose, qu'il avait trouvé très « fourbe » sur le Blockhaus. « Il est revenu sur moi, n'a pas relayé puis a démarré sous mon nez. Je sais, c'est le métier, mais, lui, il fait vraiment sa course sans s'occuper des autres… » À Foligno, Nibali s'était irrité des propos de Cassani, le sélectionneur italien, estimant qu'il aurait pu réduire son retard sur le Blockhaus s'il n'avait pas riposté aux attaques de Quintana. « L'an dernier, quand j'allais mal sur le Giro, Cassani me conseillait de rentrer à la maison, de faire le Tour et d'aller aux Jeux ! » Il n'ajoute pas : « Heureusement que je ne l'ai pas écouté ! » Mais il le pense fortement. « Non, l'erreur, c'est Pinot qui l'a faite. » Pinot ? « Il n'aurait pas dû relayer Quintana, lui permettre de récupérer dans sa roue. Je comprends sa fougue mais, Quintana, c'est le client. Et de nous trois, Pinot était le plus rapide, il aurait dû jouer le sprint. » Sur Pinot, cette autre remarque : « C'est un grand coureur, à la pédalée très nerveuse, qui se lève, se rassoit sur la selle, mais précisément un peu trop prévisible…. » Lui se targue de « courir à l'instinct » et suggère qu'il « a ses plans ». Un jour, sans prévenir, il passera à l'offensive. « C'est Nibali le plus dangereux, il sent bien la mécanique du Giro, ses ressorts… Et lui ne baisse jamais les bras », remarquait l'autre soir Aike Visbeek, le directeur sportif de Tom Dumoulin, qui n'a pas oublié comment le Sicilien avait amené Steven Kruijswijk à la faute dans la descente de l'Agnello, en 2016, pour s'en aller gagner à Risoul un Giro qu'il semblait avoir déjà perdu. '