J'ai mis beaucoup de temps pour répondre à ce message, il faut dire que je manque cruellement de temps ces temps ci.
J'essaie quelques réponses en découpant le message de JFKs sur ce que j'identifie comme les éléments principaux. C'est clair que c'est un débat qu'il serait plus facile de développer en discutant que par écrit (ne serait-ce que parce que nous pouvons sur-interpréter les propos de l'autre), pour essayer de mieux comprendre ensemble où est le point d'achoppement, mieux le cerner pour mieux l'attaquer.
JFKs a écrit : ↑18 janv. 2021, 16:47
Déjà car c'est albo qui a comparé la "misère" (il y a sans doute un malentendu sur ce que chacun veut entendre avec ce terme) de certains coureurs, à Jean Valjean et que c’est caricatural. Sans aller jusqu’à crever de faim, on peut vivre des situations de vie très difficiles (et ça Xav tu le sais très bien puisque cela fait des mois que tu nous alertes sur l’impact terrible de la pandémie sur la jeunesse, la jeunesse estudiantine en particulier). Entre l’indigent et Bill Gates, il existe toute une palette de situations sociales, fallait-il vraiment devoir le rappeler ici ?
Dans la réalité, pour les coureurs occidentaux, il y a, non pas une misère proche de la famine, mais des situations précaires et difficiles qui ont été identifiées. Il serait d’ailleurs intéressant d’avoir un jour une recherche sur le niveau de vie des coureurs pro et déterminer combien vivotent un peu au-dessus du seuil de pauvreté de leurs pays respectifs. Précisons aussi que Biquet partageait une phrase qui citait des pays qui connaissent des situations sociales et économiques plus difficiles que ce que nous connaissons en Europe de l’ouest.
Il est évident que le métier peut être très dur, que l'on en voit souvent que le côté clinquant, excitant, moins toute la difficulté des soirées glauques à l'hôtel ou des entrainements par mauvais temps. Et il est évident que cela est un élément déclencheur pour plonger vers le dopage. Mais à nouveau, mon point est d'essayer de mettre en relation le dopage dans le sport, que je considère relever de l'escroquerie, à d'autres escroquerie dans la société, et de comment elles sont vues différemment.
Ils existent beaucoup d'autres situations professionnels, personnels, hors sport de haut niveau où ces difficultés physiques, intellectuelles sont présentes, et qui sont tout autant d'éléments déclencheurs pour tricher. Sont elles vues de la même façons que le dopage ?
Quand dans l'article il est dit : "Si vous regardez bien, il est très intéressant de constater que les études épidémiologiques réalisées dans d’autres professions (les chauffeurs routiers, les avocats, les médecins) montrent également un usage très important de produits dopants"; c'est un argument que j'utilise souvent face à mes collègues chercheurs lorsqu'ils se moquent du cyclisme et du dopage, qu'il y a plus de dopage dans la recherche que dans le sport (depuis le jour où j'ai lu le résultat d'un étude scientifique ayant fait un test anti-dopage dans son labo... pas jolie jolie). Mais il y a une limite à cette comparaison (je ne le dirais pas à mes collègues quand je l'utilise, si eux même ne sont pas capable de la trouver tant pis). C'est que dans le sport de compétition le fondement est la performance, et surtout de faire une meilleur performance que la concurrence (individuelle ou collective en étant capable physiquement de mieux entourer son leader) et donc que le dopage influe directement sur le fondement de la compétition, en dépassant ceux qui auraient du être devant.
La comparaison avec la recherche par exemple, serait quelque chose qui toucherait directement le fondement du travail, plus de la fraude scientifique en touchant un peu aux données qui gênent (ou qui contredise ce que l'on souhaite mettre en avant) que des aides médicales. Car le fondement de la recherche n'est pas de gagner face aux autres, mais de proposer des explications, mettre en avant des questions, etc. Il me semble donc que la comparaisons doit aller au delà du simple : ailleurs ils utilisent aussi de la pharmacopée pour tenir, la comparaison doit être de trouver l'élément qui truquerait le fondement de cette profession.
JFKs a écrit : ↑18 janv. 2021, 16:47
Quant à toi, je pense que tu es aussi caricatural quand tu sous-entends presque qu’on accepterait moralement le dopage en essayant de le comprendre. Ce n’est pas ce que j’ai constaté dans les derniers messages. Je pense en fait que tu confonds comprendre et cautionner/justifier. On peut comprendre pourquoi des personnes accomplissent certains actes (tricher, voler de la nourriture ou une victoire, voter pour Trump, ne pas vouloir se faire vacciner) sans forcément être d’accord. On peut même comprendre quelque chose et en même temps le condamner, juridiquement et moralement. J'essaie de comprendre comment une personne n'a d'autre ressort que de voler pour manger, j'essaie de comprendre pourquoi un coureur triche.
Ce qui est vraiment intéressant dans ce débat, c’est se demander pourquoi des coureurs se dopent. Comme le dit si justement le chercheur dans l’interview citée dans mon message ci-dessus, c’est qu’on a tendance à juger le sportif dopé comme seul responsable. En les considérant comme des travailleurs, cela donne un autre regard et cela permet d’aller plus loin que le basique « Il voulait gagner ». Un cycliste professionnel est un humain qui entre dans des catégories socio-professionnelles spécifique, avec des avantages, des inconvénients, des tentations, des pressions sociales implicites et explicites, etc.
Là c'est évident, comprendre n'est pas excuser, n'est pas accepter. Mais la limite est parfois proche notamment dans l'article que tu cites. Sa rédaction est souvent proche de l'acceptation, de l'excuse, au delà de la compréhension. On peut excuser aujourd'hui car la situation est telle que décrite, et il faut du temps pour montrer que non ce n'est pas excusable même si c'est compréhensible. Et tu vas dire que je tourne en rond, mais je me demande si pour passer au delà de l'acceptation, il ne faut pas changer de termes, et dire clairement que le dopage est du niveau de l'escroquerie.
