comme promis je réponds à ça :
Bradounet_ a écrit : 31 juil. 2019, 01:41
Pour tes explications au-dessus, elles se valent, bon, chacun campent dans son camp. Je comprends qu'un fan ne puisse pas forcément partager la même vision que moi sur Pinot et je ne pense pas pouvoir faire évoluer les choses et c'est peut-être très bien comme ça après tout.
Moi ça m'intéresse toujours de lire des avis contraires, et ça m'aide à ajuster ou amender le mien, et en effet on peut ne pas partager la même vision, ou pas tout, mais ça me fatigue un peu la réduction au "fan" comme si ça rendait forcément aveugle, comme si on avait tous le même avis parmi ses "fans" (il y a bien des nuances exprimées ici même) et comme si des avis divergents ou opposés comme les tiens n'avaient pas leur propre subjectivité, voire leurs propres biais...
Quand moi Bradounet_ , simple saltimbanque d'un forum cycliste, je dis après Prat d'Albis que le Tour est plié, je le pense et je peux l'écrire librement.
Peut-être bien que Pinot le pensait aussi à juste raison, il se dit qu'il tenait le bon bout et qu'il était supérieur à tout le monde.
Alors certes, il prend certains détours au début pour éviter de le dire clairement mais il finit par balancer une formule très explicite avec "il n'y a pas de raisons que ça change en 4 jours"). On comprend très bien où il veut en venir aussi quand il s’appesantit sur ses moyens physiques dans le Galibier et que malgré ça il était le deuxième meilleur. Le message, c'est "j'étais très fort et j'allais claquer une énième perf'".
Tout le monde le pense, même moi, mais ce n'est pas à lui de le dire ou de le laisser entendre dans la presse. Je trouve qu'il a bien répondu à la première question et aurait du en rester là.
" On ne saura jamais et je n’ai pas envie de me poser cette question."
Après toutes ses réponses tendent à faire plutôt semer le doute sur ce qui aurait pu se passer.
Pour moi, ça dénote un certain manque de classe. J'aurais aimé le voir plus elliptique quand bien même les médias voudraient lui faire dire des choses. J'imagine que Bernal ne doit pas vraiment apprécier de lire ça.
On lui pose une question, il répond. (à noter que Roos dans l'Equipe le relance beaucoup plus là-dessus que Guillou dans le Monde).
Il n'a pas non plus écrit un livre "ce Tour que j'aurais gagné" hein.
Et tu lui reproches à la fois de faire la com et de dire ce qu'il pense...
Forcément qu'il rumine au lendemain de la plus grande désillusion de sa vie (sportive, parce que moralement et physiquement, ça devait être encore plus terrible au Giro), c'est logique que malgré le fait qu'on ne saura jamais, et qu'il précise explicitement, il ne puisse s'empêcher de se dire "et si..." c'est suffisamment inédit et fort pour lui d'avoir été dans cette situation... "je commençais à rêver", on fait plus arrogante et péremptoire comme approche...
C'est humain, tu peux lui reprocher de ne pas dissimuler cette humanité, mais ça fait partie de lui, d'être nature, jusque dans ses colères, ses réactions de mauvais perdant, son exigence, ses bougonneries, ses gueulantes injustes, ses excuses, ses prudences au moment d'annoncer ses objectifs (mais il n'est jamais petit bras pour autant), ses évolutions, ses pudeurs, ses craintes, sa rage, ses coups de sang, ses sourires et ses vannes aussi...
C'est pas franchement son genre de manquer de respect à ses adversaires, il a même eu tendance à trop les respecter par le passé je trouve. Yates, par exemple (tiens, en parlant de déclarations fracassantes et pas forcément classieuses) il en a toujours parlé avec beaucoup de respect, presque trop. Et le fait qu'il collabore avec lui à la dernière Vuelta l'avait marqué « il aurait pu rester dans ma roue. Chapeau et... Ce sont des choses qui ne s'oublient pas de si vite ! ». Lui-même est apprécié dans le peloton malgré son côté ours et le fait qu'il baragouine un pauvre anglais apparemment. Il a toujours dit son grand respect pour Nibali qui a souvent été de la partie dans ses grands jours, et le respect est mutuel... Bref je ne vais pas multiplier les exemples mais il y en a plein.
