Avant de se rendre sur le Tour d'Italie dans les prochains jours et entre deux rendez-vous dans son agenda très chargé qu'il partage entre son poste de président de l'Union cycliste internationale (UCI) et celui du conseil départemental du Morbihan, sans oublier son mandat au Comité international olympique (CIO) depuis février 2022, David Lappartient nous avait reçu dans ses bureaux au siège de l'UCI en Suisse.
Le Breton est revenu sur son action depuis sa première élection en 2017 et l'entame de son deuxième mandat en 2021, sur les réformes qu'il a menées et les projets aboutis ou ceux qui ne le sont pas encore. ll s'est aussi expliqué sur ces choix controversés comme son voyage en 2020 au Turkménistan l'une des pires dictatures de la planète. S'il assume totalement son parcours politique, il affirme pourtant vouloir donner priorité à la présidence de l'UCI pour laquelle il ne voit pas de raisons de ne pas se représenter en 2025.
-Vous revendiquez souvent votre expérience politique pour expliquer votre fonction de président de l'UCI.
-Ce n'est pas un défaut de faire de la politique, dans le sens noble du terme. C'est même un atout à la tête de l'UCI car je suis plus capable de me dépatouiller d'un certain nombre de sujets parfois très compliqués. Les deux activités sont complémentaires en fait. Au département, je suis ainsi habitué à surveiller tous les risques de conflit d'intérêts et à vérifier les dépenses publiques, un domaine qui n'est pas non plus négligeable à la tête de l'UCI. Ça m'aide beaucoup même si à l'UCI, j'ai une vision beaucoup plus internationale que dans le Morbihan.
-Mais ce sens de la diplomatie que vous prônez, n'a-t-il pas parfois aussi ses limites ?
-Évidemment en ce moment, vu la situation, on ne va pas aller mettre les pieds en Russie. Mais oui, il y a des régimes à qui on doit parler car on a à porter un discours et les valeurs du sport, du vélo qui est d'unifier les gens. On peut toujours faire des choses fabuleuses en termes de rencontres.
-C'est pour cette raison que vous êtes allé rencontrer le président du Turkménistan Gurbanguly Berdimuhamedov présenté comme l'un des pires dictateurs de la planète ?
-Il y avait deux manières de voir les choses. La première, c'est que le Turkménistan était à l'origine d'une résolution des Nations unies pour créer chaque 3 juin la Journée mondiale du vélo, une résolution adoptée à l'unanimité des pays représentants à l'ONU. J'avais été invité à aller célébrer là-bas le premier anniversaire de cette journée par le président de la République qu'on peut situer en effet dans la catégorie des autocrates. Mais ce n'était absolument pas un soutien quelconque au régime turkmène, je suis resté fidèle là-bas aux principes qui sont les nôtres. J'ai parlé des droits de l'homme au président, j'ai parlé de liberté de la presse et de l'accès à Internet. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait grand monde qui soit allé dans son bureau pour lui parler de ça.
-Le cyclisme est-il si reconnu dans le monde pour que le président de l'UCI ait autant de poids ?
-L'UCI n'est pas une petite fédération. Derrière le président du CIO et celui de la FIFA, celui de l'UCI est reçu soit par le chef d'État ou le Premier ministre du pays qu'il visite, ou au moins par le ministre des Sports. Le niveau de décision se fait parfois au plus haut niveau de l'État, il est donc nécessaire de rencontrer ces personnages comme je l'ai fait avec le président du Rwanda, Paul Kagamé, pour l'organisation du premier Mondial de cyclisme en Afrique en 2025. Le cyclisme est un sport qui compte.
-Pensez-vous avoir atteint les objectifs que vous vous étiez fixés en arrivant à la tête de l'UCI en 2017 ?
-Sur beaucoup de dossiers, on est déjà au-delà de nos espérances. Comme pour l'organisation du Mondial global tous les quatre ans qui va regrouper pendant deux semaines 13 disciplines du cyclisme avec 8000 athlètes à Glasgow pour la première fois en août prochain. Après, il y a effectivement d'autres sujets qui n'ont pas abouti comme on le souhaitait. À commencer par le modèle économique du cyclisme professionnel. Il est acceptable, on peut vivre avec mais il y a encore un chantier à faire. Le cyclisme sur route, c'est 154 ans d'histoire dont 120 sur le Tour de France, ça n'aide pas à bouger le système aussi facilement. On a réussi à voter une réforme technique, le système des montées et descentes n'est pas parfait, mais il tient la route.
-N'avez-vous pas l'impression que l'importance accordée au sommet de la pyramide notamment, n'a pas tendance à affaiblir les organisations plus modestes comme celles de la Coupe de France par exemple ?
-Sans doute mais on ne peut plus raisonner comme avant quand quatre pays dominaient le cyclisme, la France, l'Italie, la Belgique et l'Espagne. Le monde du cyclisme s'est élargi et à partir du moment où il y a d'autres épreuves qui se créent sur le reste de la planète ça a forcément des effets sur des courses qui avaient l'habitude d'avoir des très gros plateaux chez nous en France. Pour autant, ce n'est pas non plus tout à fait logique que le World Tour ne soit pas encore présent en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie et quand on y sera arrivés, il y aura forcément d'autres conséquences sur le calendrier européen comme ça se passe dans le football, entre la Ligue des champions et les Championnats nationaux. L'objectif c'est que les meilleurs courent entre eux sur les plus grandes courses.
