Alors, ce compte-rendu va être un peu long. Mais c'est tout à fait normal pour une distance aussi longue aussi. Du coup, je vais la jouer en plusieurs épisodes, histoire que ça soit pas trop indigeste.
J'apporterai des corrections de syntaxe et d'orthographe au fur et à mesure, parce que j'ai eu un peu la flemme de me relire.
Episode 1 :
Avant course :
Il est compliqué de résumer une épreuve de plus de 1.000 km et 20.000m de dénivelé positif en quelques dizaines de lignes. Parler de la course seule, c’est amputer une année de préparation, de sorties sous la pluie et le vent, de séances de HT interminables, de questionnement et de doutes. On entend souvent dire que l’ultra, c’est 80% de mental, 20% de physique. C’est peut-être vrai. Encore que la proportionnalité dépend de la tournure de sa course. Mais cette considération ne tient qu’avec une préparation sérieuse. Sans elle, pas la peine d’espérer quoi que ce soit pour une épreuve aussi exigeante, surtout présentant autant de dénivelé.
La première particularité d’un ultra pour moi, c’est qu’on en prend le départ avec beaucoup plus de questionnement qu’une course plus conventionnelle. La longueur et l’autonomie sont des paramètres qui entraînent une dose d’incertitude plus importante. Quel matériel ? Quel ravitaillement ? Quels vêtements ? Les points d’eau ? La météo ? … Mon sentiment est, qu’une fois que ces choix sont faits, il est inutile de se faire trop de plans et de films. Les jambes, le mental et les aléas décident. Et ils ont une fâcheuse tendance à renverser les plans trop précis au bout de quelques heures. Se débarrasser de trop d’attentes, c’est aussi s’enlever une charge à transporter.
Au départ de ce Bikingman France, je me suis donc entêté à ne me fixer que deux objectifs : prendre du plaisir et repousser mes limites. Les deux étant pour moi liés. Le parcours, étalé sur un peu plus de 1.000 km, offrant une orgie de paysages à couper le souffle (Côte d’Azur, route des Crêtes, gorges du Verdon, Provence et Aix, Ventoux, Vaucluse, Baronnies provençales, lac de Serre-Ponçon, Bonnette, pré-Alpes, Mercantour,…) agrémentée d’un maximum de difficultés, était évidemment parfait dans ce but.
Départ :
Malgré la courte nuit passée à me retourner dans le lit, c’est finalement dans un état d’esprit assez serein que je patiente derrière la ligne de départ dans le petit matin du Cannet. Ça fait un an que je roule avec ce moment en tête, j’aurais tort de ne pas en profiter. L’ambiance est sympathique et ce genre de conditions pousse les gens au partage et à la discussion. A l’approche du top départ, mon cœur s’emballe toutefois un peu dans un mélange d’euphorie et de nervosité. Je stoppe mon cardio au bout de 500m, je ne le réactiverai plus et c’est en discutant avec d’autres coureurs que je passe les premiers raidards nous emmenant vers Grasse, alors qu’une grosse partie du peloton semble grimper à fond de balle en direction du col de l’Ecre. Je me dis « à leur guise, il y a 1000 bornes pour se faire mal, ça viendra bien tout seul ».
Hormis un pied assez raide, le col de l’Ecre (ou du Gourdon) n’est pas particulièrement compliqué. Ce début d’ascension termine d’exploser un peloton déjà relativement épars. Pandémie aidant, je n’ai plus grimpé un vrai col en dehors de Zwift depuis 2 ans et j’appréhende quelque peu. Alors je le monte très tranquille, ne cessant pas de discuter avec un sympathique collègue de presque toute la montée. Sur les derniers kilomètres, mon camarade ne parle plus et semble respirer un peu plus fort. J’en conclus que mes jambes sont bonnes et c’est sans le chercher que je le distance quelque peu sur le sommet. J’ai franchi ce premier col comme si je venais de passer un dos d’âne, me voilà quelque peu assailli par la classique euphorie des premières heures. Je me force alors à me répéter« fais pas le con, ne pousse pas, reste dans ton rythme. Ne te fie pas à cette descente vers la route des Crêtes, tu n’auras plus de portion aussi facile avant le kilomètre 980 ».
L’aventure se lance :
Cette portion un peu plane et globalement descendante m’offre un constat que je n’ignore pas : je suis plus un Guillaume Martin qu’un Jens Voigt et quelques coureurs passés dans le col reviennent sur moi. Parmi eux, un véritable avion à une jambe. C’est Stéphane Bahier, champion de France, d'Europe et du monde de paratriathlon dans la catégorie TR2/PT2. Dire, que se faire doubler de cette manière par quelqu’un qui pédale littéralement sur une jambe avec un chargement monstrueux de 26 kgs dû à son matériel nécessaire pour son handicap, ça met beaucoup de choses en perspective. Heureusement pour moi, malheureusement pour lui, nous sommes presque au pied de la route des Crêtes et, en le repassant sur les premières pentes, il me glisse un « quand ça grimpe, il m’en manque une ». Je ne le reverrai pas de la course qu’il a terminée au courage en 108h. Le profil étant exactement tout ce qui n’est pas fait pour lui.
