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Modérateur : Modos VCN


Par fred30
#3267949
Ces types-là étaient faits d'un bois très particulier quand même :w00t:
Quel courage il fallait pour faire ces distances sur ces vélos, sur ces routes ...
Merci à toi, je savais que tu alimenterais le topic :wink:

Je trouve que Paris-Tours a un parfum d'aventure avec cette distance. Ok moins long que Bordeaux-Paris ou Paris-Brest-Paris, mais quand même. Quand je vois le résumé de ces courses-là, je me dis que ce ne sont pas QUE des courses de vélo.

Pour compléter la remarque sur Anquetil quand F.Pelissier lui fait signer son premier contrat.
Aux journalistes qui ne sont pas familiers de la Normandie et qui se demandent qui est ce jeune coureur de seulement 19 ans, il annonce : "Messieurs, je vais faire gagner un gamin !" Et hop : 6'40'' dans les dents du deuxième :tonton: (GP des Nations 53)
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Par levrai-dufaux
#3268200
runnz a écrit :
08 déc. 2020, 19:39
Merci, je n'avais jamais lu le détail de cette édition de Paris-Tours. À partir de quel livre tu t'es inspiré pour ce très beau récit.
Je me suis directement basé sur le compte-rendu publié par l'Auto, dont les archives sont consultables sur le site de Gallica.

Merci à tous pour vos retours :jap:
Par fred30
#3268627
Tour de France 1977

17ème étape : Chamonix – Alpe d’Huez.


Enfin ! Le Tour 1977 somnolait, ronronnait. Nous nous endormions parfois devant l’absence de spectacle, désespérante, et les positions des favoris figées depuis la 2ème étape. Il ne restait que cinq jours avant l’arrivée à Paris et nous étions en train de ranger cette édition parmi les moins palpitantes à suivre.

Thurau remplit le vide.

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Il y eut bien la révélation Thurau, sa jeunesse éclatante et sa classe naturelle, capable d’enlever prologue et CLM individuel, comme de s’imposer en plaine après avoir escaladé Tourmalet et Aubisque. Mais tout ceci était bien maigre en densité. Il y eut surtout le refus des coureurs de faire la course, agacés qu’ils étaient par les nombreux transferts et le passage dans les Pyrénées dès le 3 ème jour qui figea les positions. Il y eut l’échappée fleuve, solitaire et victorieuse de Bernard Quilfen à travers le Jura : 222 km face à soi-même pour une victoire mémorable. Mais là encore, les observateurs furent déçus de voir que les cols jurassiens étaient escamotés par les grands leaders. Nous attendions une explication, une envolée, un coureur qui mise tout afin de gagner quitte à perdre, une saine adversité qui pousse chacun à être une meilleure version de lui-même. Nous attendions en vain. Et puis, les coureurs se sont levés. Ils se sont réveillés. En sursaut. Ils ont piétiné leur torpeur comme des enfants jettent leur couette le matin du 25 décembre. Rongeaient-ils leur frein jusque-là ? Avaient-ils planifié cette explosion soudaine d’initiative, de jeu, de risque ?

Trois cols hors catégorie : les marches de la gloire
Cette étape qui empruntait les cols de la Madeleine, du Glandon, et la montée finale de l’Alpe d’Huez, restera comme le nectar de ce Tour à la saveur amère. Le col de la Madeleine s’est monté au train et a commencé d’essorer ce qui restait du peloton : 88 coureurs au départ. Une fois dans le col du Glandon, nous étions en train d’épier les attitudes des prétendants à la victoire finale. Ce matin encore, Thévenet maillot jaune était suivi de D.Thurau à 11 secondes, de Van Impe à 33 secondes, Kuiper était à 49 secondes et Zoetemelk à 1’.13’’. Alors, même si la veille Merckx avait confirmé son déclin sur les pentes de la Forclaz et accusé un débours de 2.37 sur cette seule étape, les prétendants étaient encore nombreux.
A 6 km du sommet du Glandon, Van Impe a attaqué franchement et s’est hissé vers le sommet. Le vainqueur sortant a décidé de faire « tapis » et de laisser ses tripes sur la route. Derrière, très rapidement ce fut un par un. Thévenet défendait son maillot accompagné de Zoetemelk, Kuiper et Galdos. Ce dernier lâcha un peu plus loin et les trois hommes virent l’ardoisier leur annoncer des écarts toujours grandissants. Au sommet du col du Glandon, le grimpeur belge avait 1’25’’ d’avance sur ses rivaux. Il restait une soixantaine de kilomètres à parcourir. A l’arrière, Thévenet fit preuve d’un sang-froid et d’un courage remarquables car Zoetemelk et Kuiper ne le relayaient pas ou très peu. Il comprit vite qu’il ne devait pas se livrer à corps perdu car ses deux adversaires attendaient le moment opportun pour le contrer.

