- 30 mai 2015, 13:55
#2164646
Bonjour,
L'histoire est plus complexe en réalité. Contrairement à ce que beaucoup croient, Freddy Maertens n'a pas été déclassé pour irrégularité ce jour-là mais exclusivement pour son contrôle anti-dopage positif. La confusion vient du fait qu'en cours de course, l'annonce lui a effectivement été faite mais le commissaire est revenu sur sa décision à 5 kilomètres de l'arrivée, ce qui était ironique tant il était évident que Maertens ne pouvait plus disputer ses chances au sprint. Le commissaire, Jos Fabri, s'était un peu moqué de lui.
Pourtant, son déclassement aurait été pleinement justifié. Il s'agissait d'un changement de vélo illicite. En réalité, les coureurs avaient le droit de changer de vélo, n'importe où sur le parcours ... sauf dans les côtes. Maertens change de machine sur les premières pentes du Koppenberg. C'était parfaitement planifié. Cela lui a permis de franchir le point critique de la montée en roue libre poussé par un ami, le fameux poissonnier Marc Reybrouck (un personnage haut en couleur, a priori sans lien de parenté avec Guido) et d'ainsi doubler plusieurs coureurs qui grimpait à la force du jarret. Godefroot s'est rendu compte de l'escroquerie et a fait un geste du bras pour éjecter ce poissonnier.
C'est de cette façon qu'un Maertens plus frais que les autres a pu partir rejoindre De Vlaeminck qui avait attaqué proprement, en poursuite derrière Merckx. Ensuite, De Vlaeminck crève et perd plus d'une minute mais après un effort violent, il revient seul sur Maertens qui avait rejoint Merckx et là après quelques instants il se rend compte que son effort avait été trop brusque. Il racontera qu'il pensait alors que le groupe se ferait rejoindre et que lui-même ne finirait pas la course. Mais c'est alors que les choses se précipitent. L'annonce du déclassement de Maertens est faite (donc rétractée par la suite!) et Lomme Driessens arrive à sa hauteur pour lui dire: \"continue Freddy, c'est bon pour le sponsor et arrange toi avec De Vlaeminck.\"
Toute la polémique qui a suivi pendant plus de trente ans portait sur la nature de cet arrangement. Maertens dira 10 ans après les faits (ce doit être dans son livre qui a été traduit en français, si je ne m'abuse) que l'arrangement était financier et que jamais il n'avait été payé. Il se rappellait tous les détails. Ils s'étaient mis d'accord sur 300,000 BEF (énorme pour l'époque, 3 fois le salaire mensuel de Maertens qui était déjà considérable) dont la moitié reviendrait directement à Maertens et l'autre moitié devait être partagé entre ses deux plus fidèles équipiers Michel Pollentier et Marc Demeyer. Maertens prétend que le rendez-vous était fixé à Nieuport, il a donné des détails précis au cours de l'émission \"De Flandriens\" diffusée sur la chaine Canvas en 2011 et il prétend que De Vlaeminck était venu avec la moitié du contrat qu'il aurait remis à Pollentier et Demeyer.
De Vlaeminck a toujours démenti ces accusations. Il semblait très fâché lors de l'émission quand il a appris ces nouvelles allégations de Maertens. En revanche, il a pu au moins avoué un arrangement pour \"zéro franc\" et qui concernait un \"renvoi d'ascenseur\" sur les classiques suivantes. Guillaume Driessens a lui aussi toujours nié avoir suggéré un arrangement financier avec De Vlaeminck mais il parlait d'un \"wederdienst\" (excusez-moi, je ne sais pas comment traduire en français mais littéralement c'est un \"service en retour\") comme il prétendait l'avoir souvent fait sur d'autres courses avec d'autres coureurs.
De Vlaeminck a donc déclaré pour \"De Flandriens\" que sur Paris-Roubaix, il avait en quelque sorte scellé un \"pacte de non-agression\" avec Maertens. \"Si tu attaques, je ne te contre pas\". Mais ça s'arrête là. C'est bien typique du personnage, évidemment. En outre, il a aussi avoué sa roublardise. On peut facilement contourner un tel contrat. Donc, comme il ne pouvait pas contrer Maertens personnellement, il est allé demander à Godefroot de s'en charger, en sachant que Godefroot n'était pas en odeur de sainteté avec Maertens à cette époque. Godefroot prétendait ne pas se souvenir de ce vieil épisode mais que c'était bien possible. La production de l'émission a cependant retrouvé effectivement les archives d'une attaque de Maertens contrée par Godefroot sur ce Paris-Roubaix.
Enfin, j'ai une chronique d'un journaliste néerlandais, Herman Chevrolet qui parle d'un contrat similaire qui aurait lié les deux coureurs pour Paris-Roubaix aussi bien que pour LIège-Bastogne-Liège mais sur Liège-Bastogne-Liège, De Vlaeminck contre deux attaques des coureurs de Post (Thurau et un autre dont je ne me souviens plus du nom) mais laisse tout de même partir Hinault. Mon commentaire personnel est que Maertens avait remporté dans l'intervalle la Flèche wallonne (avant d'être une nouvelle fois déclassé pour dopage) si bien que si cette hypothèse est valable, les deux coureurs peuvent avoir été quitte à ce moment-là.
Je ne sais toujours pas trop quoi penser de cette histoire. L'évolution de la course suggère un arrangement financier tant c'est la seule explication rationnelle à l'attitude de Maertens qui aura roulé comme un forcené pendant 50 kilomètres. En revanche, beaucoup de témoins semblent évoquer la seconde hypothèse d'un arrangement pour les courses suivantes. Selon moi, les deux coureurs ont eu leurs torts sur cette course mais bizarrement aussi leurs mérites. De Vlaeminck a eu le tort de rester calé dans la roue de Maertens sur tous le final mais c'est lui qui a déclenché la grande bagarre dans le Koppenberg avant de crever et de faire un effort brutal qu'il a mal géré. Maertens a eu le mérite d'assurer à lui seul les 50 derniers kilomètres de la course avec beaucoup de panache mais il a bel et bien triché au moment de son changement de vélo et sciemment.