Gravel de fer, 158 km, 3800 D+ autour du Canigou
Ille sur Têt, Pyrénées orientales, 1er octobre 2016, 6 :00 du matin. Une quarantaine de courageux en vélos Gravel, Cycocross, VTT (environ 1/3), et même un VTT couché (!) se mettent en route dans une obscurité épaisse.
Pour nous guider, des lampes – tantôt frontales, tantôt montées sur les vélo, et des GPS avec le parcours auparavant téléchargé. Non seulement 2016 semble voir l’essor du vélo Gravel, aussi de tels périples n’aurait que difficilement été possibles avant l’avènement des GPS de vélo et des LED blancs qui tuent.
Voilà donc une drôle de procession nocturne. Ce bruit de dizaines de chaînes dans le silence et ces ombres multiples en danseuse ont un côté surréaliste.
Nous restons ensemble pendant la sortie de ville, puis une toute petite partie de Nationale (la seule), et on quitte la route pour nous enfoncer sur de bons chemins en terre dans les vignes.
Il ne fait pas froid – merci la proximité de la Méditerranée. Plusieurs participants sont en long, mais Richard et moi supportons la tenue courte. D’autant plus que ça finit assez vite à s’emballer. En sortie des vignes, une bonne route asphaltée qui monte dans le noir. « Il y a un KOM sur ce segment, on a déjà 5 secondes d’avance ». Ok. Gaz !
Ne roulant jamais de nuit, je ne m’étais pas préoccupé des options de rétroéclairage de mon GPS, donc bien que allumé, il restait noir. Oubli qui allait nous être salvateur plus tard. Dans l’obscurité, J’avais donc besoin de Richard pour m’indiquer le parcours (et les segments Strava ? ).
Au bout de cette montée, on se retrouve seul, bien qu’assez rapidement rejoint par deux autres courageux en Gravel. Plus de trace des autres, avalés par la nuit.
La prochaine portion est une montée dans des chemins de terre/sable légèrement caillouteuses. Très difficile de nuit, de se rendre compte de l’inclinaison des routes, et des vitesses auxquelles on roule. Je suis donc passablement surpris quand au passage de vitesses, je me rends compte que je suis déjà sur le 34/32. Mais ça va, les jambes tournent encore bien.
Approche du premier petit col dans une levée timide du jour, puis descente sur le même genre de chemins – terre, sable, petit gravier sur une pente douce. Il fallait que le jour soit levé et que j’aie éteint ma lumière pour que je me casse la gueule (une première fois) dans une épingle sablonneuse…
Cette première partie de nuit était bien étrange. Faire du vélo en étant coupé d’une bonne partie des sensations – que ce soit le paysage, les impressions de vitesse, d’inclinaison, la visibilité du parcours au loin… du coup, même l’effort fourni devient incertain.
Jusque-là, malgré la chute, rien de techniquement bien méchant, ni de dur. S’ensuit le petit col de Millères, très roulant. Il faut dire que je prends énormément de plaisir avec mon Gravel sur route. Je l’ai configuré, avec des semi-slicks bien gonflés (j’y reviendrai) et une position assez agressive, pour bien avancer sur le bitume. En plus, les rapports bien plus courts que sur mon vélo route, permettent un pédalage tout en souplesse, la machine est assez légère pour bien monter en danseuse également. Et il faut dire que ce jour de la « Gravel de fer », j’ai d’excellentes jambes. Un peu raide au départ – dû au froid – mais puissantes, réactives, et infatiguables. Probablement, c’est dû au fait que, pour une fois, j’ai écouté les conseils de mon entourage cycliste, et je suis bien reposé. Après un autre entrainement de fada le lundi, ma seule activité cycliste de la semaine se résume à une petite sortie ludique singletrack en VTT.
Du coup, avec un cardio encore confortablement en dessous du seuil, je dépose Richard sur ce petit col tout mignon. Il me rejoint néanmoins assez rapidement en haut, et nous continuons notre route ensemble. Après une belle descente, débute la montée du col de Jou. Une fois n’est pas coutume, je reprends les devants. Vraiment de super jambes ce jour !
