Très attristé également par la mort de Poulidor. Après Gimondi, cette année 2019 aura fait du dégât parmi les légendes de notre sport
Comme l'ont rappelé ulysse et d'autres, Poulidor n'était pas que "l'éternel second", il était aussi un formidable champion (on peut aussi ajouter ses deux victoires sur Paris Nice aux succès évoqués plus haut). L'une de ses principales victoires, il l'a obtenu au tout début de sa carrière, sur Milan San Remo, alors qu'il n'avait pas encore 25 ans et entamé tout juste sa seconde saison parmi les professionnels. Ce succès, acquis dans des circonstances pour le moins rocambolesque, il le raconte dans son livre la Gloire sans maillot jaune (que je cite ci-dessous) :
"J'ai gagné une course que j'ai pratiquement abandonnée. Comme, en plus, j'ai fait une erreur de parcours, je l'ai donc perdue deux fois. Il faut rappeler que la place des voitures, derrière un peloton est fixée par tirage au sort. Si la voiture est bien placée, en cas de pépin ou de simple crevaison, vous perdez un minimum de temps. Dans le cas contraire, surtout si la bagarre est déclenchée, les chances de revenir sont réduites à rien. Au tirage au sort, M. Magne écope de la vingt-cinquième place, et je suis déjà persuadé que s'il m'arrive quelque chose, je n'aurai qu'à rentrer directement à la maison.
La crevaison redoutée, un silex, se produit sur le plat à soixante-dix kilomètres de l'arrivée, peu de temps après le déploiement de la bataille. Il y a des groupes éparpillés sur la route. Je suis presque soulagé d'ailleurs, car je commence à souffrir des jambes. Avec résignation, je vais m'installer dans la voiture. C'est comme si mon directeur sportif avait été piqué par une vipère !
- Je vous interdis bien d'abandonner, Raymond. Une course n'est jamais perdue.
- Mais Monsieur Magne, c'est parti devant, et j'ai mal aux pattes.
- Remettez en machine tout de suite, Raymond.
Bref, ce n'est pas une petite affaire pour me remettre en selle - heureusement je n'avais pas enlevé mon dossard -, pour me faire pédaler, pour me faire appuyer, pour que je rejoigne Bouvet qui navigue devant moi, pour que je prenne sa roue. Une fois que je suis à peu près à l'abri d'une bonne roue, M. Magne décide d'aller voir en tête ce qui se passe.
Or, il se passe quelque chose d'incroyable. Tout le monde a "coupé" et le regroupement est général. Bouvet et moi, nous retrouvons la tête, sans nous être "défoncés", et, du même coup, nous retrouvons nos chances. La course se joue presque aussitôt dans les capi, ces grimpettes successives qui me conviennent bien et font la décision. C'est le "grand" Van Looy qui attaque dans le Capo Berta. Dès que cela monte, je suis mieux à mon aise, sans être trop brillant. Mais Van Looy est rejoint et Annaert attaque. J'essaie de répondre : miracle, je n'ai plus mal aux jambes. Geldermans m'accompagne, mais il ne mène pas car il est de la même équipe que l'échappé. Nous tombons quand même sur Annaert et, cette fois, tout le monde roule et en met un rayon, : l'un de nous trois sera vainqueur. Le plus fort ou le plus décidé.
Dans le Poggio, c'est du "grand Poulidor". Avec une terrible résolution, j'attaque dès le bas, une seule fois, et je ne reverrai plus personne avant le vestiaire. Dès le sommet et en plongeant sur San Remo, je commence à réaliser. Le klaxon derrière est particulièrement rapide et joyeux. Quelle merveilleuse musique ! Au bout de l'avenue, la via Roma, je reconnais la fontaine : "Vous voyez, Raymond, m'avait dit M. Magne, lorsque nous reconnaissions le parcours, si vous êtes en tête à la fontaine, c'est dans la poche". C'était compter sans le gendarme. Ce malheureux est un peu pris de court en me voyant déboucher. Il fait des gestes que je pige pas. Et hop ! Voilà que je file droit vers la mer et la gare. Ah ! Quel tintamarre derrière... Je comprends ; je fais demi-tour. Mais j'ai perdu tout près de cent mètres ; ma cadence est cassée et je réussi tout juste à conserver soixante mètres sur la ligne. Qu'importe ! J'ai gagné une grande classique internationale."