Cyclisme : Romain Bardet, l’obsession du Tour
Un début de saison réussi ne dévie pas Romain Bardet de son objectif de l’année : le Tour de France, auquel il consacre tout, encore plus qu’avant. Malgré les risques.
LE MONDE | 14.03.2018 à 11h26 | Par Clément Guillou
Pour gagner le Tour de France, Romain Bardet a changé de stratégie. Il y a de bonnes chances qu’elle ne marche pas et c’est lui qui le dit.
Le coureur français a décidé de tout miser sur la course de juillet qui, cette année plus qu’une autre, pourrait basculer sur un coup de frein, un coup de bordure ou un coup pendable. Vent, pavés, routes sinueuses : les dix premiers jours du Tour de France 2018 proposent, avant la montagne, un éventail des chausse-trappes que redoutent les cyclistes. « Je n’en ai pas peur, assure Bardet. Mais je suis réaliste sur les risques d’échec : il y a une grosse probabilité. Des favoris vont passer à la trappe, c’est sûr. Paradoxalement, ça ne m’effraie pas quant à la façon d’orienter ma saison. Car j’ai acquis l’intime conviction que pour réussir sur le Tour, il fallait l’avoir en tête à 100 %. »
Romain Bardet dit cela dans une pièce froide et neutre de la patinoire de Vaujany (Isère), en novembre. C’est le stage de rentrée de l’équipe AG2R, qui a achevé de construire un effectif propre à soutenir un maillot jaune. Bardet en est la tête de pont, la tête pensante aussi, tant il est désormais consulté sur les grandes décisions stratégiques. En 2017, il a prolongé jusqu’en 2020 dans l’équipe française. AG2R ne le disait pas à l’époque, on le murmure désormais : ce sont trois saisons pour gagner le Tour de France et succéder à Bernard Hinault, dernier Français vainqueur de l’épreuve en 1985.
« Me consacrer encore plus au Tour de France »
Ce statut, le salaire qui va avec, simplifie les choix lorsqu’il faut décider de son programme de la saison : « Est-ce qu’avoir d’autres objectifs ne serait pas une forme d’évitement pour amoindrir la portée du Tour ?
Je vais me consacrer encore plus au Tour de France, à 100 %, car c’est là que j’ai ressenti le plus d’adrénaline. Avant, je misais ma saison dessus de manière inconsciente, maintenant c’est plus assumé. Et tant pis pour la part d’aléatoire, tant pis si tout n’est pas dépendant de ma volonté sur cette course-là. Je sais combien j’ai eu de la réussite sur le Tour de France. Le nombre de fois où je suis passé à deux doigts de la catastrophe… Le Tour broie les coureurs. Mais on va se jeter dans la gueule du loup. »
Au vrai, la prise de risque est modérée. Que Romain Bardet mette tout en œuvre pour remporter des courses au printemps, et personne ne s’en souviendrait en août : en France, le Tour efface tout le reste – Thibaut Pinot, dont la carrière est injustement déconsidérée, peut en dire quelque chose. Bardet peut marquer le cyclisme français de deux manières : en remportant le Tour ou avec un maillot arc-en-ciel de champion du monde. Cette année, il vise les deux, car le Mondial d’Innsbruck, fin septembre, a le bon goût de ne pas éviter les montagnes alentours.
La recette liste quatre ingrédients :
du repos l’automne dernier, pour régénérer un corps et un esprit d’autant plus usés que Bardet poursuivait, jusqu’en 2016, ses études supérieures ;
un programme de course renouvelé et plus léger d’ici au Tour, dont il devrait prendre le départ avec vingt-sept jours de compétition dans les jambes contre trente-quatre en 2017 et quarante-trois en 2016 ;
une façon de courir moins stressante faisant passer le plaisir avant le résultat, afin de reposer le cerveau ;
un choix minutieux des courses, toutes destinées à préparer le prochain Tour. Les Strade Bianche et A Travers les Flandres, le 28 mars, prépareront aux pavés de la neuvième étape, dans le Nord. Tirreno-Adriatico a permis de réviser le déroulement d’une journée de contre-la-montre par équipes, dans lequel l’échec d’AG2R, privée de ses meilleurs rouleurs, ne semble pas inquiéter Romain Bardet. L’excursion au Tour du Finistère offrira sans doute l’occasion d’une reconnaissance des étapes bretonnes.
« Le meilleur début de saison de ma carrière »
Jusqu’à présent, la stratégie est payante : Bardet a couru pour le plaisir et les résultats sont venus, avec une victoire sur la Classic Ardèche et une deuxième place, surtout, sur la déjà classique course italienne des Strade Bianche.
« C’est le meilleur début de saison de ma carrière, nous disait-il, mardi 13 mars, à l’issue de Tirreno-Adriatico. J’essaye de me concentrer sur les sensations, le feeling en course plus que sur le résultat brut. Ces nouvelles épreuves sont un bon bol d’air et j’ai l’impression d’avoir, à ce stade de la saison, dépensé beaucoup moins d’énergie que d’habitude. »
Il sera sur A Travers les Flandres, le 28 mars, avec excitation mais « sur la pointe des pieds », car l’anarchie des courses pavées se conjugue difficilement avec ses ambitions de monarque de juillet. Il rêve de disputer Paris-Roubaix et cela viendra, assure-t-il, mais plus tard. Déjà, l’encadrement sportif d’AG2R l’a dissuadé de participer au Het Nieuwsblad, première classique belge de la saison : pas question de menacer l’édifice patiemment construit sur des pavés trop traîtres.
Depuis la révélation du parcours du Tour, l’équipe AG2R a appris à apprécier ce parcours, même si la suggestion qu’ASO aurait pu, avec un unique contre-la-montre vallonné, pousser les chances du potentiel vainqueur français, suscite l’indignation de part et d’autre. « La course qui lui va le mieux, surtout en 2018, est le Tour de France, observe son entraîneur, Jean-Baptiste Quiclet. L’ADN de ce Tour est proche de ce qu’est capable de faire AG2R. »
« Taillé pour les coureurs qui veulent mettre “all in” »
Il apprécie la succession d’étapes difficiles, comme en 2016, qui mettra en valeur la capacité de Bardet à enchaîner les efforts intenses. Le scientifique aime aussi le retour des successions d’ascension, comme en 2017 : « Il y a matière à inventer des choses… à condition d’avoir les jambes. De l’étape des pavés, qui sera la plus dure, jusqu’au contre-la-montre d’Espelette [Pyrénées-Atlantiques], l’avant-dernier jour, c’est infernal. »
« Ça m’agace qu’on dise qu’il est taillé pour moi, reprend le coureur. C’est taillé pour les coureurs qui n’ont pas peur du risque. N’importe qui peut revendiquer cette étiquette-là. C’est taillé pour des coureurs d’instinct, qui veulent mettre “all in” sur une étape et y risquer la vie monacale qu’ils ont menée pendant quatre mois. C’est dans ce rôle-là qu’on veut s’inscrire avec AG2R : les perturbateurs. Je ne fais pas la course de [Christopher] Froome. Ce n’est pas la manière dont je vois le vélo ni celle qui me convient le mieux. »
Comme toujours, Bardet fait des promesses d’audace d’un ton placide. Il refuse de considérer qu’il pourrait prendre le départ du Tour en favori, en fonction de la situation de Chris Froome, sous la menace d’une suspension pour dopage. Un statut qui se construit au fil de premières courses réussies mais dont il dit : « C’est très dangereux de se laisser griser par un début de saison. On sait tous que le compteur est remis à zéro au premier jour du Tour. »
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