Dans un virage, mon GPS signale que je ne suis plus sur le parcours. Je fais demi-tour sur la route, ma roue avant se prend dans un tas de gravillons, je ripe, et bim ! Deuxième chute de la journée. Je me rappe bien le genou qui se met à saigner, je prends le guidon dans le mollet, mon épaule racle douloureusement l’asphalte et, le pire, en me réceptionnant sur la main droite, je me foule le majeur. 2 chutes débiles pour le prix d’une. Je redescends 20m, et croise Richard. » Mauvais parcours, c’est ce petit chemin sur la gauche. « « Mais non, c’est une erreur de traçage, on reste sur la route du col ! » « T’es sûr ? » Mais il était déjà loin. Certainement suite à mon conditionnement teuton, je suis les ordres – je prends le petit chemin. Dont la dernière partie s’avère impraticable, et qui débouche sur la route du col, juste derrière Richard. Tout ça pour ça.
Un peu énervé (contre moi-même, il convient de préciser), je redépose Richard et continue la montée du col de Jou, qui est vraiment joli, très vert avec une belle vallée en contrebas. En plus le soleil s’invite dans la partie. Bonheur de rouler. Juste avant de se faire larguer, Richard m’avait dit que ce col continue sur 6 km jusqu’au refuge de Mariailles, mais que ça monte encore après jusqu’au Pla de Guilhem. Six km de col. De la rigolade ! Sauf que : Sur ces 6 km, il ne reste plus que 2 km de route. Le reste étant sur piste forestière.
Exit les bons chemins de terre de la vallée, là c’est du gravier plus ou moins grossier, et plus ou moins bien tassé. Il y a des endroits où il faut vraiment bien calculer la trajectoire pour passer et ne pas gaspiller de l’énergie en franchissement de grosse caillasse – et qui dit calcul de trajectoire, dit suffisamment de vitesse pour s’y engager. Mais là, ce n’est pas encore problématique. La plupart du temps calé sur le 34/32, en tournant bien les jambes, en respirant régulièrement, le cardio entre cadence et seuil, je monte bien. Des souvenirs de montées similaires, effectués 20 années auparavant en VTT dans les Alpes, me viennent à l’esprit. Ca secoue bien plus que sur la route, on avance moins vite, mais c’est très plaisant. Une autre façon de faire du vélo.
Spéciale dédicace à ces quelques lacets bétonnés à 15%. J’ai adoré.
J’arrive au refuge de Mariailles frais et bien content. Hormis les chutes, c’est du plaisir et de a découverte. En plus, je fous un bonne raclée à tout le monde. Un des objectifs entre Richard et moi pour cette « Gravel de fer », est de casser du KOM de VTT. C’est très bien engagé ?
Justement, parlant de VTT, il y a un jeune homme qui descend en VTT à mon arrivée au refuge. « C’est quoi, ce vélo » ? J’explique. « Et la, vous ne montez quand même pas plus haut » « Sisi. On va passer le col ». Stupéfation.
Quelques minutes plus tard, Richard arrive, nous faisons le plein d’eau, le vide de pipi, et nous attaquons la suite ensemble. Le chemin devient vite plus difficile. Ca reste dans les 10%, mais les cailloux deviennent de plus en plus gros. Par moments, le mieux est de rouler au milieu dans l’herbe, bien que ça freine affreusement. Il y a des marches rocheuses ou des nids de gros cailloux qu’il faut franchir en force. Ca devient coton. J’ai une pensée ému pour les mecs qui sont en config cyclocross avec mono-plateau et 28 derrière.
Sur un passage technique, Richard tombe. Je m’enquiers si ça va, et à l’affirmative, je trace. Pas envie de casser mon rythme. Parlant de rythme, justement, entre 8 et 11 km/h, même avec mon 34/32, ça ne tourne plus très vite. Drôle de sensation, mes jambes se mettent en quelque sorte en « mode automatique », et je me concentre sur la trajectoire. Je suis « dans le flow ». Jamais connu un truc similaire en vélo de route.
Les quelques petits passage où il faut pousser le vélo, ne me sortent heureusement pas de mon « flow » - je ne fais pas de pause, je reste dans le rythme. La dernière partie s’effectue sur le Pla Guilhem. Ce n’est plus vraiment un chemin. C’est des tracés un peu aléatoires qui se recoupent, qui se séparent, et dont certains s’arrêtent. La pente est assez douce, mais entre le franchissement de gros cailloux ou de touffes d’herbe de haute montagne dur comme du chien, c’est hard. Il fait froid là-haut. On est a plus de 2200m. Le vent balaye par rafales le paysage pelé. En attendant Richard, je mange, je prends des photos, je mets mes manchons. C’est fou à quel point ça me réchauffe. Eliminez un point de perte de chaleur, et tout l’organisme se trouve mieux.
