- 24 janv. 2023, 08:33
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"Avis de gros temps. Alors qu’en septembre, la Région Bretagne n’a pas donné suite aux sollicitations de Jérôme Pineau (*), le manager de l’équipe B & B Hotels, et de Didier Quillot, l’ex-DG de la Ligue de football professionnel engagé dans le projet, ailleurs en Bretagne les relations se tendent aussi. Un épisode a par exemple marqué les organisateurs de la Bretagne Classic. Il révèle toute la détresse financière de l’équipe B & B Hotels, déjà à l’affût du moindre centime d’euro à ce moment-là.
L’e-mail de la discorde avec Plouay
Selon nos informations, une quinzaine de jours avant la course, l’organisateur a ainsi reçu un mail provenant de l’équipe B & B Hotels avec une facture d’indemnités à régler pour sa future participation. Parmi les 48 équipes engagées (hommes et femmes), c’est la seule formation à avoir effectué cette demande avant même le jour J. Une première dans l’histoire de l’épreuve. Pire, l’équipe bretonne a été jusqu’à solliciter l’Union cycliste internationale (UCI) pour qu’elle mette la pression, par mail, à l’organisateur pour qu’il règle de ce pas B & B Hotels. Sauf que l’organisateur morbihannais avait jusqu’au 15 novembre pour le faire, et il attendait simplement d’être payé par ses partenaires avant de régler les équipes. L’UCI s’est tout de suite rendu compte de sa méprise, et s’est ensuite alors excusée d’avoir insisté lourdement…
Plouay, toujours. Alors qu’Axel Laurance, le jeune bizuth de B & B Hotels, épate et décroche une remarquable 2e place derrière Van Aert et se révèle en World Tour, un homme brille par son absence : Jérôme Pineau. Le boss de l’équipe n’est pas là, il a passé une partie du mois d’août à Tahiti, alors que la chasse aux sponsors urge. Sur place, c’est l’étonnement général. « Jérôme disait qu’il était à un mariage ce jour-là, mais je pense qu’il se planquait, conscient que le projet commençait à sentir le roussi », lâche un membre de l’équipe.
Selon de nombreux interlocuteurs, la personnalité de Jérôme Pineau est un point central dans cette histoire, comme celle de son frère Sébastien. « Les Pineau pensent que tout leur est dû, charge un membre de la structure. Ils ne respectent rien ni personne. Ils se sont foutus de notre gueule et ont envoyé tout le monde à terre avec Quillot. »
« Le pire, ce sont les mensonges, ajoute un ancien employé. Sur tout, n’importe quoi. Je m’en suis rendu compte beaucoup trop tard. » « Jérôme Pineau a manqué d’humilité, considère Jean-René Bernaudeau, manager de TotalEnergies, qui l’avait enrôlé au Vendée U avant de le faire passer chez les pros en 2002, au sein de l’équipe Bonjour. Ce dernier avait mal vécu le départ de son sprinteur Bryan Coquard chez Pineau, en 2018. « Je lui avais dit : arrête de l’appeler « fils », il disait cela en permanence : « fils », « fils »… On voit comment cela s’est terminé entre les deux, sur un différend financier, et ce n’est pas le seul coureur. Tout ce gâchis ne me surprend pas. Il a planté plein de monde. »
Coureurs, prestataires… de nombreux impayés
Plusieurs coureurs de B & B Hotels-KTM se sont effectivement vu promettre des primes jamais payées, notamment celles des droits à l’image. L’un d’eux, fidèle soldat aujourd’hui au chômage, attend toujours les 25 000 € que Pineau lui avait garantis oralement. Un autre n’a jamais vu les 30 % de son salaire qu’il devait percevoir en droits à l’image.
Les impayés ne s’arrêtent pas là. Diverses entreprises de l’Ouest réclament par exemple leur dû, comme Podiocom, spécialisée dans la location de véhicules événementiels, qui guette toujours les 200 000 € que l’équipe lui doit pour diverses prestations. Ou encore un intermédiaire, qui a mis en relation B & B Hotels avec Jérôme Pineau, et qui réclame des commissions depuis trois ans. L’affaire est aujourd’hui devant la justice.
Aussi pointée du doigt, la facilité de Pineau à signifier la porte de sortie à des membres historiques du Conseil d’administration (Patrice Étienne, Henri Le Bobinnec, Michel Ferrant) et les remplacer par Quillot et ses hommes au printemps, quand PCC (Paris Cycling Club) a pris le relais de PCE. « Quand on voit comment certains historiques ont été traités, écartés du nouveau projet, alors qu’ils ont aidé l’équipe à rester debout toutes ces années, c’est malheureux ! », dit un ancien de l’équipe.
Quillot : « C’est difficile, aujourd’hui, de trouver un sponsor dans le cyclisme »
D’autres, en revanche, épargnent le manager et soulignent son acharnement pour trouver le sponsor idoine, comme l’énergie qu’il a investie depuis cinq ans dans le projet, dont le point d’orgue a été le maillot de super-combatif obtenu par Franck Bonnamour (2021) sur l’un des trois Tours de France disputés par l’équipe. « Jérôme avait des ambitions légitimes, a cru dans son projet et s’est heurté à un contexte économique difficile, peu propice au sponsoring », défend par exemple George Sampeur.