Je suis toujours étonné, mal à l'aise, lorsque un coureur qui se retrouve classer premier 3 mois après à la suit du déclassement d un autre coureur, ne s'offusque pas du vol qu'il a subit, de l'escroquerie dont il a été victime. Deux possibilité : soit lui même est dopé et est donc mal à l'aise (la plus pessimiste, celle qui fait que peut être un jour j'arrêterais de m'intéresser à ce sport) soit nous sommes dans l'acceptation collective (bien au delà de la compréhension. C'est peut être un peu des deux.
Donc oui, j'ai l'impression que souvent on est au delà de la compréhension, et qu'il y a des éléments d'acceptations au moins partielles.
JFKs a écrit : ↑18 janv. 2021, 16:47
Or, pour lutter efficacement contre le dopage et essayer d’attaquer le mal à la racine, de réduire autant que possible la tentation même de se doper, il faut comprendre les motifs derrière l’acte du dopage. En catégorisant les dopés dans le monde du cyclisme comme l’ont fait les chercheurs, on découvre ainsi que si certains le font en connaissance de cause, d’autres le font pour des raisons « sociales ».
C’est important de le savoir, car cela souligne des problèmes intrinsèques au cyclisme, et ça ouvre des pistes de réflexion. S’il semble difficile de rendre le sport totalement propre, puisque certains, par soif de victoire et de gloire, tricheront malgré la menace de la sanction, on peut espérer améliorer les choses lorsque le dopage est causé par d’autres motifs, y compris ces raisons sociales. Je vous renvoie à l’article, qui donne justement quelques pistes et souligne des mauvaises pratiques identifiées.
Réduire la tentation est une chose, mais elle sera toujours là, on ne pourra jamais l'annuler. Et puis nous sommes dans un sport de compétition, au delà de tenir le choc face à la pression du milieu, il y a l'envie de faire mieux que les autres.
Parmi les éléments de réduction de la tentation, il y a pour moi un message clair : le dopage sportif est peut être quelque chose de particulier au sport, mais pour moi il relève d'un cas plus générale dans le société : l'escroquerie (et donc le vol de l'autre, de celui qui aurait du être devant, ou de celui qui aurait du avoir le contrat auquel le coureur dopé ne pouvait plus prétendre sans être dopé). Tout comme la fraude scientifique en recherche, ou d'autres éléments de comparaisons que l'on pourrait trouver.
Le faire passer, pas en un jour bien sur, donc allait sur le terrain du pénal (pas en un jour non plus) me semble de force à pouvoir changer les choses. Pas tellement pour la peur du gendarme, mais plus parceque je suis persuadé que de nombreux coureurs dopés ont un sens moral élevé, mais que ce pas dopage = escroquerie ne leur est pas une évidence. Si elle l'était, je pense que nombreux arriveraient à résister à la fois à la tentation et à la fois au pression du milieu. Les pressions du milieu devenant aussi plus difficile à excercer quand on comprend que "faire le milieu" veut dire "escroquer le milieu, escroquer les autres coureurs".
JFKs a écrit : ↑18 janv. 2021, 16:47
Alors oui on peut se draper derrière une posture morale et dire que le dopage c’est pas bien (ce qui est une opinion aussi audacieuse que de dire que l’eau ça mouille). Mais ça nous fait une belle jambe et ça ne nous dit pas quels sont les ressorts qui sont derrière l’acte de se doper. Cela ne nous permet pas de comprendre pourquoi des coureurs a priori honnêtes et passionnés en viennent à devenir malhonnêtes et à commettre ce qui est l’une des plus grandes infamies de leur sport/profession/passion.
Si dans la pratique de la langue française on peut parfois faire du mot comprendre un synonyme de justifier, sa première définition est assez claire.
En ce sens, si un coureur est pris pour dopage, il aura certes une responsabilité morale et une juridique. Tout en le condamnant, on peut comprendre (et cette fois, dans les 2 sens du terme) qu’il ne l’a pas fait par malice, mais a potentiellement été entraîné dans cette spirale à causes des facteurs qui ne sont pas la victoire, voler les autres ou la volonté de puissance ; mais la pression d'un employeur, la peur de perdre son emploi ou celle de ne plus pouvoir continuer à payer les factures (et donc à nourrir sa famille).
Je suis bien sur d'accord avec toi. Mais je souligne dans mes messages précédents qu'ils y a de nombreuses autres situations dans notre société ou quelqu'un peut faire quelque chose de judiciairement répréhensible pour des raisons compréhensible (ne plus pouvoir payer ses facture, perdre son emploie cela touche beaucoup de monde). Et j'ai vraiment l'impression que la société est beaucoup plus dure dans de nombreuses situations, où un personne en difficulté s'est retrouvé dans le trafic ou dans un escroquerie diverse, que pour le coupable de dopage dans le sport de compétition. Et j'aimerais que la société soit aussi compréhensible dans ces cas là que pour le sportif. Et que le sportif comprenne aussi le parallèle de son comportement avec d'autres, pour mieux que son sens moral lui permette de mieux prendre le pas.
Pour moi il faut aller au delà de "le dopage c'est mal" (ta première phrase de cette partie) mais "le dopage est une escroquerie comme d'autres", chacune de ces escroqueries pouvant être comprise... Mais les escroqueries sont souvent moins tolérées dans la société que le dopage sportif (je vise bien sur ici à la fois le sportif et le milieu). Et je crains que la société dans son ensemble, par cette tolérance partielle, n'encourage finalement celui qui pour différentes raisons (compréhensible à nouveau) est proche de plonger.