Je vois Richard arriver comme un petit point sur l’horizon de cet immense haut plateau pelé. Pas si collé que ça, le mec.
Arrivé à ma hauteur, nous passons un bon moment à râler, nous plaindre, nous féliciter, nous prendre en photo, et nous trouver somme tout assez formidable d’être arrivé là.
Presque trois mille m de D+ sur les premiers 55 km de parcours, dont une bonne partie dans des conditions rocambolesques. Ce que nous ignorons, c’est que sur cette « Gravel de fer », le plus dur ne seraient pas les montées…
Descente donc. Dans une caillasse toute trouvée pour lapider des épouses adultères. Sauf que les épouses lapidées, c’est nous. Ca saute, ça ripe, ça percute, ça te secoue ton bonhomme de cycliste comme dans une essoreuse mal fixée sur le plateau d’un fourgon qui dévale à toute allure un éboulis rocheux. Encore, Richard, ça va. Le bougre a monté des tubeless la veille de notre périple. Tandis qu’il descend chaussé de 38 mm à 3 bar, j’ai 5 bar dans mes semislicks en 33mm. Je n’ai pas le choix. Sur 2 sorties consécutives, gonflé à 4 bars, j’avais crevé sur pincement. A partir de 5 bars, je peux raisonnablement espérer que ça tienne. Et ça tient. Mais je paie un lourd tribut.
Sur cette descente, je ne dépasse quasiment pas les 15 km/h. Que j’atteins dans les rares endroits où il y a sur quelques mètres du petit gravier bien tassé, ce qui me permet de lâcher pendant une poignée de secondes les freins. Sur les 95% restantes, c’est mains crispées sur les leviers, avec de gros coups de frein d’urgence à l’approche de grosse caillasse.
Debout sur les pédales, j’ai les mollets qui commencent à se raidir, les épaules absorbent ce qu’elles peuvent, les poignets trinquent… mais le pire, c’est les mains. En première ligne, elles prennent tout dans la gueule sans filtre, fermement serrées autour de guidon et leviers de freins.
Richard s’en sort mieux que moi, mais il morfle aussi.
Et cette descente est interminable. Assez rapidement, lors d’un petit arrêt thérapeutique, Nicolas, un cyclocrosseur de Muret, nous reprend. Apparemment habitué des descentes techniques, et avec de bon gros tubeless peu gonflés, il nous dépose, nous devance vite d’un lacet, puis de 2, de 3, jusqu’à disparaître de notre vue.
Et nous, on souffre. Heureusement qu’au fur et à mesure qu’on descend, l’état du chemin s’arrange un peu. Mais vraiment qu’un peu ! Cerise sur le gâteau (à la merde): On ne voit absolument rien du paysage grandiose qui nous entoure.
Quand vient enfin l’intersection avec la descente asphalté du col des bases, nous jubilons. C’est la délivrance. La porte de sortie de la chambre des tortures.
Petit à petit, la douleur s’estompe. On se refait. On reprend du plaisir. C’est quand même bien, la route !
Restant sur l’asphalte (et ayant un tout petit peu perdu le goût de l’aventure), nous nous engageons au pittoresque village du Tech sur la jolie et très roulante montée direction Montferrer. J’ai des jambes de feu. Même pas un « au revoir » à Richard - dès que la route se lève, je lâche les fauves. C’est l’expiation. Du 10 km/h en descente, ça demande du 25 km/h en montée en réparation. A mi-montée, je reprends Nicolas (le descendeur averti) à la volée. Le kif. Ca me coûte de m’arrêter en haut pour attendre Richard. D’autant plus que Nicolas se refait la malle. Certes, ce n’est pas une course. Mais ce n’est pas pour autant qu’on perd ses instincts de compétiteur. Richard, là, il commence à accuser le coup. Faut dire aussi qu’il est très mal assis sur son Gravel, monté quelques jours auparavant à la va-vite. Selle trop reculé, potence trop longue, il ressemble à un nageur qui s’élance pour piquer une tête. Pas très bon pour la respiration, ça. D’ailleurs, je l’entends siffler derrière mois comme une harmonica avec des fuites d’air. Mais c’est un battant. Il s’accroche. Et je temporise. On attaque le pied du dernier gros morceau, le col de Batère, montée entièrement goudronnée. Au début, c’est assez fade, une montée douce interminable dans la forêt. Au loin, on voit une ligne de crête tout de même assez haute. « Richard, on passe là-dessus ? » « Non, on contourne par la droite ».