-Le risque n'est-il pas finalement de créer à terme un circuit fermé ?
-J'ai toujours été contre cette idée parce que les circuits fermés débouchent toujours sur une forme de privatisation du sport. Or, nous, on considère que l'essence même du sport européen c'est d'être ouvert. On doit pouvoir par la valeur sportive et par le niveau d'organisation, accéder au plus haut niveau. Mais quand on voit que les équipes Alpecin et Arkéa sont montées cette année en World Tour, on ne peut pas dire que le système soit fermé à ce point. Ça pourrait arriver effectivement si les droits étaient partagés entre les meilleures équipes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Certains critiquent le système de sponsoring tel qu'il est, mais est-ce que finalement, ce n'est pas le meilleur antidote au système fermé ?
-En avril 2022, vous aviez évoqué la possibilité de laisser Paris-Roubaix en octobre comme en 2021.
-Je l'avais dit parce que les conditions du Covid nous avaient montré que tout était possible, même d'avoir le Tour de France en septembre. Mais c'était plus de la provocation de ma part. Si c'est bien l'UCI qui décide des dates et du calendrier, il n'y a évidemment pas lieu de changer ce qui marche comme l'enchaînement Tour des Flandres et Paris-Roubaix qui a sa place au printemps. Maintenant, on pourrait réfléchir sur le cas de Liège-Bastogne-Liège et du Tour de Lombardie. Pourquoi ne pas les rapprocher par exemple ?
-Quelle est votre position sur le salary cap qui pourrait éviter de concentrer les meilleurs coureurs dans les quelques équipes aux plus gros budgets ?
-On est favorables à travailler sur ce sujet avec les équipes non pas sur un salary-cap individuel mais plutôt sur un "budget-cap" qui consisterait à fixer un seuil de la masse salariale et qui pourrait ainsi aider à égaliser la valeur des équipes, donc à en créer des nouvelles. Mais ce système n'est pas évident techniquement à mettre en oeuvre car comment calcule-t-on par exemple le salaire des coureurs en France avec des charges qu'il n'y a pas obligatoirement ailleurs. Les conditions ne nous permettent donc pas de le mettre en place avant 2026.
-Vous aviez fait de la lutte antidopage l'un des thèmes principaux de votre présidence, l'absence de grosses affaires comme dans les années 1990 et 2000 n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt ?
-C'est un sujet qui ne doit souffrir aucun relâchement de notre part. Entre 2022 et 2024, on sera passé de 7,5 à 10 millions d'euros soit 35 % d'investissement supplémentaire dans la lutte antidopage sur les 45 millions de notre budget annuel. C'est absolument considérable. Aucune autre fédération au monde ne consacre une telle proportion de son budget à cette lutte. Les équipes, les organisateurs, les coureurs sont vraiment engagés avec nous. On est clairement le sport de l'antidopage aujourd'hui, des précurseurs qui sont montrés en exemple partout. Je me suis battu contre l'utilisation du Tramadol, on l'a interdit dans le vélo, l'Agence mondiale antidopage va nous suivre à compter du 1er janvier 2024. Maintenant sur les 1000 athlètes hommes et les 400 femmes du plus haut niveau du cyclisme, vous en trouverez toujours quelques-uns qui bricolent. Mais si ça arrive, ils doivent savoir qu'il y aura toujours les contrôles et on veut qu'ils aient la certitude de se faire attraper. Je ne suis pas naïf au point d'imaginer qu'il faudrait relâcher les efforts. Ce qui est dommage, et je le dis en tant qu'administrateur de l'AMA (Agence mondiale antidopage) c'est qu'on ne consacre pas assez de moyens à la recherche au niveau mondial.
-Allez-vous vous représenter à la tête de l'UCI en 2025 pour un troisième mandat ?
-Je n'ai pas encore pris ma décision mais je n'ai pas trouvé de bonnes raisons de ne pas le faire. Il y a encore des choses à faire ici même si c'est bien aussi de savoir arrêter un jour. Quand j'étais président de la FFC (Fédération française de cyclisme), ce n'aurait pas été non plus illogique que je fasse aussi un troisième mandat et je ne l'ai finalement pas fait.
-Et si on vous appelle un jour au gouvernement ?
-J'aime trop ce que je fais comme président de l'UCI pour accepter un poste de ministre. On imagine qu'il y aura un remaniement prochainement mais il y a en poste une bonne ministre des Sports (Amélie Oudéa-Castéra) et aujourd'hui je trouve qu'elle fait un bon travail. Je m'entends très bien avec elle et j'espère qu'elle continuera sa mission. On ne change pas de ministre des Sports à un an des Jeux Olympiques. Et puis au gouvernement j'aurais moins de pouvoir qu'en tant que président de l'UCI.
-Ce n'est que le poste de numéro 1 qui vous intéresse en fait ?
-Oui, j'ai l'âme d'un chef. C'est vrai que j'aime bien les postes exécutifs là où je suis à la manoeuvre. J'aurais aussi bien pu être parlementaire mais j'ai toujours préféré prendre la décision que d'y concourir. On peut faire des choses quand on est au pouvoir, certains me prenaient pour un fou avec mes idées quand je suis arrivé à la tête de l'UCI. J'en ai encore d'autres en tête comme celle de créer une course dans des territoires de guerre, au Moyen-Orient. J'espère qu'on y arrivera aussi un jour, car je pense qu'il faut savoir porter ces projets politiquement. C'est aussi pour ça que j'aime diriger.