Sollicité, Didier Quillot ne s’est exprimé que sur ce volet précis : « C’est très difficile, aujourd’hui, de trouver un sponsor pour le cyclisme, encore plus en cette période de crise économique, d’inflation, et de réduction des dépenses marketing par les entreprises. » L’ancien DG de la LFP, qui débarquait dans ce milieu, s’interroge ouvertement sur le modèle économique du vélo, sans droits TV, sans revenus de billetterie, sans vente de coureurs… Selon lui, l’un des freins majeurs dans le développement de ce sport, aujourd’hui, et dans la recherche de partenaires, se trouve précisément là.
Les dettes devaient être remboursées sur cinq ans
Septembre, donc, octobre 2022… Au fur et à mesure que les semaines s’écoulent, l’étau se resserre mais tout le monde fait comme si, malgré les alertes de plus en plus nombreuses.
Après Plouay, Pineau annonce la présentation du projet pour fin septembre : « L’intégralité sera expliquée par madame Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire (premier adjoint), Didier Quillot et moi-même », assure-t-il dans Le Télégramme . En parallèle, la plupart des coureurs et salariés que nous interrogerons réitèrent leur confiance en lui. Après tout, Vincent Lavenu (en 1995, avec Petit Casino), ou Jean-René Bernaudeau (Europcar, 2010) avaient réussi à trouver des sponsors in extremis pour sauver leur affaire.
Le 1er octobre, Quillot est censé devenir le patron du nouveau conseil d’administration de PCC (Paris Cycling Club, la nouvelle structure). Un directeur administratif et financier est embauché. Quillot s’est engagé auprès de PCE (l’ex-société) à rembourser le passif de 6 à 7 millions d’euros qui apparaissait au bilan, quand le nouveau sponsor sera trouvé via un contrat de location-gérance sur 5 ans. Un engagement pris aussi par le conseil d’administration de PCC, où figurent Quillot, les frères Pineau, Guillaume De La Hosseraye, Régis Lefebvre et Thomas Le Drian, fils de l’ancien ministre Jean-Yves, administrateur de l’équipe depuis 2020 et invité à poursuivre l’aventure par Quillot et les Pineau. « Ils ne se séparent pas d’un tel nom par opportunisme », persifle un observateur. Bien entendu, sans sponsor, ces engagements ne seront jamais tenus.
L’automne est là et Jérôme Pineau garde son optimisme. « Il m’a toujours dit que ça suivait son cours, qu’il était sur trois pistes, dont une était sûre d’aboutir », confie cet agent.
En octobre, Cavendish et les futures recrues réunies à Pigalle !
Les coureurs, eux, ne se doutent de rien. Quelques jours plus tard, le lendemain de Paris-Tours (9 octobre), la future équipe, avec Mark Cavendish en son sein, est réunie pendant trois jours dans un hôtel à Paris, près de Pigalle ! Les hommes défilent, certains signent même leur contrat. « Il y avait tout le monde : les recrues, les coureuses, les nouveaux sponsors , détaille un membre du staff depuis la création de l’équipe. L’équipementier Isadore avait fait essayer cuissards et maillots. BMC devait nous fournir des vélos. Ce qui est fou, c’est d’avoir organisé ça alors qu’il n’y avait rien de concret. Jusque-là, j’étais méfiant, mais cette réunion avait un côté rassurant… »
Tout paraissait ficelé. Le comble, une maquette du futur maillot a même été présentée à cette occasion ! « Comment vouliez-vous, à cette époque, que nous doutions ?, s’interroge Cyril Lemoine, ex-coureur. Personne ne se posait de questions, le train était en marche… » « Je suis parti trois semaines en Afrique ensuite, en Tanzanie, j’ai coupé le téléphone, raconte Pierre Barbier. Et je suis parti tranquille en vacances. »
Pourtant, le vent forcit au tournant d’octobre-novembre. Et c’est un vent de face, glaçant. L’Union cycliste internationale (UCI) communique les noms des équipes inscrites pour la saison 2023, sans B & B Hôtels, qui n’a pas déposé son dossier de candidature. « Un contretemps dû au changement de structure juridique inhérente à l’évolution de l’équipe pour les années à venir », justifie alors la formation bretonne dans un communiqué lapidaire.
La conférence de presse de présentation de l’équipe, prévue la veille de celle du Tour de France (27 octobre), est alors annulée 48 heures avant sa tenue. « À ce moment-là, Jérôme a envoyé un message interne à tout le monde en disant qu’il y avait du retard à l’allumage, mais que ça allait se finaliser, confie Jérémy Lecroq, ancien coureur. Moi j’étais toujours aux anges, je venais d’apprendre que j’allais être papa, tout allait bien, je me projetais encore… »
Le navire ne tangue plus mais il coule déjà depuis plusieurs semaines. Pourtant, aucun coureur n’est mis au courant du degré de difficultés des frères Pineau à trouver un nouveau sponsor. « Nous n’avions que très peu de nouvelles, confie Jérémy Lecroq. Mais on nous disait que ça allait se faire, que les vélos allaient arriver, qu’on serait en stage en décembre… Les directeurs sportifs nous rassuraient, les mécanos aussi. Pour nous, il n’y avait pas de problème. » « Alors que ça commence à balancer sur les réseaux sociaux qu’il n’y a rien, eux (Jérôme et Sébastien Pineau) sont tout le temps en train de nous dire sur WhatsApp que ce sont des conneries ! C’est fou, quand on y pense après coup », peste aujourd’hui Pierre Barbier. Tous ces hommes tomberont des nues quelques jours plus tard…
* Contacté, Jérôme Pineau n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations."
Dernière édition par FabioLullito le 24 janv. 2023, 09:07, édité 3 fois.
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