- 10 juil. 2022, 14:26
#3497363
J'ai L'Equipe en format pdf, je copie colle l'article du jour sur le parcours de Vingegaard. Marrant de voir que quand Jumbo a appelé Coloquick à l'origine, c'était parce qu'ils voulaient recruter Julius Johansen. On apprend surtout que dans ses jeunes années, il ne vivait vraiment pas comme un coureur pro en devenir, et que pendant deux ans, il a ensuite bossé dans une usine de poissons. Quand on voit comme des coureurs vivent presque comme des pros dès les juniors, c'est pas étonnant de le voir exploser plus tard.
À Thisted, au nord
du Danemark, les petites routes
serpentent au milieu d’une lande
de hautes herbes jaunies, sans
cesse rabattues par le vent venu
de la mer du Nord. C’est là que Jo-
nas Vingegaard a découvert le cy-
clisme, un jour de 2007. « Mon
père, qui roulait une ou deux fois par
semaine, m’avait emmené au dé-
part du Tour du Danemark. On habi-
tait à sept kilomètres de là, à Hil-
erslev. J’avais 10 ans, je jouais au
foot, mais j’étais tellement petit que
les autres ne me passaient jamais
le ballon. »
Dégoûté du football, l’actuel
deuxième du Tour accroche im-
médiatement avec le vélo en par-
ticipant à un test pour les enfants,
organisé par le club de la ville. « Ils
avaient une minute pour aller le
plus loin possible, raconte Claus
Vingegaard, le paternel, bon-
homme rondouillard, construc-
teur de fermes d’élevage de sau-
mons en Norvège. Jonas avait été
le plus rapide et cela lui avait plu
tout de suite de ne plus dépendre du
bon vouloir de copains pas toujours
tendres. Quelques semaines plus
tard, il était monté sur le podium
d’une course pour les débutants et,
dans la voiture, il ne voulait absolu-
ment plus lâcher sa petite coupe. »
Ce ne sont pourtant pas les ré-
sultats de leur gamin qui
décident Claus et Karina à
lui offrir son premier vélo,
un an et demi plus tard.
« Il a fait sa puberté très
tard, à plus de 17ans, et avant, il ne
gagnait jamais. Les gens du club
nous racontaient souvent qu’ils
avaient peur qu’il s’envole quand le
vent soufflait fort ! C’était très dur
pour lui, mais il s’accrochait. Il n’a ja-
mais été dégoûté ; le vélo, il aimait
vraiment ça. » Garçon timide et un
peu renfermé, il ne se sent à l’aise
que dans le cocon familial et
passe ses week-ends de prin-
temps et d’été sur les courses
avec sa sœur aînée Michelle, qui a
commencé le vélo un an après lui,
à parcourir le Danemark dans le
camping-car acheté par ses pa-
rents.
Les mois de juillet
au camping
de Bourg-Saint-Maurice
avec son paternel
Il aime le Tour de France, se re-
connaît dans le frêle gabarit des
grimpeurs et avoue, un peu gêné,
que son premier coureur préféré
a été l’Italien Riccardo Ricco, ex-
pulsé du Tour 2008 pour dopage.
Dans un pays où le point culmi-
nant se situe à 173 m d’altitude, il
rêve de montagnes, de routes qui
s’élèvent et son père, qui a suivi
une formation auprès de la DCU,
la fédération danoise de cyclisme
– « sept jours répartis sur l’année,
où on nous expliquait l’entraîne-
ment, la nutrition, la psychologie. Je
ne voulais pas le laisser sans avoir
un minimum de connaissances » –,
lui propose des vacances en
France. « Il avait 15, 16, 17ans et on
allait là-bas pour qu’il s’entraîne ;
parfois, on emmenait un copain à
lui. Au début, je grimpais avec lui,
mais il avait fait cinq ou six allers-re-
tours le temps que j’arrive au som-
met! On a grimpé le Glandon, le Ga-
libier. Puis, à partir de 2015, on a
passé tous nos mois de juillet au
camping de Bourg-Saint-Maurice.
