- 26 févr. 2021, 06:23
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Un large sourire illuminait, par écran interposé, le visage poupon de Remco Evenepoel, jeudi midi, à l’heure de disserter avec la presse belge sur sa reprise, effective sur la bicyclette, depuis le 8 février dernier. Le Brabançon, radieux mais mesuré, est parfaitement conscient du long chemin qui l’attend, d’ici le 8 mai, le jour où il épinglera son premier dossard au départ de sa première course de la saison, le Tour d’Italie !
Cet impatient doublé d’un champion a dû se résigner, la mort dans l’âme, à renoncer à ses ambitions précoces, telles qu’il les avait affichées l’an dernier en remportant les Tours de San Juan et d’Algarve avant le confinement numéro un. La mort, concrète celle-là, il l’a frôlée en Lombardie, le 15 août, raison pour laquelle il a appris à relativiser.
Remco Evenepoel, quand on y réfléchit, choisir le Giro comme première course, n’est-ce pas risqué ?
Il y a toujours des risques, bien sûr. C’est un choix concerté après de longues discussions avec le staff de l’équipe, les médecins etc. En y appliquant cette philosophie : je pars là-bas sans pression, sans obligation. Je peux y faire ce que je veux mais je ne dois pas y obtenir quelque chose en particulier. Bien sûr, je suis quelqu’un d’ambitieux, je l’ai déjà démontré. Mais il serait imprudent d’affronter ma première grande course par étapes avec d’énormes objectifs. Pour tout dire, je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur le parcours (NDLR : révélé mercredi). Je sais qu’il y a des chronos, une étape qui emprunte une partie des Strade Bianche, une autre dont je connais les difficultés pour les avoir affrontées en stage, et huit arrivées au sommet. Je n’ai pas le temps, pour l’instant, de me préoccuper de tout cela, ni d’envisager des reconnaissances de parcours, on verra cela plus tard.
Vous avez repris voici 15 jours, où en êtes-vous physiquement ?
Comme je m’en suis aperçu mercredi au Mur de Grammont, je suis très en retard sur mes équipiers qui approchent de la forme optimale mais j’avais envie de les rejoindre lors de la reconnaissance de la course d’ouverture. Parce que je voulais aussi me replonger quelques heures dans l’ambiance de l’équipe. J’ai commencé, les premiers jours, à rouler autour de chez moi. Chaque jour, j’allonge la distance. Je sais que ce sera long.
Sur le plan médical, vous avez le feu vert définitif ?
Je dois encore retourner une fois à Herentals avant de partir en stage d’altitude à Ténérife (le 6 mars) mais normalement, tout est en ordre. Je me reconstruis également à l’échelon de la musculature, de la gym, de l’intensité, de la puissance. J’ai eu heureusement des alternatives au vélo afin de ne pas rester inactif.
Mentalement, comment avez-vous surmonté le fait de ne pas avoir pu reprendre la compétition en même temps que vos équipiers ?
Je ne vais pas vous mentir, cela n’a pas été simple car, même si je savais que je reprendrais plus tard que l’année dernière à la même époque, je n’imaginais pas que le délai serait repoussé jusqu’à mai. Le fait de devoir arrêter le vélo au moment où les autres partent en stage, c’était dur. De voir les mecs rouler six heures alors que toi, tu peux à peine en affronter trois. Mentalement, donc, j’ai été énormément soutenu par mon équipe, mon entourage, les docteurs, les équipiers. Sans leur soutien, cela aurait été beaucoup plus difficile.
D’ici le Giro, vous ne recommencerez donc la compétition nulle part ?
Nulle part. Il y aura d’abord ce stage en mars, puis un autre, au même endroit (volcan de Teide) en avril mais avec mes équipiers. Là, je devrai être prêt et au même rythme qu’eux. On aurait éventuellement pu m’inscrire aux classiques ardennaises mais à quoi bon, dans un contexte où je n’aurais pas eu davantage de points de repère ? Je veux mettre toutes les chances de mon côté. Peut-être que ce Tour d’Italie très exigeant contredira notre choix de ne pas avoir participé à une course avant ?
Votre Giro sera donc votre préparation… aux Jeux olympiques !
Comme c’était prévu en fait. Dans des conditions normales, je n’aurais pas couru entre le Giro et les Jeux. Après l’Italie, je repartirai en stage pour préparer spécifiquement mes rendez-vous olympiques.
Où vous risquez de vous frotter à la nouvelle star du chrono, Filippo Ganna. Or, vous êtes le seul à l’avoir battu en 2020 !
C’est un phénomène et surtout un très beau coureur à voir sur un vélo. J’ai surtout été impressionné par le fait qu’il soit capable de remporter des étapes en ligne, après une échappée, comme il l’a fait au Giro dans une étape de montagne malgré sa taille et son poids. Il développe une puissance énorme. C’est évidemment un beau challenge du fait qu’un petit Belge pourrait le battre (sourire) mais cela va être difficile. Je l’ai effectivement dominé en Argentine mais c’était en janvier 2020, nous étions tous en phase de préparation et nous devions évoluer sur nos vélos normaux. En fait, j’ai été plus enrichi par ma victoire contre le champion du monde (Dennis), en février, au Tour d’Algarve.
Ce qui signifie que vous n’avez évidemment pas perdu vos ambitions sur le contre-la-montre ?
Bien sûr que non, au contraire. Comme j’ai du temps devant moi, je peux couper mes journées en deux et consacrer une moitié d’entre elles au chrono. Il y a longtemps que je n’ai plus enfourché mon vélo de contre-la-montre. J’ai hâte, pour retrouver mes sensations, la position etc. C’est essentiel pour aborder le Giro, même sans pression précise… Et même si Ganna est aujourd’hui le meilleur du monde dans la spécialité.
Après les JO, certains évoquent déjà la Vuelta. Vous confirmez ?
C’est un peu loin dans le temps mais c’est une option parmi d’autres, dans un programme qui n’a pas encore été défini, nous verrons au fil des mois. C’est une possibilité sans savoir si c’est trop ou non à mon âge de cumuler deux grands Tours sur la saison. Nous déciderons avec le staff au moment adéquat. Mais je suis très ambitieux par rapport aux courses de… l’été, en considérant que le Giro sera ma base vers, je l’espère, une condition optimale.
Stéphane Thirion. Le Soir