16ème étape
BLAGNAC-LUZ ARDIDEN,
215 km
mardi 17 juillet 1990
Il fait toujours beau, mais un peu moins chaud, comme toujours au pied des Pyrénées
, (love).
L’étape commence par 138 km de plat (ou presque)
avant l’enchaînement quasiment sans vallée : ASPIN (par Arreau) – TOURMALET (par Ste Marie) – LUZ-ARDIDEN.
La « grande explication » est bien sûr attendue. Delgado, bien que n’ayant pas franchement convaincu dans la montagne depuis le début du Tour, est encore largement cité comme favori pour la victoire d’étape, voire beaucoup mieux. Il est vrai qu’il est sur son terrain, les Pyrénées qu’il aime tant.
Mais c’est tout de même curieux, je trouve.
Par ailleurs, « tout le monde » ou presque pense que Chiappuci perdra le maillot jaune aujourd’hui.
Le départ est donné tôt le matin.
Lors des 130 premiers km, il n’y a pas d’échappé. Le peloton roulote à 2 km/h, en exagérant à peine un peu
C’est la flânerie au milieu de la plaine de la Garonne bordée de champs de maïs et de tournesols.
Glandouillage en règle, à peine perturbé par les 2 sprints intermédiaires remportés par Museeuw, décidemment bien plus en forme que Ludwig, qui a l’air un peu cramé, sur cette fin de Tour et par la côte de Monlong, sprint GPM de 3ème catégorie remporté par Claveyrolat.
Enfin, on arrive à Arreau, au pied du col d’Aspin, à 77 km de l’arrivée ; et c’est là que la course commence
Les Z de Lemond et les Château d’Ax de Bugno durcissent le rythme dès les premières pentes d’Aspin. Les grupettos(i) se forment avec les non-grimpeurs et Charly Mottet qui paye un peu son exploit de la veille
À la surprise générale le premier attaquant de la journée, est le maillot jaune en personne, Chiappucci, qui choisit une stratégie ultra-offensive pour conserver son maillot.
Il emmène dans son sillage Müller (TVM), Bagot (RMO), Jérôme Simon (Z) qui le marque, Bruyneel (Lotto) et Martinez-Torres (Once); Palacio (Postobon) les rejoint un peu plus haut.
Ces 7 coureurs ont rapidement une trentaine de secondes d’avance sur un peloton qui s’égrène au fil des kilomètres (45 coureurs environ au sommet d’Aspin) ; 35" de retard au sommet du col pour le peloton.
Chiappucci semble en pleine forme.
Peu avant le sommet, les 7 sont rejoints par Konyshev (Alapha-Lum), Hernandez (Postobon), puis Claveyrolat et Conti au début de la descente. Ils sont 11.
Ce groupe « fait la descente », tandis que le peloton temporise.
Müller s’est échappé de l'échappée, il a 25" d’avance sur ses 10 poursuivants, à Ste Marie-de-Campan et 2’25 sur le peloton !
Chiappucci a donc 2 minutes d’avance sur ses rivaux
Dès les premiers km du Tourmalet, les moins durs, Müller est repris puis lâché par le groupe Chiappucci, tout comme Hernandez et Bagot.
Les Z font le tempo en tête du peloton, ce qui n’empêche pas Cornillet, leur coéquipier de partir à l’avant, peut-être pour servir de relais à Lemond un peu plus tard. Il est rejoint par Fuerte (Once).
À mi-col, on retrouve devant Chiappucci qui fournit un gros travail, clairement aidé par Conti, par solidarité italienne peut-être
Bruyneel, J.Simon, Martinez-Torres et Palacio. Konyshev et Claveyrolat qui s’est pris un petit coup de bambou sont à une trentaine de secondes, Cornillet et Fuerte à 1’, et le groupe des favoris, toujours mené par les Z, à 1’50.
Les Banesto inquiètent ; eux, dont on attendait une grande offensive, disparaissent les uns après les autres ; même Rondon est lâché. Il ne reste qu’Indurain et Delgado dans le « peloton » ; ce dernier ne quitte pas les dernières places. Coup de bluff ? Désintérêt pour la course ? Panne de jambes ?
Devant à 6-7 km du sommet, vers « les tunnels », Palacio puis Martinez-Torres attaquent, Bruyneel ne peut les suivre et est repris par Chiappucci qui semble un peu moins bien, Conti son « coéquipier du jour » et J.Simon qui « surveille ».
Martinez-Torres fait une fin d’ascension de Tourmalet assez étourdissante, bien que les commentateurs s’en foutent pas mal. Il distance Palacio.
Dans le groupe des favoris, ça bouge enfin à La Mongie, là où la pente est la plus sévère ; Lemond secoue tout le monde en 2 ou 3 accélérations ; seuls Montoya (Postobon), Indurain, puis Delgado (de façon un peu plus poussive), arrivent à le suivre.