Quand la route se lève, et le paysage devient plus intéressant et varié, j’oublie les bonnes préceptes de camaraderie, et je mets l’accélérateur, déposant pour la dernière fois le pauvre Richard, qui à force doit prendre un petit coup au morale. Je vous ai déjà dit que mes jambes semblent infatigables ce jour ?
Objectif: Reprendre Nicolas une fois de plus sur la montée du col de Batère. Objectif vite atteint. Si j’étais un connard, ça m’amuserait d’écoeurer de la sorte d’autres cyclistes. Je dois donc être un connard :-)
Arrivé presque en haut, je vois quelques lacets plus bas Richard revenir sur Nicolas. Yes ! Fier de lui !
En haut du col: A droite l’intersection avec le chemin forestier à prendre, à gauche la montée goudronnée et drôlement raide vers un refuge. J’ai du temps à tuer. Alors je commence la montée du refuge. Mais je ne vais pas très loin. Faut pas exagérer. Il reste encore 40 km, bien qu’en descente.
J’ai bien fait. Car assez rapidement, la descente commence à étrangement ressembler à celle qui à failli avoir ma peau 60 km en arrière. Et mes pauvres mains n’avaient pas eu le temps de se refaire une santé. Très vite, ça approche la limite du supportable. Je n’ai plus de forces pour serrer les freins. Mes mains sont deux bouts de viande boursoufflées et inutiles. Je dois m’arrêter plusieurs fois. Je peste, je râle, je crie - de rage, de douleur, et de frustration. Merde, enfin. A quoi bon d’avoir des jambes supersoniques si mes mains me lâchent ?
Richard est plus sympa que moi, il m’attend à plusieurs reprises. Faut dire aussi qu’il n’a pas trop le choix. Nous nous trouvons dans un entrelacement de chemins forestiers qui partent dans tous les sens, et son GPS a, contrairement au mien, tellement bien été rétroéclairé au petit matin, qu’il n’a plus de piles à présent. Tandis que le mien se porte comme un charme :-)
Heureusement, car quand il part avec Nicolas dans une intersection carrément en sens opposé, ils sont tout juste encore assez près pour m’entendre gueuler derrière eux. Une fois remis sur le bon chemin, Nicolas, qui ne joue définitivement pas dans la même ligue en descente que nous, reprend le large.
Et une fois de plus, l’état du chemin s’arrange au fur et à mesure que nous descendons. La dernière partie pourrait être une vraie partie de plaisir, des pistes en terre toutes faites pour le Gravel, dans un paysage très méditerranéen composé de petits arbres, formations rocheuses, et vignes. Mais mes mains sont dans un état qui rend toute notion de plaisir assez abstraite dès lors que j’en ai à m’en servir.
De plus, j’ai dans les secousses de la dernière descente perdu mon bidon qui contenait la quantité de flotte soigneusement calculée pour finir la boucle. A sec donc, pour les derniers 30 km. Mais ce n’est pas dramatique, je ne me sens pas trop déshydraté, et il ne reste plus que de la descente.
Descente dont la dernière partie à fait oublier toutes les peines (mais pas les joies !) des kilomètres passés. Je parle de la D618 avant et après Bouleternère. Quel régal, cette route ! Quel beauté du paysage, quel plaisir de rouler, des virages sublimes sur un tarmac de rêve. Richard en retrouve ses jambes, et sans en parler il va de soi que l’honneur impose de reprendre une dernière fois Nicolas. Nous prenons des relais, c’est l’euphorie. Mes jambes ne faiblissent pas, et celles de Richard reprennent de la vigueur à chaque virage passé en mode GP moto.
Nicolas repris à une petite dizaine de km de l’arrivée, il s’accroche. C’est de bonne guerre. Sucer des roues, ça peut tenir lieu de dessert après ce très copieux plat qu’est la Gravel de fer.
Nous arrivons au bout de 9 petites heures, sur le coup de 14:50 (dont 7:50 de selle pour moi), au bout de cette Gravel de fer.
Sur Strava, il me sort un « score d’endurance épique ». C’est pas moi qui vais dire le contraire !
https://www.strava.com/activities/730872349