« C'est un peu comme si on invitait des gens à un bal populaire et qu'on leur demandait de rester assis toute la soirée. » La métaphore imaginée par Thierry Vittu, le président de l'équipe Cofidis, témoigne de la réticence d'une bonne partie du peloton à l'idée soulevée mercredi par Roxana Maracineanu, la ministre des Sports, qui estime « imaginable » la tenue d'un Tour de France à huis clos cet été.
« Je n'y crois pas du tout, répond Jean-René Bernaudeau, manager de Total-Direct Énergie. Cette annonce est intenable et irrespectueuse vis-à-vis de la souffrance des soignants. Le Tour à tout prix, je n'en veux pas : soit on voit le bout de cette guerre bactériologique et on fait une belle fête aux Français, soit on n'en voit pas le bout et on ne fait rien. » Sur une épreuve en plein air de plus de trois semaines (27 juin-19 juillet), qui a attiré l'an dernier entre 10 et 12 millions de spectateurs (dont 20 % d'étrangers) au bord des routes françaises, un huis clos total est évidemment inexécutable. Quelles en seraient donc les contours ? La caravane publicitaire, qui draine un public considérable, n'aurait aucune raison d'être. Du reste, l'organisateur, ASO (Amaury Sport Organisation, propriété, comme L'Équipe, du groupe Amaury), s'inspirerait probablement des mesures prises sur Paris-Nice (8-14 mars) : fermeture des zones de départ et d'arrivée, puis annulation des espaces VIP et interdiction d'accès aux cols.
« Je suis contre l'idée d'un Tour sans spectateurs, tout en ayant bien conscience que beaucoup s'y rendront quand même et provoqueront ainsi un nouveau risque sanitaire, car c'est ce que sous-entendrait le huis clos, note Jean-Yves Lanoë, responsable du club des supporters de Groupama-FDJ. Si les gens veulent prendre leur camping-car et se placer dans les cols trois jours avant, ils le feront ; s'ils veulent s'y rendre en randonnant, ils le feront. Mettre des gendarmes tous les 200 mètres pour dire "circulez, il n'y a rien à voir", ça ne changera rien. »
Les collectivités, qui déboursent plusieurs dizaines de milliers d'euros pour accueillir une étape, sont également opposées à cette idée. « Le Tour ne se résume pas seulement à la course cycliste, c'est une liesse, une frénésie, une magie, liste Noël Lacaze, maire de Loudenvielle (Hautes-Pyrénées) où doit arriver la 8e étape. Chez nous, en montagne, c'est un folklore où les gens viennent s'installer parfois trois semaines avant. Quelque part, c'est le public qui fait le Tour. » « Le huis clos serait un désastre », glisse même l'élu d'une autre ville-étape.
D'après Maracineanu, une telle décision ne serait « pas si pénalisant(e) » puisqu'on pourrait suivre l'épreuve à la télé, et que « le modèle du Tour ne repose pas sur la billetterie mais sur les droits télé ». « Ça, c'est quand on le regarde les choses d'un point de vue purement économique, relativise Thierry Vittu. Mais il faut les voir sur un plan sanitaire, et rappeler que le Tour est une fête populaire. Or une fête populaire sans public, je ne comprends pas. »
Mais l'option a aussi ses partisans. Ceux-ci soulignent la portée symbolique que revêtirait le maintien de l'épreuve, même sans public, et si le coronavirus le permet. « On pourrait se retrouver autour d'un événement unificateur ancré dans le patrimoine, espère Romain Bardet (AG2R La Mondiale). J'ai de toute façon du mal à penser que le Tour 2020 soit identique à celui de l'an passé en termes de présence physique au bord de la route. » « Le huis clos est loin d'être une idée saugrenue, soutient Emmanuel Hubert, le patron d'Arkéa-Samsic. Aux JO, ça va, ça vient. Au Tour, ce sont les mêmes athlètes et les mêmes suiveurs du début à la fin. S'il faut tous les tester, testons-les ! Cela créera une frustration chez les spectateurs, mais, au moins, cela crée du bonheur dans les chaumières. Et on en aura beaucoup besoin une fois cet épisode terminé. »