Ce groupe rejoint Cornillet, qui a attendu, et qui se met à rouler à fond pour son leader. C’est bien joué de la part des Z
Breukink puis Bugno sont les principales victimes de ce « coup ». Le hollandais est dans son jour-sans, il n’avance plus et a même du mal à prendre la roue d’Alcala. Ce n’est guère mieux pour l’italien qui résiste dans un premier temps avant de s’effondrer à son tour.
Cependant, Lemond, nerveux et flanqué des Banesto, hésite à se livrer totalement ; le rythme de Cornillet qui est le seul à rouler dans son groupe est moins important sur le sommet, car même Konyshev et Fuerte, repris, parviennent à suivre ; et Parra est revenu de l’arrière.
Au sommet, on a :
M-Torres en tête, Palacio à 1’33, le groupe Chiappucci (toujours les 4 mêmes) à 1’50, Claveyrolat, toujours là, à 2’14, le groupe Lemond-Delgado à 2’57 (avec Cornillet, Indurain, Montoya, Konyshev, Parra, Fuerte), puis juste derrière Criquiélion (Lotto), Hampsten (7-Eleven), Lejarreta (Once), Delion (Helvetia), Philippot (Castorama), Boyer (Z) et Jaramillo (Postobon). Tous ces coureurs ont fait une très belle fin d’ascension.
Le groupe Bugno-Breukink-Alcala passe à 4’05.
Descente du Tourmalet vers Luz-St Sauveur à 100 km/h
Et quelques regroupements au bas de la descente après Barrèges.
M-Torres toujours en tête ; à 2’55 le groupe Chiappucci (Palacio a été repris et Claveyrolat est revenu, 6 coureurs donc) ; et à 3’13 le groupe Lemond avec une quinzaine de coureurs. L’américain fait une descente de dingue.
Finalement au pied de Luz-Ardiden, jonction entre les 2 groupes ; ils sont 21.
Les Z roulent, au début de la montée finale, ce qui est logique.
Et il ne se passe pas grand-chose jusqu’à 10 km du but, là où les équipiers de Lemond s’écartent.
Ce dernier place alors deux grosses accélérations, et à chaque fois Chiappucci est un peu distancé, mais à chaque fois il revient. Soit l’italien est fort, soit il bluffe parfaitement. Lemond semble prendre un petit coup sur la tête.
Chiappucci, en patron, se place alors en tête du groupe et fait le train
Ils ne sont plus que 12 dans son sillage (Lemond, Lejarreta, Indurain, Delgado, Conti, Delion, Philippot, Criquiélion, Hampsten, Parra, Montoya et Fuerte).
Et puis, on attend…
Delgado ? Lemond ? Il n’y a plus d’attaque, on commence à s’inquiéter
(serait-on déjà en 2020 ?), Chiappucci va-t-il gagner le Tour ? M-Torres, l’étape ? Ce dernier a toujours 3’ d’avance à 9 km du but
Le sauveur est Fabio Parra qui attaque à 8 km, suivi par Lemond, puis tout le reste du groupe.
Non, pas tous, il en manque un, et c’est le maillot jaune Chiappucci qui craque; "Enfin!", pensent beaucoup de suiveurs, tout bas.
Lemond décide alors d’accélérer, mais il n’est pas aérien non plus, il est fébrile, se retournant sans cesse, changeant de braquet en permanence, très nerveux ; c’est à la limite du supportable
(on dirait Pinot, putain).
Mais malgré tout, avec son style dégueulasse, et tordant son vélo en tout sens, il fait un trou ; seuls Indurain, qui « fume la pipe », et Lejarreta le suivent.
Delgado est lâché. Ce n’était pas du bluff pour lui aujourd’hui, il n’avait pas les jambes
Lemond n’a plus le choix, il doit rouler ; et progressivement, au fil des km, galvanisé par le public et les défaillances de tous ses adversaires directs, il arrive à transformer sa nervosité en rage de vaincre. Son rythme va en augmentant. Il est en train d'aller chercher
le Tour de France.
On retrouve le grand Lemond qui bourrine la pente, Indurain qui le suit (et ne prend aucun relais, ce qui est normal) ouvre même la bouche à 2 km du sommet. Lejarreta lâche à ce moment-là et M-Torres repris dans la foulée se prend un sacré un coup de vent.
Delgado accompagné de Boyer, de Criquiélion et d’Hampsten navigue à plus d’1’30 et Chiappucci déjà à 2’. Et ne parlons pas de Bugno et de Breukink.
Pour une fois, on ne demande pas à Indurain de se relever
Delgado n’y est plus, ce n’est pas la peine, il a donc "carte blanche".
Miguel ne se fait pas prier, à 500 mètres de la ligne, il lève le cul (ça lui arrivait parfois) et distance Lemond comme si celui était un cadet. Tout en aisance, avec une facilité déconcertante, il va donc cueillir le bouquet de la victoire
On ne doutait plus trop, mais aujourd’hui c’est confirmé, Indurain est un vainqueur du Tour en puissance. On devrait en reparler dans les années à venir. Beaucoup pensent que s’il n’avait pas larbiné pour Delgado sur ce Tour, il aurait pu envisager un podium, voire pourquoi pas la victoire finale
Lemond finit à l’arrache, à 5 secondes.