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Les 21 virages de l'Alpe d'Huez : le parfait ascenseur émotionnel.
Au Bourg d’Oisans, le groupe maillot jaune constata les dégâts : Van Impe avait désormais 2’45’’ d’avance. Et il semblait encore fringant, sautillant sur ses pédales et relançant à chaque occasion. Cela faisait une quarantaine de kilomètres qu’il était maillot jaune virtuel. Sont-ce les manches du dit maillot qui se mirent à peser sur ses épaules ? Sous l’effet du travail de Thévenet héroïque, il commença à perdre du temps. Thévenet surveillait du coin de l’œil Kuiper et Zoetemelk, quoique ce dernier se montrât moins à l'aise en apparence.
L’inévitable arriva alors : Kuiper porta une violente attaque à un peu plus de 5 km du sommet. Alors enfin, après l’épopée solitaire, nous vîmes quatre favoris du tour un par un, dans un final à distance au couteau. Kuiper avait aiguisé sa lame et donna toutes les forces qui lui restaient afin de faire la différence rapidement. Les secondes s’égrenaient au profit du hollandais, Van Impe faiblissant toujours un peu plus. Les jambes du belge ne tournaient plus rond et il dût sentir le souffle de Kuiper derrière lui.

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Alors qu’il perdait du temps de manière très rapide, une voiture suiveuse le fit alors tomber sur le trottoir ! Sans chercher à masquer son désarroi, Van Impe remonta sur sa machine, fit quelques mètres avant de se rendre compte que son boyau était crevé et sa roue cassée ! C’en était trop. C’est en ces circonstances qu’il vit Kuiper le dépasser et se diriger vers la victoire d’étape. Un peu plus haut, après avoir changé de vélo, il vit Thévenet le dépasser, le maillot jaune ayant lui-même, quelques hectomètres plus bas, évité le pire en passant entre une voiture et le trottoir in extremis face à cet écran de véhicules suiveurs qui prenait toute la largeur de la route : une moto de l’organisation avait chuté et désorganisé ce capharnaüm mobile. Thévenet regarda cette cohue d'un air incrédule et s'échina à sauver sa peau.
A ce moment c’est Kuiper qui était devant au classement virtuel. Seul comme il l’avait été depuis le Glandon, Thévenet continua de se défendre dans un effort à peine humain. Il reprit une dizaine de secondes à Kuiper lors des derniers kilomètres, juste assez pour conserver son paletot.

Des conséquences à tous les étages
Ce soir Thévenet est sur un fil, mais ce fil est jaune et il fait 8 millimètres. « Je préfère avoir fait cet effort et être en jaune pour 8 secondes qu’avoir fait un effort plus raisonnable et être derrière au classement. 8 secondes, c’est important pour le contre-la-montre qui arrive. » Kuiper a fait un rapproché qui l’autorise à rêver, et Zoetemelk a perdu l’espoir d’enfin s’imposer. Il a terminé l’étape à 4.40 de son compatriote et se retrouve à 5’12’’ au général. Thurau et Merckx ont pris ce qu’on appelle un éclat, respectivement à 12’30’’ et 13’10’’.
Quant à Van Impe, celui qui a allumé la mèche ayant tout fait exploser, il a cédé et termine troisième de l’étape à 2’06’’. Il terminera probablement troisième cette année mais le Tour de France peut le remercier d’avoir tenté de renverser la table. « J’ai joué, j’ai perdu » a-t-il déclaré à la presse.

