- 14 oct. 2018, 17:28
#2921561
Mon premier et dernier CR de cette saison !
Les trois moins un Mousquétaires sous la flotte catalane
Tout ça avait commencé sous les meilleures auspices. Pressenti en début de l'année comme THE objectif de la saison, ma participation au deuxième challenge in Costa Brava fut pourtant plusieurs fois remis en question en cours d'année, faute d'un entraînement perturbé par des aléas tels que séparation, canicule, contre-performances et chagrin d'amour aigu.
Mais vers la mi-août, la forme était finalement revenue, et je décidais de céder au forcing de mes deux compères de la première édition d'il y a deux ans, Samuel Leguevacques et Richard Peters. Les trois mousquetaires allaient refaire un malheur sur la Costa Brava ! Le jour même de ma prise de décision, je reçus un e-mail de l'organisateur: En tant que vainqueur de la précédente édition, j'étais invité d'honneur, frais d'inscription, maillot et séjour à l'hôtel en chambre double offerts.
Y avait plus qu'à.
Peu de temps après, mousquetaire numéro trois, Richard Peters, se désistait, pour cause de paternité trop rock'n'roll - sa femme avait vêlée pour la troisième fois - nous assurant qu'il allait tout de même nous accompagner pour notre weekend Catalan.
Le jour J approchant, j'étais obligé de me rendre à l'évidence que la chambre double n'allait finalement me servir à peau d'balle, car des deux amourettes que j'avais entretenu pour remplir le vide laissé par ma séparation, aucune n'était disponible. Des mamans quadra, quoi...
Apparemment il en faut pour pérenniser l'humanité... Mais est-ce une si bonne idée après tout ? Je m'égare, quoique, car tel était le genre de réflexions à traverser ma tête quand je me suis retrouvé tout seul comme un con sur la Costa Brava la veille de la course. Richard s'étant finalement désisté pour de bon (un autre de ses rejetons ayant subi un accident), et Sam n'arrivant que tard le soir, dans un autre hôtel, dans une autre ville de la côte. Voilà donc que les joyeux retrouvailles entre mousquetaires se sont transformés en non-lieu, et que le beau champion s'est retrouvé tout seul comme une merde au milieu d'une foule de touristes guillerets, à déprimer passablement.
Au moins, je n'avais aucune raison de ne pas me coucher avec les poules catalanes, et je me levais le jour J bien reposé et avec une large avance. Le petit déjeuner était presque dégueulasse, comme d'ailleurs un vaste panel de la cuisine espagnole (j'invite tous ceux chantant ses louanges à sortir manger de temps en temps en France, pour voir la différence). Arrivé sur la très jolie zone de départ, la vaste promenade en bord de mer qui m'avait vu déprimer la veille, je voyais que pour cette deuxième édition, le nombre de participants avait baissé de 500 à la précédente édition, à 150, environ 50 par parcours. Sam et moi portions les plaques aux numéros 2 et 1, respectivement. La classe !
Nous étions embarqué pour la longue, 250 bornes avec 5000 de D+, jugée sur trois montées chronométrées (au lieu des quatre de la fois d'avant). Le reste du parcours se faisait à allure libre, mais nous avions tout de même la prétention de le boucler en moins de 9 heures, et si possible de traverser la ligne d'arrivée les premiers. La dernière fois, on s'était fait griller de peu par Alberto, un local qui avait grappillé sur le chrono en zappant les ravitos. Cette année, Alberto n'était pas de la partie, quoique…
Pour donner le départ, en tant que "number one", j’avais l’honneur de couper le ruban, aux couleurs de la Catalogne, s’il vous plaît !
Ça partait tout doucement derrière la voiture ouvreuse dans la jungle urbaine, qui laissait vite place à une superbe route côtière avec une vue splendide sur le lever du soleil. Il faisait doux, pas un pet de vent, sur un bitume de rêve, et pas de voitures. Nous nous retrouvions vite aux avant-postes en compagnie de trois gus qui posaient des mines à chaque début de montée, pour ensuite ralentir considérablement. Au bout d'une quinzaine de bornes, on les laissait filer pour cause de pause pipi. Peu après, nous arrivions sur ce qui avait été le premier segment chrono il y a deux ans. Au virage, trois pequenots, mais pas de ligne, ni de drapeau, panneau, tente... Avec Sam, on était dans le doute. Au bout de 50 m, on commençait appuyer sur le champignon. Vite, on doublait un premier groupe qui semblait être plutôt peinard - ou est-ce que nous, on allait juste un peu vite ? Un peu plus loin, un autre, l'un des trois à poser des mines au pied des montées, facilement reconnaissable à sa barbe de Hipster. Il parlait trois mots d'Anglais, fait très rare dans ce pays où les élans séparatistes semblent imposer de se fermer hermétiquement à l'apprentissage d'une quelconque langue étrangère.