Les coureurs arrivent ensuite un par un ; les écarts ne sont toutefois pas gigantesques.
Delgado à 1’38, le Tour est perdu pour lui.
Chiappucci, qui encore une fois n’a pas si mal finit que ça, est auteur d’un très bon dernier km; et parvient, au bout de son effort à conserver son maillot jaune pour 5 secondes
Quel mental ! Claudio Chiappucci a montré aujourd’hui qu’il avait le tempérament d’un champion ; peut-être un déblocage, qui pourrait alors lui permettre d'être redoutable dans les années à venir.
Bugno finit à 4’07 et Breukink à 4’22
Voilà !
Ce soir la messe est dite, la grande étape pyrénéenne a rendu son verdict ; car bien qu’il n’est ni remporté l’étape, ni pris le maillot jaune, aujourd’hui, l’américain Greg Lemond a, sauf incident, gagné le Tour de France 1990.
Il n’a pas été impérial, plutôt dans la douleur, courageux et besogneux, mais il est tout simplement le seul des grands leaders qui n’a jamais eu de défaillance. Tous les autres ont merdé au moins une fois ; quand ce n’est pas à plusieurs reprises.
Car, en effet, avec 5 secondes d’avance, et en vue du chrono autour du Lac de Vassivière l’avant-dernier jour, il est évident que Chiappucci n’a aucune chance de garder son maillot.
De plus il ne reste plus d’étapes vraiment difficiles. La 2ème étape pyrénéenne étant très « light » avec l’Aubisque très loin de l’arrivée puis Marie-Blanque avant une arrivée à Pau. Bof, bof.
CLASSEMENTS :
ETAPE :
1. Miguel Indurain (Esp) en 7h04'38" (moy : 30.379 km/h)
2. Greg LeMond (Usa) à 6"
3. Marino Lejarreta (Esp) à 15"
4. Miguel Martinez-Torres (Esp) à 59"
5. Fabio Parra (Col) à 1'18"
6. Roberto Conti (Ita) à 1'24"
7. Claude Criquielion (Bel) à 1'36"
8. Pedro Delgado (Esp) à 1'38"
9. Eric Boyer (Fra)
10. Gilles Delion (Fra) à 2'00"
11. Eduardo Chozas (Esp)
12. Fabrice Philipot (Fra)
13. Andrew Hampsten (Usa) à 2'13"
14. Claudio Chiappucci (Ita) à 2'25"
15. Nelson Rodriguez (Col) à 2'42"
16. Johan Bruyneel (Bel) à 3'21"
17. Anselmo Fuerte (Esp) à 3'33"
18. William Palacio (Col) à 4'06"
19. Carlos-Mario Jaramillo (Col)
20. Gianni Bugno (Ita) à 4'07"
21. Jérôme Simon (Fra) à 4'17"
22. Erik Breukink (Hol) à 4'22"
23. Abelardo Rondon (Col) à 5'03"
24. Thierry Claveyrolat (Fra) à 5'09"
25. Pascal Lino (Fra)
GENERAL :
1. Claudio Chiappucci (Ita) en 69h27'50"
2. Greg LeMond (Usa) à 5"
3. Pedro Delgado (Esp) à 3'42"
4. Erik Breukink (Hol) à 3'49"
5. Marino Lejarreta (Esp) à 5'29"
6. Gianni Bugno (Ita) à 7'48"
7. Eduardo Chozas (Esp) à 7'49"
8. Claude Criquielion (Bel) à 8'40"
9. Andrew Hampsten (Usa) à 9'34"
10. Ronan Pensec (Fra) à 11'12"
11. Fabio Parra (Col) à 11'30"
12. Raul Alcala (Mex) à 11'48"
13. Miguel Indurain (Esp) à 13'09"
14. Fabrice Philipot (Fra) à 13'33"
15. Gilles Delion (Fra) à 14'58"
16. Pello Ruiz-Cabestany (Esp) à 15'44"
17. William Palacio (Col) à 17'03"
18. Thierry Claveyrolat (Fra) à 17'26"
19. Roberto Conti (Ita) à 18'03"
20. Eric Boyer (Fra) à 18'46"
POINTS :
1. Olaf Ludwig (Rda) 208 pts
2. Johan Museeuw (Bel) 176
3. Greg LeMond (Usa) 101
4. Sean Kelly (Irl) 95
5. Eduardo Chozas (Esp) 78
MONTAGNE :
1. Thierry Claveyrolat (Fra) 318 pts
2. Claudio Chiappucci (Ita) 165
3. Miguel Indurain (Esp) 153
4. Roberto Conti (Ita) 149
5. Greg LeMond (Usa) 135