D’autres que lui ont perdu plus gros encore, 30 coureurs étant éliminés car hors délais en haut de la station iséroise.
Jacques Esclassan a le sourire. Ses deux rivaux pour le maillot vert sont invités à rentrer chez eux.

Classement de l'étape :
1 - H.Kuiper
2 - B.Thévenet, à 41"
3 - Van Impe, à 2'06"
4 - F.Galdos, à 2'59"
5 - J.Zoetemelk, à 4'40"

Classement général :
1 - B.Thévenet
2 - H.Kuiper, à 8"
3 - L.Van Impe, à 1'.58"
4 - F.Galdos, à 4'14"
5 - J.Zoetemelk, à 5'12"

Par marcella
#3268962
fred30 a écrit :
13 déc. 2020, 17:59
Aucune réaction ?
Personne n'a de souvenirs de cette étape, ou une anecdote à son sujet ?
Pas d'anecdote mais j'en garde quelques souvenirs, j'étais pourtant tout minot, car le filleul de mon grand-père faisait le tour comme gregario de L. van Impe.
J'entends encore Daniel Pautrat et Jean-Michel Leulliot annoncer sa chute.
Autant vous dire que l'on était déçu dans la famille.

Je me suis consolé, lors d'un critérium d'après tour, où j'avais récupéré une casquette de la BP Lejeune.
Je l'ai longtemps gardé comme une relique celle-là !
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Par loloherrera
#3268974
Ce qui condamna sans doute Van Impe, c'est le vent de face dans la portion plate avant Bourg d'Oisans, où son petit gabarit a payé la note sur les pentes de l'Alpe. Sa chute est malheureuse, mais il aurait de toute façon été rejoint car il était cuit.
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Par gradouble
#3269015
fred30 a écrit :
13 déc. 2020, 17:59
Aucune réaction ?
Personne n'a de souvenirs de cette étape, ou une anecdote à son sujet ?

Ne t'inquiètes pas, on a lu :wink:

Bon, moi j'ai pas connu, j'avais vu les images de cette étape il y a quelques années.
Honnêtement, elle n'est pas mal; mais pas dantesque je trouve.
Ce Tour 77 me semble avoir été bien triste quand même. Et je ne suis pas un grand fan des 4 principaux protagonistes de cette étape.
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Par levrai-dufaux
#3269064
Merci fred pour ce nouveau texte :super:
Tout comme toi, je considère qu'il s'agit d'une étape sous-estimée de l'histoire du Tour. Elle a tout les ingrédients : du suspense avec un général très serré, un favori qui se lance dans une grande offensive, des rebondissements, un drame avec la chute de Van Impe, et un mano à mano royal entre Thévenet et Kuiper, le tout dans un cadre grandiose. C'était alors l'une des premières montées de l'Alpe d'Huez qui avait été longtemps ignorée après la victoire de Coppi en 52. Mon sentiment est que Thévenet gagne le Tour ce jour-là plus que lors du chrono de Dijon quelques jours plus tard. J'ai la conviction que si les positions sont inversées au départ du chrono, l'ascendant psychologique et le surcroît de motivation apporté par le maillot jaune font pencher la balance du côté de Kuiper.

Le Tour 1977 n'a pas bonne réputation, comme beaucoup de Tours de la période 1975-1985. Je pense que ce constate est sévère. Malheureusement, ces Tours ont principalement été racontés par des suiveurs qui s'étaient émerveillés dans les années 1950-1960 et qui apparaissent quelque peu désenchantés face au cyclisme moderne d'alors. Le Tour 1979 par exemple mériterait d'être davantage connu, ne serait-ce que pour l'étape des pavés où Hinault joua de malchance.

