Wald a écrit : ↑23 juil. 2019, 02:05
Gino Bartali a écrit : ↑22 juil. 2019, 23:18
Biquet blaguait. 4700m de dénivelé, 38-39 de moyenne, c'est du très solide. "ça roule très vite cette année", disaient Pinot et Bardet en Catalogne. Bardet n'a pas su s'adapter, Pinot l'a fait. Comment ? Opiniâtreté, abnégation et fuoriclassicisme, j'espère (et je pense).
Je ne pense pas que cela soit un problème d’adaptation pour Bardet. Il a su dans les TDF précédents s’adaptaient à des gros rythmes et faire des performances supérieures à Pinot jusqu’à ce TDF 2019. Les carrières ne sont pas linéaires, ce qui est plutôt rassurant. Les deux ont opiniâtreté et abnégation, je pense que ni l’un ni l’autre ne sont des fuoriclasses.
(message initial dans "Dopage" mais je réponds ici en prolongeant la réflexion sur la carrière de Bardet)
Je ne crois pas qu'athlétiquement les performances des derniers Tours soient très supérieures à celles des derniers Giro, pour les tout meilleurs. Bien sûr, il faut encaisser le Tour, l'événement, la densité, la nervosité, etc. c'est une autre paire de manches, et ça joue, mais en valeur absolue dans les cols par exemple c'est très très proche. Et l'écart de plateau s'est quand même bien réduit, au moins chez les leaders. Quand on voit Froome et Dumoulin qui ont dominé le Giro et arrivent à être à nouveau sur le podium du Tour en devançant des coureurs qui avaient misé leur saison dessus...
Enfin bref ce n'est qu'un point de départ d'une réflexion pour essayer d'étalonner le réel meilleur niveau de Bardet.
En 2017, on débattait de "la chance d'une vie" qu'il n'avait pas su/osé/pu aller jouer jusqu'au bout, et qui ne repasserait pas, ou d'un nouveau palier donnant le droit de rêver. Il avait suffisamment fait rêver en titillant la Sky pour qu'on se dise que peut-être, un jour, avec la fameuse "ouverture", les fameuses "circonstances favorables"... Mais en fait, avec le recul, les circonstances favorables, la réussite maximale, ne les a-t-il pas déjà eues en 2016-2017 ? Est-il bien sûr qu'il aura de meilleures cartes en main un jour ? N'est-ce pas la prise de conscience que non, qu'il se retrouvait dans une impasse, qui a causé cette explosion en vol ?
Ça riait un peu au nez de ceux qui disaient qu'il ne remonterait peut-être plus jamais sur le podium du Tour, en leur rappelant qu'au départ du Tour 2016, ils l'avaient annoncé faire un top 10, ces grincheux, qu'au départ du Tour 2017, ils le voyaient revenir sur terre et accrocher au mieux un top 5, ces pessimistes, et qu'il leur avait bien damé le pion - et en effet c'était une sacrée réponse à ceux qui ne le voyaient pas si haut.
Maintenant, si on regarde bien :
- en 2016, il s'extirpe à la faveur d'un très joli coup du groupe (au général) des Porte/Aru/Adam Yates/fantôme de Quintana, pour grimper sur le podium. Chapeau. Mais dans la hiérarchie, s'il se montre à un niveau d'ensemble très solide, il n'a pas dominé ces coureurs sur trois semaines "à la pédale".
- en 2017, il est nettement plus fort et s'affirme comme le principal challenger de Froome, à la pédale en se hissant à un niveau inédit, mais sans inquiéter vraiment notre Kényan préféré qui a probablement lissé sa forme pour viser Tour-Vuelta / en finissant nettement battu par Uran qui n'avait pas fait de podium de GT depuis trois ans / en sauvant son podium pour moins d'une seconde devant Landa qui sortait du Giro et était équipier de Froome, ce dont il a pâti mais aussi bénéficié, pour être honnête.
Très beau Tour de Bardet, personne ne dira le contraire, de quoi l'installer tout en haut de la hiérarchie des coureurs de GT...
...mais peut-être un peu en trompe-l'oeil comme la suite l'a montré :
- en 2018, il est à un niveau à peu près similaire à l'année précédente : avec une équipe décimée, une défaillance nette mais plutôt limitée en débours (Portet), une erreur tactique coûteuse (la Rosière), de grandes performances athlétiques mal récompensées (Alpe d'Huez, Laruns) et un bon chrono final (pour ses standards), il finit 6ème à 7 minutes, retour sur terre, écoeuré du Tour.