On a vu passer le Tour deux fois à
l’Alpe-d’Huez et Jonas connaît par
cœur tous les cols du coin. »
Son destin de coureur profes
sionnel se dessine à cette époque.
Il a 19 ans quand il est repéré, au
beau milieu de la saison, par le
staff de l’équipe continentale Co-
loQuick, après avoir passé trois ki-
lomètres seul en tête et remporté
une course de côtes autour de la
petite ville de Hammel, sa pre-
mière victoire marquante. Sur le
chemin du retour chez lui, il reçoit
un appel de Jesper, un de ses
amis du club de Thisted : « Ils te
veulent ! » La rencontre avec les
deux directeurs sportifs Brian Pe-
tersen et Christian Andersen, le
lendemain, durera deux heures.
« Plus tard, se souvient Andersen,
on s’est aperçus qu’il n’était pas très
bien organisé. » « Il se levait tard,
n’arrivait pas à trouver un rythme
quotidien », ajoute Petersen.
Ils lui demandent de trouver un
travail. Ce sera dans l’usine de
poissons de Karsten Kongen,
coureur amateur au club de This-
ted, au cœur de l’immense port de
Hanstholm, l’un des plus grands
d’Europe.
Pendant deux ans, de six heures
du matin à midi, il emballe les fi-
lets de sole, de morue puis s’oc-
cupe de la vente aux enchères,
notant sur un ordinateur sanglé
sur son buste, la quantité et le
montant de chaque stock vendu.
Après le boulot, il va rouler avec
Karsten qui assiste à la transfor-
mation. « Quand il était au club,
c’était difficile pour lui de suivre le
rythme. Il a réussi car, dans notre
région, il n’y a que du vent. Alors il a
bossé contre le vent, bossé pour
avoir des résultats. »
Petersen se souvient de la pre-
mière impression: « Il avait 19 ans,
c’était un petit gars, mais il avait
quelque chose, peut-être une vo-
lonté, inscrite sur son visage. » Il
travaille toutes les facettes du cy-
clisme et, pendant ses congés,
loge chez Petersen qui lui inflige
deux séances d’entraînement par
jour dont une sur un vélo de con-
tre-la-montre. Un an après son
arrivée chez ColoQuick, il se casse
la jambe sur le Tour des Fjords,
doit se faire poser une vis mais il
ne lâche toujours pas et, en jan-
vier2018, lors d’un stage à Calpe,
en Espagne, il bat le record de la
montée du Coll de Rates, une ré-
férence chez les grimpeurs.
Pourtant, quand l’équipe Jumbo-
Visma appelle les DS de Colo-
Quick, c’est un autre coureur
qu’ils veulent : Julius Johansen
(aujourd’hui chez Intermarché-
Wanty-Gobert). Petersen: « J’ai dit
à Grischa (Niermann, un des res
ponsables sportifs de l’équipe né-
erlandaise) : “Vous devriez plutôt
tester ce gars.” On leur a envoyé
tous ses fichiers. »
Intégré depuis 2019 dans une
équipe où le développement per-
sonnel des coureurs est une des
priorités, Vingegaard a progressé
peu à peu. Sensible à la pression,
le Danois (25 ans) a été protégé
par les directeurs sportifs de
Jumbo qui, l’an dernier, après
l’abandon de Primoz Roglic sur le
Tour à cause d’une chute, avaient
bien pris soin de ne pas lui dire
qu’il devenait de fait leur leader, lui
donnant pour seul objectif: « Fais
ce que tu peux. » Deuxième à Pa-
ris, il avait forgé une confiance qui
va lui permettre, dans les jours qui
viennent, d’assumer le statut de
challenger de Tadej Pogacar. Cela
tombe bien, dans quatre jours, le
Tour arrive à l’Alpe-d’Huez, près
du camping de Bourg-Saint-
Maurice, sur les routes où, ado-
lescent, il a concrétisé son impro-
bable rêve de devenir un des
meilleurs grimpeurs du monde,
le grimpeur qui venait du plat.