J'avais mentionné l'étape de l'Alpe d'Huez 1977 dans le sujet sur les "injustices du passé" : viewtopic.php?f=14&t=76587
Je remets ici simplement la vidéo pour ceux qui seraient intéressés :

(on trouve d'autres parties de l'étape sur youtube)
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Par levrai-dufaux
#3269065
CPTmatros a écrit :
13 déc. 2020, 20:50
Merci pour ce nouveau récit Fred! :super:
Une époque que je n'ai pas connue mais visiblement les réputations de ratons des Néerlandais n'étaient pas usurpées. :green:
J'imagine la gueule des suiveurs quand Kuiper a contré Thévenet... :genance:
J'ai plutôt l'impression que dans les années 1970, il est d'usage de laisser le maillot jaune se débrouiller seul lorsqu'il est mis en difficulté. Kuiper et Zoetemelk font exactement la même chose que Thévenet et consorts quelques années plus tôt dans l'étape d'Orcières Merlette lorsque Merckx est en poursuite d'Ocana. Idem dans l'étape pavée du Tour 79 que je mentionnais dans mon message précédent, il n'est venu à l'esprit de personne de relayer le maillot jaune et son équipe. C'est son devoir de se défendre par lui-même et il ne peut espérer trouver d'alliés auprès d'autres coureurs en lutte pour le général.

Les mentalités ont beaucoup changé aujourd'hui à ce niveau (la vidéo ci-dessus permet d'ailleurs de se rendre compte que les commentateurs ne sont absolument pas choqués par la stratégie de Kuiper mais paraissent plutôt impressionnés par la qualité de son attaque)
Par fred30
#3269154
Je trouvais aussi que cette étape était tout ce que l'on attend d'une course à étapes. C'est surtout qu'elle intervient (presque) au terme de trois semaines insipides où il n'y a rien eu à se mettre sous la dent. Même quand Merckx est distancé le 3ème jour dans le Tourmalet, personne ne fait le forcing pour le distancer plus clairement, il revient dans la descente avec Thurau, tout ce petit monde monte l'Aubisque en mode cyclosport et 60 km plus loin à Pau, Thurau gagne l'étape au sprint. :saoul:

Si ceux qui commentaient ce tour étaient les mêmes que ceux qui commentaient dans les années 50-60, comme tu le dis levrai-dufaux, tu m'étonnes qu'ils aient été déçus. Je conseille à CPT de ne jamais faire la chronique du tour 77 :rieur:
Entre autre bizarrerie, un CLM par équipes de 4.5 km :pt1cable: C'est à se demander si chaque coureur a eu le temps de prendre un relais ...

Je suis d'accord avec loloherrera : pour moi ce n'est pas une injustice d'un point de vue du résultat pour Van Impe : il était en train de se faire croquer quoiqu'il arrive. En revanche, s'il avait pu être dépassé par Kuiper en étant sur son vélo, cela aurait eu plus d'allure pour lui ...

Sur la volonté de ratonner de Kuiper et Zoetemelk, je suis partagé : je suis le premier à râler quand un 2ème, 3ème ou plus loin au général, fait le travail à la place du maillot jaune après une attaque. Mais ici, c'est particulièrement poussé. Quand Van Impe a presque 3 min d'avance, je pense que si je suis Kuiper ou Zoetemelk, je relaie Thévenet sans faire semblant. Qu'il le laissent faire le boulot au pied de l'Alpe ok, dans les derniers km du Glandon aussi d'accord, mais sur la descente et la vallée, ils ont joué avec le feu. C'est Van Impe qui était devenu l'homme à battre, pas Thévenet. Heureusement que Thévenet a été aussi fort sinon c'est enterrement de première classe. :spamafote:

Quelques liens avec les réactions des principaux concernés après l'arrivée
Van Impe :
https://m.ina.fr/video/I00009533/lucien ... video.html
Thévenet :
https://m.ina.fr/video/I00009529/bernar ... video.html

Les remarques de Thévenet montrent que le débat n'est pas simple sur la collaboration entre rivaux.
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Par levrai-dufaux
#3269331
J'ai beaucoup de sympathie pour Thévenet mais sa réaction, à chaud, est à prendre avec des pincettes.
Lors de la retransmission, on entend Pautrat rapporter les insultes dont est victime Zoetemelk, précédé par sa réputation de suceur de roue, de la part des spectateurs. En cabine, Leuillot le défend en affirmant que le Néerlandais est parfaitement dans son rôle en suivant Thévenet pour espérer le contrer. D'ailleurs la défaillance finale spectaculaire de Zoetemelk (4'40 de concédées en 5 km :w00t: ) semble plutôt attester qu'il ne pouvait pas faire beaucoup plus même s'il aurait pu relayer dans la vallée. En revanche, ce qui est certain, c'est que Kuiper a vraiment joué avec le feu.
Par fred30
#3274059
Milan-San Remo 1946