En terme de manque de classe supposée dans les déclarations d'après-Tour, on peut regarder plutôt du côté de la Sky/Ineos qui lâche tranquillement qu'ils n'ont jamais été inquiets, qui ne cite même pas son nom, comme s'ils avaient été en maîtrise tout le long, que leur victoire avait été inéluctable, et que l'abandon de Pinot était un non-événement. C'est pareil, tu peux dire que c'est de la com, que c'est pour enfoncer le clou, tu peux supposer qu'ils le pensent vraiment aussi... Ils ont le droit de le penser bien sûr, mais en tout cas ils le disent, et c'est un peu malvenu (ou bien joué ?), enfin eux tirent un peu des plans sur la comète de ce qu'aurait été la fin du Tour avec lui, par rapport à la réalité = que personne n'en sait rien. Madiot a d'ailleurs balancé un scud en retour pour contrer ça.
Il retourne le couteau dans la plaie lui-même en disant cela et les médias ne manqueront pas de lui rappeler à l'avenir encore plus qu'il aurait du gagner ce TdF. Je ne sais pas si c'est un bon calcul mais c'est ce qui me fait penser que Pinot aime bien aussi entretenir sa légende. Il aime bien dire de lui qu'il est un coureur spécial, qu'il ne laisse pas indifférent...
C'est pas un bon ou un mauvais calcul, il n'y a pas de calcul. Pour les médias plus tard, on verra bien, ça, c'est une réaction à chaud, enfin à tiède, c'est en train de retomber.... À froid il aura peut-être un discours réajusté, le besoin impératif de laisser ce Tour derrière lui sans le ressasser, et il coupera court à toute tentative lourdingue de lui faire refaire l'histoire.
Quant à "entretenir sa légende"... Comme tu l'as suggéré, là je te rejoins, les champions, les sportifs, ont besoin de raconter une histoire, de se raconter une histoire et aux autres aussi. Quitte à forcer un peu le trait, à la légender si tu veux. Il n'y a pas de honte à cela, c'est ce qui les aide à s'accrocher, à tenir, à entraîner derrière eux, etc. Il y a une part de prophétie autoréalisatrice, ou de méthode Coué, dans ce ressort psychologique. C'est pas de l'irrationnel non plus, c'est plutôt de l'ordre de la foi appuyée sur la raison.
Quand tu lis un Richie Porte convaincu qu'un jour il accèdera au podium du Tour, que c'est la logique des choses et qu'il sera récompensé, qu'il n'a surtout pas été verni, (je retranscris de mémoire), c'est logique qu'il soit dans cet état d'esprit, s'il en est réduit à se dire "je suis maudit, j'ai trop de lacunes, je n'y arriverai jamais, ou alors il faudra un énorme coup de bol", il signe déjà sa défaite.
La limite de ce système, c'est le déni de réalité, la posture, le personnage ou les ambitions dont on devient prisonnier.
Mais Pinot n'est pas du tout dans ce trip, il n'a jamais "entretenu sa légende" vis-à-vis des autres comme un fond de commerce, s'il pouvait faire le même métier sans le côté médiatique, il serait ravi... Et vis-à-vis de lui-même, au contraire, il n'a peut-être pas rêvé assez haut, en étant très pragmatique, marche par marche.
Il s'est découvert, accepté et accompli à son rythme, sa popularité sur le Tour est relativement nouvelle, c'est normal qu'il parle de lui ainsi - d'autant qu'il ne s'est jamais livré comme il l'a fait ces derniers mois, c'est pas franchement le mec qui nous bassine depuis des années avec ça. Sa "différence", je pense qu'il en a pris conscience assez tardivement, assez doucement, qu'il lui a fallu du temps pour l'apprivoiser, et tout le monde sait/sent bien que c'est vrai quand il dit "Je ne fais pas exprès, je suis comme ça."
C'est normal qu'il essaie de relire son histoire dans un moment dur pour y trouver un sens et un avenir. Si tu appelles ça "entretenir sa légende", okay, mais ne viens pas lui en faire le reproche : tout le monde a sa légende dans ce cas, et dans son cas c'est plus un excès de naturel qu'un excès de "légende".