"Is this a timed segment ?" "No, I don't think so." Bon. On levait alors le pied pour monter en rythme, lâchant le barbu sur un raidillon. Un peu plus loin, la tente de chronométrage... WTF ?? Là, il y avait un mec qui parlait un Anglais carrément potable. Nous lui fîmes part de nos griefs quant à l'absence de signalement de début de segment chrono, il nous répondit en haussant les épaules : "This is Spain". Nous apprîmes alors que trois mecs étaient passés entre 2 et 5 minutes avant nous, dont un inscrit sur le grand parcours. Le classement général semblait désormais sérieusement compromis, bien que nous ignorions avec combien d'avance les mecs étaient arrivés sur le segment, et si celui avec 5 minutes d'avance était bien notre concurrent de parcours, ou non.
Pendant les pourparlers, d'autres concurrents passaient la tente de chronométrage et poursuivaient leur route sans s'arrêter. Un peu énervé, je mettais de la gomme dans la descente, déposant un autre concurrent et perdant Sam de vue. Bon, on était quand même venu pour faire ça ensemble, Sam avait fini par retrouver sa propre pédale d'accélérateur, et je n'avais à l'attendre sur une intersection que pendant 30 petites secondes, avant qu'il ne débarque, l'autre dans sa roue. Nous passions alors des relais sur le plat entre 37 et 45 km/h, avec un et bientôt deux rats dans nos roues, dont un barbu. C'était plaisant de voir le paysage défiler comme ça. Sam râlait un peu que les deux autres ne prenaient pas de relais, mais il était évident qu'ils étaient trop justes. Alors dès la première rampe du col suivant, nous procédions à la dératisation. Ils ne furent plus jamais revus - si, dans la zone d'arrivée, 90 minutes après nous.
Ce deuxième col était vraiment très joli, dans une forêt à la végétation encore bien verte. Après la descente, dans la vallée, se trouvait la séparation du long et du moyen parcours, nous n'avions désormais plus qu'un concurrent devant nous - s'il n'avait pas raccourci. Nous enchaînions sur un troisième col similaire, et je sentais que mes jambes commençaient à être bien lourdes. La chasse dans la vallée, des entraînements trop intenses récemment,... l'âge aussi, peut-être ? Dans une petite descente, sur une bifurcation, une flèche indiquait la route à gauche qui continuait à descendre, un gus posté là indiquait la route à droite qui remontait. Logiquement, on suivait les indications du mec. À une intersection, ou le ravito aurait dû se trouver, sauf que non, quelques motards de la gendarmerie. Encore un seul sur quatre qui baraguinait quelques mots - de Français, cette fois ci. Nous étions les premiers. Alors l'autre avait finalement pris le moyen parcours. Un des keufs m'a filé une bouteille d'eau, heureusement, car j'étais à sec. Le ravito était finalement 10 km plus loin au bout de ce long troisième col aux rampes vilaines. Arrivé la haut, le temps commençait à tourner à la moutarde. Tout en mangeant du pan con tomate au jambon, plusieurs parts d'un délicieux gâteau très moelleux, on voyait les gens sur le ravito délibérer sur notre cas en Catalan. On voyait bien qu'ils parlaient de nous, mais on ne comprenait que tchi. Au bout d'un long moment, l'un d'eux, qui parlait un peu Français, nous disait que nous étions en fait 2 et 3, que nous avions pris un raccourci (merci le mauvais aiguillage), et que le voilà le numéro un, un petit espagnol dans la trentaine, tout sec, qui arrivait là en trombe. Il nous regardait d'un air hagard et méfiant, tout en fourrant deux morceaux du gâteaux mou et moelleux dans les plis de son maillot, avant de détaler à toute vitesse. Tout de suite, avec Sam, on l'a baptisé Alberto II. Il semblerait que nous ayons coupé de trois bornes environ. Peu ébranlés par cette nouvelle, nous continuons les ripailles. Remis en selle, j'avais des cannes neuves. Après une superbe descente tout en virages dans un paysage de garrigue, nous arrivions vers la montée de la Tuto del Home, deuxième montée chrono et une belle saloperie de 8% en moyenne avec des rampes à 11%, sur une route complètement défoncée qui était encore pire à descendre qu'à monter. C'était