La route des Crêtes représente pour moi le vrai début de la course. Premièrement, elle est très raide. Deuxièmement, la température fait un bond considérable et les crânes chauffent d’un coup. Heureusement je ne m’y sens pas trop mal et j’y dépasse quelques participants sans me faire doubler par un seul, confirmant que si je manque de puissance sur le plat, ça a l’air de plutôt pas mal se passer quand ça grimpe. Au sommet, je peux profiter de la vue incroyable et vertigineuse, tout en restant attentif dans une descente vertigineuse avec pas mal de gravillons sur son début.
Chaleur et traditionnels premiers coups de moins-bien :
Arrivé à la Palud sur Verdon, je croise une bonne vingtaine de concurrents attablés à la terrasse d’un restaurant. Je m’y arrête, mais juste le temps d’y prendre un coca, de remplir les bidons et d’y faire une pause sanitaire. Je ne ressens pas le besoin d’une pause et je dînerai de mes petits sandwichs sur le vélo. On vient de passer les 130kms et ce qui occupe désormais mon esprit est la chaleur grandissante. Vu le printemps pourri qu’on nous a offert en Belgique, j’ai tout au plus eu deux ou trois sorties à plus de 20° de l’année. Et donc aucune adaptation aux grosses températures. Le doute est toutefois utile, vu qu’il m’aide à me réserver sans puiser dans des réserves qui finiront de toute façon par s’épuiser.
Après avoir brièvement profité du spectacle grandiose d’un avion de chasse traversant les gorges quasi à notre hauteur et d’une descente agréable vers le lac de Sainte Croix, la réalité me rattrape bien vite avec une courte mais très sévère montée d’un peu plus de 2km à presque 10% de moyenne (segment « Chrono Melen » sur Strava pour ceux qui connaissent). C’est affreusement raide mais je ne m’y sens de nouveau pas trop mal. Au sommet, je prends même le vent de face qui nous y accueille comme un ami rafraîchissant. Une longue portion, jamais plate mais sans réellement de grosses côtes m’attends et je me prépare moralement à me faire doubler plus d’une fois. Ce n’est pas dans un aspect compétitif que ça m’inquiète, mais dans un aspect mental. Se faire dépasser dans une partie assez désertique, sous le cagnards et alors que devraient apparaître les premières fatigues met rarement de bonne humeur.
De fait, doucement mais sûrement, les premières douleurs apparaissent. Les petites descentes succèdent aux petites montées d’un parcours bien cassant. Je n’arrive pas à trouver mon rythme. L’absence de point d’eau commence aussi à m’inquiéter. Je suis forcé de me rationner alors que la chaleur, elle, ne semble avoir aucune envie de se limiter. C’est avec soulagement que j’atteins une fontaine où les quelques compères qui m’ont doublé se posent. J’y bois de bonnes lampées, y remplis mes bidons, y trempe ma casquette et ma tête avant de repartir aussi vite. Je n’ai pas l’intention de perdre mon rythme et j’ai surtout envie d’en terminer le plus rapidement possible avec cette partie du parcours. Et d’aborder l’approche d’Aix en Provence.
Après quelques dizaines de kilomètres à chercher ce rythme sans le trouver, j’aperçois une supérette et, de l’autre côté, 2/3 cyclistes en plein repas. Alors que l’après-midi fait doucement place à la soirée, il est temps de refaire le plein. C’est ma première réelle pause. Plusieurs autres collègues nous rejoignent. Ça discute pas mal, beaucoup aimeraient pousser jusqu’au CP1, à Venasque au km 445, mais après 220 bornes et 11h de selle, on est à peine à mi-chemin et le parcours pour y arriver présente pas mal de difficultés. Sur le profil, ça n’a l’air de rien par rapport aux monstres qui nous attend en deuxième partie de course, mais le dénivelé moyen est quasiment pareil et on se le prend dans les jambes. Bref, on est pas encore dans la montagne, mais ça rigole pas et le dénivelé est bien là. Un taboulé, une orange et une banane dans l’estomac plus un maximum de crasses caloriques dans les poches, je repars en me disant que, si les jambes vont bien, je pousserais bien jusque-là aussi. Après tout, je n’ai pas l’air plus mal en point que ceux qui l’ambitionnent.
Au beau milieu des vignes et des champs de lavande, dans la lumière de fin de journée, mon esprit calcule. Combien de côtes jusque Venasque ? Si je garde ma moyenne, j’y arriverai vers quelle heure ? Est-ce que j’y gagnerais réellement du temps en sachant que je risque de devoir y faire une pause plus longue si je dois trop puiser dans les réserves ?
Alors que la montée de Sainte Beaume m’a une fois de plus confirmé que je préfére quand ça grimpe clairement, je ressens le besoin d’un vrai repas et m’arrête avec trois autres concurrents rattrapés au sommet dans une baraque à kebab. Le décor est splendide et surréaliste mais le service catastrophique. Plus de 40 minutes pour être servis. Je le prends de manière philosophique et me dis que j’y gagne du repos. J’enfile le kebab à vitesse grand V, j’ai hâte de grimper le Petit Galibier et Sainte Victoire avant de plonger sur Aix.