Et qu'on ne dise pas qu'il se raconte des histoires (au sens déni, réécriture) alors qu'il ne fait qu'exprimer, en répondant à une demande extérieure, ce que tout le monde pense - même toi
Pour finir là-dessus, ça n'a rien à voir avec Bardet que tu convoques en parallèle, lui s'est souvent pris les pieds dans le tapis de son discours et ses contradictions ont fini par l'enfermer dans une position intenable. J'avançais l'hypothèse dans le topic AG2R que son échec cette année était autant lié à une impasse sportive que psychologique avec l'impossibilité de répondre aux attentes créées et la démonétisation de son "storytelling". Enfin ce n'est pas le sujet ici.
Ensuite, pour le passage que j'ai "quoté" : moi de ce que je comprends de sa première réponse au médecin, c'est qu'à chaud dans le Galibier, il n'a pas ressenti de douleur spéciale, autre que celle inhérente à l'effort, mais qu'après sur les relances dans la descente une fois que le muscle est moins actif et refroidit, il a été handicapé par sa blessure.
Ce passage est d'ailleurs totalement cohérent. Une contracture à chaud ne limite pas vraiment la performance et il suffit bien souvent d'un arrêt d'à peine 2 min de pédalage pour que les douleurs réapparaissant.
Mais ça me parait être en contradiction avec son entretien plus tard dans l'Equipe où là il évoque bien une douleur spéciale dans une des jambes qui le limitait dans le Galibier.
Tu cherches des contradictions là où il n'y en a pas.
Et il ne t'aura pas échappé que ça dure un peu plus qu'un instant le Galibier, ses sensations ont évolué au long de l'étape, et à l'intérieur même du col : si, il a bien eu mal à son muscle, dès les cols précédents en fait, et à l'autre jambe qui compensait, mais il a pu oublier la douleur ou la dépasser sur le haut du Galibier avec l'adrénaline et la souffrance généralisée, et la perspective d'y être "sauvé pour aujourd'hui".
Le médecin lui demande dans le doc "le Galibier était vraiment dur ?" et il répond "ouais, t'as tellement mal aux jambes, de toute façon, t'y penses plus spécialement, t'as mal partout, mais dans la descente, les relances, machin,
avant, pfff... c'était horrible"
Dans le Monde :
"Dans la montée de Vars, je sens une petite gêne, rien du tout. Mais en bas de la descente, au ravitaillement, une fois que le muscle est froid, je comprends.
La douleur va en s’aggravant et dans le col de l’Izoard [Hautes-Alpes], j’ai déjà très mal. Dans le col du Lautaret, je pédale sur une jambe. On était sur le grand plateau, avec le vent de dos, en force,
ça faisait très, très mal. Je n’attendais qu’une chose, c’était d’arriver dans le Galibier, que l’on passe le petit plateau pour monter plus en souplesse.
- Comment peut-on suivre l’attaque de Geraint Thomas sur une jambe
dans le col du Galibier ?
Parce que je ne voulais pas lâcher ce jour-là. Dans la tête, j’étais encore solide.
Le muscle était aussi ultrachaud, ça faisait très mal mais ça passait. Sur une jambe, j’étais là. Mais la descente a été horrible, je ne pouvais pas relancer."
Dans l'Equipe :
"
- Et quand Bernal attaque ?
Je n'ai même pas cherché à comprendre parce que j'avais la jambe droite, celle qui était bonne, complètement asphyxiée, et la gauche où je n'arrivais pas à forcer, avec beaucoup de douleur au niveau du muscle. Pourtant, j'arrive quand même à être presque le meilleur derrière Bernal au sommet. C'est la dernière image que j'ai du Tour. Sur une jambe, j'étais encore là.
- À quel point vous faites-vous mal pour aller chercher Geraint Thomas ?
Je donne tout parce que je sais que c'est mon arrivée. Je sais que la descente va être compliquée, je ne pouvais pas faire de sprint, donc à chaque relance, je me disais que j'allais prendre un peu d'avance, que j'allais la faire à mon rythme, c'est pour ça que j'ai pris le manche pour faire les relances que je veux, et surtout que je peux subir."