- 22 juil. 2019, 15:04
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La chance d'Alaphilippe, et je le dis sans sous-entendu, est qu'il s'est expatrié assez jeune pour éviter la fixette des sponsors. Cela dit, avec la montée en puissance de Van Aert et Van der Poel, la route des flandriennes lui est barrée, et il y a de la concurrence sur les ardennaises. Ce sera très difficile pour lui de revenir sur le TdF la saison prochaine avec des ambitions réalistes, sauf si ASO rabote la montagne, genre Giro 1983, et très difficile de faire l'impasse.
Quant aux ambitions de Pinot, l'éternel débat "X se contentera d'un podium" m'amuse toujours. Je sais bien que le mental est présenté comme un facteur déterminant dans la carrière d'un champion, mais à leur échelle, les 164 rescapés du Tour sont tous des compétiteurs depuis les cadets, avec une immense volonté. C'est un peu comme en politique où le moindre conseiller général se rêve député, ministre et président, même à un âge avancé ou dans des formations hors-course. Après, il y a ceux qui disent "je vais gagner" (façon Simon Giro 2019) et ceux qui disent "je n'ai pas beaucoup de chances mais je vais tout donner", mais je ne suis pas persuadé qu'in fine, ils ne poursuivent pas le même dessein. En France et en Italie, c'est l'éducation classique et les humanités qui donnent un peu de retenue à l'orgueil des champions, et c'est pour ça aussi qu'on préfère un Poulidor à un Anquetil: dans la tragédie, le héros ne fanfaronne jamais et perd à la fin. A ce titre, le Gamin de Mélisey est un pur produit de l'axiologie classique, tandis qu'Alaphilippe tient davantage du winner à la sauce néo-managériale. Thibaud et Julien vs. Bryan et Djouliann, c'est aussi une guerre culturelle.
On l'aura compris, j'ai fait mon choix. Reste à savoir si le cyclisme moderne permet à ses héros d'enrayer l'horrible machine à gagner: le parcours s'y prête, parce qu'en tutoyant les cimes, la froide mécanique de l'armada des winners, abîmée dans un printemps compliqué (chutes de Froome, Bernal et Thomas, les trois as), peinera à saper les velléités offensives des uns et des autres. Il se pourrait que les humanités marquent un point, si le destin se montre favorable, si les oiseaux volent depuis la droite, et si Pinot ne croise pas un tuberculeux.
Pour un cyclisme d'avant-guerre, sauvagement beau, entre Carniole, Cantabrie et Bouches-du-Rhin (avec quelques Abyssins), sans laborantins, dollars, UCI, 4x4 et gagne-petits.