- 10 sept. 2020, 11:30
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Comme expliqué plus haut, pour les Belges, il est parfois amusant de constater les écarts de vues d'événements du Tour entre la France et la Belgique. Les Français ne regardant, à de rares exceptions près, que les médias de leur pays, ont tendance à prendre certaines vues pour tout à fait établies.
Pour ce qui est du Tour de France, je trouve qu'il y a souvent là une faiblesse assez marquante chez les journalistes et historiens du sport français. En effet, si on se base sur la façon d'expliquer pas mal d'anecdotes, on peut remarquer que les source sont presque toujours les mêmes : Desgrange ou Goddet. Ces derniers n'ont pourtant jamais été réputés pour leur grand objectivité, spécialement pour le premier.
En quelque sorte, les Belges ont donc une chance, celle d'avoir accès et de suivre les médias de deux pays différents, et d'ainsi bénéficier de différents points de vues. A ce titre, un Tour souvent évoqué parce que charnière, fait office d'exemple flagrant : celui de 1929.
Voici un extrait de travail d'analyse de sources que j'avais fait à l'époque :
"Au départ du Tour 1929, l'optimisme paraît de rigueur. Le Soir estime que « tant que Henri Desgrange vivra, son rejeton et les sportifs n'auront rien à craindre » , La Dernière Heure souligne pour sa part que ce tour « s'annonce comme l'un des plus heureux » .
D'un point de vue réglementaire, l'épreuve revient à sa formule d'origine prônant l'effort individuel : les départs séparés disparaissent et toute entraide est formellement interdite.
Las, Desgrange voit à nouveau un des champions Alcyon, Maurice De Waele, ramener le maillot jaune à Paris. La victoire de ce dernier, parce qu'il termine l'épreuve malade et qu'il possèderait une personnalité effacée , excède le grand patron du Tour qui déclare : « On a fait gagner un cadavre, comment un « maillot jaune » aussi facile à dépouiller a-t-il pu garder la première place ? Pourquoi ses adversaires se sont-ils montrés aussi peu efficaces ? Que penser de leur tactique et de la valeur réelle du vainqueur ? » . Desgrange veut exclure les équipes de marque de la course. En 1930, il instaure les équipes nationales. Cinq équipes sont invitées : l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France et l'Italie.
Dans tous les livres consacrés au Tour de France et basés sur des articles issus exclusivement de la presse française, l'édition 1929 est décrite comme une année charnière, comme un pavé qui aurait fait déborder le vase de la formule du Tour de France par équipes de marques. De Waele, malgré le fait qu'il soit parfois reconnu comme un « vainqueur exemplaire » , reste un vainqueur qui n'aurait jamais dû ramener le maillot jaune à Paris en raison de son état de faiblesse. À la suite de sa victoire, l'épreuve aurait été « décrédibilisée » . Jacques Goddet, dans une interview réalisée à la fin de sa vie insiste encore a posteriori : « un vainqueur minable qui avait gagné grâce, en effet, à des achats de consciences faits par son patron. C'était lamentable ! C'était le scandale ! » .
Pourtant, à la lecture de la presse écrite belge de l'époque, la vision de la chose est bien différente. Le Soir déclare : « Il ne s'est pas laissé déposséder de son maillot jaune et son mérite est d'autant plus grand qu'il a été à ce point indisposé dans les Alpes que l'on a bien cru que le Tour était fini pour lui ; il a fait preuve d'un courage et d'une volonté dont on a rarement eu exemple » . Pour La Dernière Heure, « sa force de caractère lui permit de surmonter les défaillances et de vaincre » . Et le même journal de publier quelques jours plus tard une interview de Henri Desgrange qui pose question : « Je suis heureux de la belle victoire de votre compatriote Dewaele (sic.) ; il l'a cent fois méritée ; il a donné à tous de splendides exemples de courage, de volonté persévérante (...), sa victoire est bien celle du meilleur » . Hypocrisie poussée à son extrême par le grand patron du Tour, ou mots inventés de toute pièce par le journaliste?
Du point de vue de la formule, l'édition 1929 semble même, pour la presse belge, avoir été une année légèrement meilleure que les précédentes : « Cet énorme succès populaire, dis-je, on le doit certainement à la formule adoptée cette année par le créateur du Tour » , « Cette formule sera donc certainement conservée l'an prochain » . Un an plus tard et malgré le changement de formule opéré, l'impression est toujours la même. Revenant sur l'édition 1929, La Libre Belgique déclare en 1930 : « Enfin, l'an dernier, le prestige de l'épreuve fut quelque peu rehaussé » .
La vision des faits et des mérites de Maurice De Waele semble indéniablement souffrir d'une optique différente selon qu'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la frontière franco-belge."