Je pense peut-être avoir une piste pour comprendre ce qui a pu déclencher le contrôle anormal de notre champion.
Comme je l'avais évoqué, le test de détection pour le salbutamol utilisé par l'AMA ne permet pas de discriminer une prise orale d'une prise par inhalation.
Pour faire court, le salbutamol est plus ou moins métabolisé par les organes sur sa route, et la part de molécules de salbutamol métabolisées par l'organisme est bien plus importante lors d'une prise orale.
Dans l'urine, on retrouve trois formes de molécules de salbutamol et de dérivées :
- le salbutamol libre, c'est-à-dire non-métabolisé par l'organisme
- le salbutamol sulfaté, métabolisé par le foie
- le salbutamol glucuroné, métabolisé au niveau des reins pour rendre une partie des molécules solubles dans l'urine.
La proportion de salbutamol glucuroné est vraiment très faible de l'ordre de 10 ng/mL, et même lors d'une prise orale, ça représente moins de 3% de ce qui excrété dans les urines.
Par contre, le salbutamol sulfaté représente presque 65% du salbutamol total retrouvé dans les urines lors d'une prise orale.
Lors d'une prise par inhalation, on doit être aux alentours des 50% de salbutamol sous forme sulfatée, car une majorité du salbutamol est avalée lors d'un puff donc métabolisé au même titre que le salbutamol pris sous forme orale.
Il faut savoir que les tests de détection du salbutamol agréés par l'AMA ne recherchent que le salbutamol sous forme libre et le salbutamol glucuroné, on ajoute les deux taux et quand le total est supérieur à 1000ng/mL, il y a
contrôle anormal.
Donc le fait que ce calcul n'intègre pas le taux de salbutamol sulfaté me semble très problématique.
Le seuil de 1000ng/mL tient compte du fait qu'on ne prend pas en considération la forme sulfatée sinon on pourrait en effet être à la limite dans un cas extrême pour un coureur qui puffe aux limites autorisées soit 1.6mg par 24h.
Mais ça laisse d'autant plus de latitude au coureur qui en prend sous forme orale car la majeure partie du salbutamol qu'on retrouve dans ses urines est sous forme sulfatée !
Donc, théoriquement, un coureur peut prendre 4mg de salbutamol par voie orale sans être inquiété ce qui commence à être non négligeable surtout s'il s’arrête faire pipi en cours d'étape pour
décrasser le réservoir.
Si je tenais à entrer quelque peu dans ces détails techniques, c'est pour faire comprendre mon suivante hypothèse sur le cas Froome :
Comme environ 65% du salbutamol ingéré par un coureur sous forme orale n'est pas dépisté lors des contrôles de l'AMA,(le salbutamol sulfaté), ça peut virer à la catastrophe le jour où le métabolisme du sulfate se retrouve saturé par d'autres médicaments qui empècherait le salbutamol d'etre métabolisé à son tour.
Il y a une compétition entre les molécules et si le salbutamol arrive au niveau du foie et voit que la place est occupée, ben, il n'est pas métabolisé et atterrit dans les urines sous forme libre et là, misère, les taux explosent lors du contrôle et peuvent alors être multiplié jusqu'à un facteur de 2,2. Et ça expliquerait alors pourquoi Froome aurait vu son taux doubler du jour au lendemain (il est passé de 700 à 1900 ramené à 1450 après correction de la gravité spécifique de l'urine).
On peut constater que certaines molécules peuvent partiellement saturer le métabolisme du sulfate :
"Depletion of endogenous inorganic sulfate can have pronounced effects on the elimination kinetics and metabolic fate of phenolic drugs"
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/683 ... t=Abstract
C'est le cas de l'acétaminophène (le paracétamol, molécule bien connue des cyclistes qui est en plus connu pour avoir des effets synergiques avec le tramadol sans en augmenter les effets indésirables).
J'ai trouvé cette étude fort intéressante :
http://jpet.aspetjournals.org/content/2 ... f_ipsecsha
On a donné à des rats du paracétamol et on a effectivement constaté que dans les urines, on recueillait de plus en plus de molécules d'acétaminophène libre et glucuronées au fur et à mesure que les doses de paracétamol augmentaient donc le paracétamol a fini par saturer le métabolisme du sulfate. Exactement ce qui se serait passer chez Froome.
Quant au pouvoir masquant du salbutamol évoqué ici, ça semble très hautement improbable.
On pourrait penser qu'un coureur prennent du salbutamol à hautes doses pour saturer le métabolisme du sulfate et alors empêcher la métabolisation de d'autres molécules dopantes qui emprunteraient la même voie métabolique et qui, elles, seraient détectées par leur dérivés sulfatés
.
Le problème majeur, c'est qu'il faudrait alors prendre du salbutamol à des doses non physiologiques pour aller jusqu'à saturer le métabolisme du sulfate, le type ne tiendrait pas sur un vélo.