- en 2019, bon, non significatif, on l'avait vu venir mais pas à ce point, tout a foiré pour l'instant, j'écarte.
Tout cela ne dessinerait-il pas un niveau "d'espérances raisonnables" en-dessous de celles auxquelles il a pu croire et faire croire ?
Bardet n'est-il pas devenu prisonnier (volontaire) d'objectifs au Tour qu'il ne pouvait pas réellement assumer ?
Bien sûr on peut me répondre que je noircis le bilan, qu'à ce compte-là on peut relativiser n'importe quelle performance en GT..
Mais l'argument "il a fait deux podiums, rendez-vous compte, par définition ça veut bien dire qu'il peut gagner le Tour un jour, forcément !" m'a toujours paru un peu facile, un peu "argument d'autorité" pas si fondé. D'où ma réflexion.
Je ne néglige pas pour autant sa remarquable maîtrise du Tour dans toutes ses dimensions, ses très belles perfs ailleurs, et sa progression physique dans l'absolu est objectivement admirable, on ne peut pas dire qu'il n'a pas atteint le gratin mondial, en particulier dans ses registres d'endurance, d'altitude, de forts pourcentages.... Innsbruck, Liège dans une moindre mesure, et quelques "tappones" du Tour en ont témoigné.
Mais je me demande si, tout bien pesé, si on se cantonne au mois de juillet, il n'a pas été tout simplement remis à sa place physiquement, celle d'un très bon coureur comme beaucoup d'autres, qui, comme beaucoup d'autres, a des hauts et des bas, des atouts et des lacunes, mais qui, même au plus haut, quand tout roule, même un été de grâce, ne peut tout simplement pas être LE meilleur.
Peut-être prouvera-t-il une saison prochaine le contraire après un "reset" et un nouveau départ, comme il a déjà pu démentir tous ceux qui ne l'auraient jamais imaginé sur le podium, puis à nouveau l'année suivante... Je n'ai pas de certitude absolue, j'avance une hypothèse, mais quand même, j'en doute, aujourd'hui.
Le plafonnement, le sentiment de "buter", de devoir se réinventer, annoncent un sacré défi dans la construction de sa carrière et dans sa tête. Car au-delà des aléas d'une saison, d'une préparation perturbée, du mauvais sort, je crains qu'il ne touche aujourd'hui les limites de son système d'optimisation et de son "storytelling". Il l'aborde à sa manière d'ailleurs dans ton interview.
Le "toujours +" (son surnom dans son équipe), ça marche tant que ça marche, mais ça ne peut pas marcher indéfiniment.
Comme tout reposait sur sa capacité à
1/ continuer de progresser physiquement, par augmentation des charges de travail et "gains marginaux"
2/ être généralement fiable sur ses grands objectifs
3/ enrober tout le projet d'un discours très "vendeur" (je ne parle pas seulement pour l'extérieur, mais aussi pour lui-même), avec à l'horizon le Graal qui ne pourrait se refuser à lui indéfiniment...
Patatras, tout est à réinventer. La confiance absolue de son staff et des coéquipiers va être ébranlée aussi, il va lui falloir composer avec ça, dans une reconstruction de grande ampleur.
Toute cette impasse était sans doute déjà en germe il y a un an, son amertume à la fin du dernier Tour était très révélatrice à cet égard, et c'était étonnant qu'un résultat brut loin d'être déshonorant dans un contexte difficile le "casse" autant.
Entre temps, les Mondiaux ont été une parenthèse salvatrice qui a validé un très haut niveau athlétique, ce qui a différé certaines questions. Puis les parcours des différents GT + son staff l'ont fait repartir pour un Tour. Et puis là, la déroute fait éclater au grand jour cette impasse.
Je dramatise ou "systématise" peut-être à l'excès, je sais qu'en quelques mois, on peut aller très vite tout en haut et tout en bas dans le sport de haut niveau en général et le cyclisme en particulier, je sais que tout n'est pas à jeter, bien loin de là, mais j'ai vraiment ce sentiment du "système Bardet" qui s'effondre.
Et je suis bien curieux de savoir s'il va seulement l'amender, apporter des retouches à la marge, ou opérer une révolution intérieure et extérieure pour repartir sur un nouveau cycle avec une approche très différente.
Et accessoirement si j'ai beaucoup trop extrapolé ou touché un peu de sa vérité ;)