L'envol du héron


En ce 19 mars, le soleil a décidé de justifier le surnom de la première grande course de l’année 1946. C’est bel et bien la Primavera : les rayons réchauffent les corps et les cœurs meurtris par la guerre et ses brasiers dont les cendres sont à peine retombées.
Certaines courses se sont tenues malgré tout entre 1939 et 1945, de manière plus ou moins sporadique et probablement sans proposer le meilleur plateau possible. Ce jour-là, tout est différent. La ferveur populaire se vérifiera tout au long du parcours, les habitants tout heureux de patienter sur le trottoir, l’oreille collée au transistor afin de suivre les exploits de ceux qui leur ont tant manqué.

Sur la ligne de départ, il y a fort à parier que tous se sentent différents aussi après ce conflit mondial. Gino Bartali, sous couvert de sorties d’entraînement à rallonge, a sauvé des centaines de juifs en cachant des faux documents dans son cadre et dans son guidon, faisant des sourires aux policiers qui s’écartaient respectueusement pour le grand champion de son époque, qui avant la guerre avait déjà remporté deux Tours d’Italie, deux Milan-San Remo, deux Tours de Lombardie et un Tour de France. Une idole.
Fausto Coppi est aussi sur la ligne de départ. Lui a dû partir pour l’Afrique du Nord. La Tunisie, puis l’Algérie. Conducteur de camions, il a pu s’entraîner un peu et même participer à des petites courses tant que ses supérieurs étaient bienveillants. Quand celui à qui il devait obéir a changé d’identité, il n’a pu mener à bien sa besogne. Il fut même fait prisonnier par les Anglais. Il est revenu affaibli, plein de doutes. Même sa femme le trouve trop frêle pour redevenir coureur cycliste. Pour la première fois, il endosse le maillot bleu ciel et blanc de la Bianchi. En effet, Coppi a quitté la surpuissante Legnano de son ancien équipier et rival Bartali. Désormais, les deux hommes ne seront qu’adversaires. Le début d’une des plus belles émulations dans le sport cycliste.

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Quand la course s’élance, rapidement les premières escarmouches sont lancées. Plusieurs coureurs se portent à l’avant. Les attaques se succèdent sur le plat, peut-être provoquées par les multiples primes mises en jeu par les municipalités modestes de Lombardie qui souhaitent apporter une visibilité à leur commune. Et après quelques dizaines de kilomètres, surprise ! Coppi est à l’avant, dans un groupe de contre. Un cador du peloton à l’avant aussi tôt dans une course de près de 300 km est inattendu et, disons-le, mal joué. Les commentateurs ne manquent pas de le souligner et dans le peloton, Bartali et consorts s’en amusent presque. On pourrait prendre cela pour un aveu de faiblesse de la part de celui qui gagna le Giro en 1940 sur sa seule classe et en qui plus grand-monde ne croit.

Coppi rejoint la tête de la course et c’est un groupe d’hommes de presque une dizaine d’unités qui se présente au pied de la difficulté principale le col de Turchino. (pour rappel, le Poggio ne sera ajouté au tracé qu’en 1960 et la Cipressa en 1982.) Les Italiens sont en force évidemment, la course n’étant pas encore internationalisée, mais on note la présence d’un français : Lucien Teisseire.
Le peloton des favoris n’est pas loin, mais Fausto Coppi accélère, ou plus exactement maintient un train très élevé qui asphyxie les fugueurs précoces. Rapidement, ils ne sont plus que deux. Coppi se retourne et voit Lucien Teisseire tenir sa roue. Rien d’étonnant : le coureur du Var a remporté Paris-Tours en 1944 et a terminé 2ème du dernier Paris-Roubaix. C’est un résistant, un dur au mal. Mais Coppi continue de grimper à une allure intenable dans un relâchement énervant pour celui qui le suit. Et mètre par mètre, Teisseire cède.


C’est un homme seul à la gestuelle déliée et jamais heurtée, Fausto Coppi, qui débouche du tunnel du Turchino, à 140 km de San Remo. Le bout du tunnel pour celui qui allait dominer le peloton mondial pendant une dizaine d’années.
140 kilomètres restent à parcourir, et Coppi hésite. Sans personne pour prendre des relais, il perdra certainement de son efficacité au fil du temps. Il hésite. Teisseire a lâché mais il n’est pas si loin, peut-être vaut-il mieux l’attendre. C’est alors qu’on lui annonce que le peloton des favoris n’est qu’à deux minutes. Attends Teisseire, et Bartali et Camellini seront presque revenus !
Qu’à cela ne tienne : le coureur de Castellania se lance dans la descente avec autant d’énergie que celle qui l’a hissé au sommet du Turchino. Il fonce, informe ceux qui l’ignoraient (il devait encore y en avoir en 46) qu’il est aussi bon rouleur que grimpeur, ce qui doit donner mal au crâne à beaucoup de ses adversaires.

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L’écart grandit, les reporters radios annoncent : « le premier, Coppi, vient de passer. En attendant les poursuivants, nous passons un peu de musique. » :w00t:
La légende dit que le campionissimo s’arrêta un bref instant commander un café dans une échoppe qu’il affectionnait, le but d’une traite, et repartit achever son chef-d’œuvre.
Derrière, on ne s’amuse pas spécialement. Un groupe de trois hommes met le feu au Capo Berta : Gino le Pieux est toujours là, Fermo Camellini et Mario Ricci. Mais rien n’y fait. Et Lucien Teisseire résiste, au loin, mais fait sa course ! Il restera intercalé entre la meute, derrière, et le héron planant, devant.

A San Remo, c’est la folie. On enregistre les plus gros écarts depuis la victoire d’Eugène Christophe en 1910, quand la neige et le froid avaient eu raison du peloton (4 coureurs seulement avaient été classés). Fausto Coppi remporte son premier Milan-San Remo (deux autres suivront en 48 et 49) avec 14 minutes d’avance sur Teisseire, radieux et satisfait de sa journée, et plus de 18 minutes d’avance sur un groupe de favoris, un groupe de battus, réglés au sprint par Mario Ricci devant Gino Bartali.

Surtout, après son coup de force à la fin du tour d’Italie 1940, il prend un nouveau départ en imposant une marque de fabrique, une patte, aussi puissante que ses jambes étaient fines : les échappées solitaires. Ses exploits sont nombreux mais cette victoire à San Remo en 1946 marque probablement le début d’une nouvelle ère pour le vélo.
Durant l’hiver 45-46, Coppi aurait avalé 6000 km sous la houlette de son entraîneur / masseur Cavanna, qui l’initia au travail qualitatif et notamment au fractionné, ainsi qu’aux sprints dans les pentes. On sait aujourd’hui l’apport de Coppi à son sport, la diététique, l’entraînement, la récupération, le matériel. Dans une certaine mesure, le sport cycliste tel qu’on le connaît aujourd’hui est peut-être né entre le Turchino et San Remo en passant par Imperial. Pardon, par Imperia !
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Par loloherrera
#3274080
Ah Coppi...sans doute l'auteur des plus grandes envolées que le cyclisme ait connu. Et ce Milan-San Remo en est une première preuve.
A la fin de sa carrière, il avouait même regretter toutes ces chevauchées solitaires. "Elles m'ont sans doute couté quelques années de carrières" déclarait-il. Peut-être...mais quelle délectation de lire et relire tous ces exploits qui ont forgé la légende du Campionnissimo.
J'ai un faible pour son Paris-Roubaix victorieux, avec à l'arrivée la fameuse phrase de Maurice Diot son dauphin à l'arrivée.
"J'ai gagné Paris-Roubaix". Mais que fais tu de Fausto ? "Il est hors concours"
Tout est dit.
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Par levrai-dufaux
#3274155
Pareil que lolo, je ne me lasserais jamais de lire les exploits de Coppi, et ils sont ici magnifiquement racontés, merci fred ! :super:

Je pense que les qualités de rouleur de Coppi étaient connues avant ce Milan San Remo 1946. Fin 1942, il avait en effet battu le record de l'heure d'Archambaud et si sa performance n'était pas encore homologuée, elle avait fait grand bruit tant l'épreuve bénéficiait alors d'une large audience.

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