là où il y a deux ans, j'avais explosé le chrono et éloigné tous mes concurrents. Mais cette année, ça se présentait beaucoup moins prometteur. Sur trois rampes à 10% qui y menaient, je m'étais envolé lors de la précédente édition. La, j'étais collé et j'avais du mal à tenir la roue de Sam, qui était lui dans une forme olympique, facile, infatigable. En haut de la troisième rampe, nous voyions Alberto II, encadré de la voiture ouvreuse, une voiture de police et précédé d'une moto de police. Nous le doublions et il se cala dans nos roues. Puis il commençait à pleuvoir. Un peu d'abord, puis de plus en plus fort. Puis vraiment fort. Nous étions dans la forêt, il était vers midi trente, et on aurait dit la nuit. Les nuages nous sont tombées dessus, la température était en chute libre. Ainsi nous arrivions au pied de la Turo del Home, une petite route à droite qui était en train de se transformer en ruisseau. Et un autre ravito. Encore plus de ce délicieux gâteau. "Beber ?" nous hélaient les deux avenantes damoiselles sous la tente. "Beber y comer, siiiiii !" répondions nous. Pas Alberto II, il n'était pas venu là pour manger, mais pour faire du vélo. Pas la Turo, par contre. La montée était enlevée de l'épreuve pour cause de gros temps. J'aurais pas rechigné à la monter, après tout, ça s'appelait CHALLENGE in Costa BRAVA, mais pour Sam, c'était de toute façon hors de question, et vu le froid que nous avions subi par la suite, je n'ose même pas imaginer qu'est-ce que ça aurait donné 500 m plus haut. J'ai enfilé les manchettes (Sam n'avait rien de tel sur lui), et nous descendions à dix à l'heure derrière les lumières antibrouillard d'une voiture, et suivi pour notre sécurité d'une moto de police dans une visibilité qui par endroit descendait à 5 m. Il faisait tellement froid que mes épaules commençaient à tétaniser en grelottant sur mon vélo. Sam encaissait mieux le froid que moi. Il était dans une de ses formes indestructibles.
Bizarrement, il y a deux ans, je n’ai pas non plus pu profiter de cette belle et interminable descente, car je m’étais intoxiqué à une boisson énergétique violemment sur-dosé…
Au détour d’un virage, on a pu doubler la voiture anti-brouillard, car un autocar passant par là obligeait les participants à un rallye de voitures tunées bien bruyantes à descendre le col en marche arrière pour passer… nous nous faufilions par le trou ainsi créé, en ayant une petite pensée pour les participants du rallye qui ignoraient l’enfer qui les attendrait en haut du col…
Au fur et à mesure que nous descendions, la pluie devint plus chaude et la visibilité meilleure, jusqu’à ce que nous nous retrouvions sous une bonne douche tiède dans la vallée. Ceci dit, avant d’arriver dans la vallée, nous avions à nouveau droit à la traversée du merveilleux monde miniature: Une route minuscule, serpentant dans une forêt de chênes nains, des virages ultra-serrés, des descentes et montées aussi courtes que violentes, on aurait dit un grand huit, ou un parc d’attraction pour cyclistes… Par là, Sam perdit l’usage de son Garmin, court-circuité par la flotte. Si vous ne voyais pas sa sortie à côté de la mienne, c’est pour ça.
Sortis de là, nous entamions une avant dernière montée, plus un faux plat montant en fait. Résolu de choper Alberto II, nous mettions de la gomme - nous en avions encore sous le coude, malgré les 180 km dans les gambettes. A un moment, je demandais à Sam pourquoi il ne se mettait pas dans mon aspiration, car il roulait 20 m derrière. Il me faisait remarquer qu’il risquait la noyade. « Les pros font bien ça quand il pleut ! », objectais-je. « Les pros sont payés pour ça. » Je n’objectais plus rien.
Ainsi, bien douchés, nous arrivions sur le dernier segment chronométré, 4,35 km à 5%. En bas, à nouveau, quelques bonshommes, pas de panneau, pas de tente… En passant, on leur criait: « Chrono ? » Et ils hurlaient: « Si ! »
Alors on appuyait. On jouait le classement ! Mes 20 m d’avance sur Sam fondaient comme neige au soleil, il me dépassait en trombe. Sam était vraiment dans une forme exceptionnelle ! Malgré la lourdeur de mas jambes, je n’ai mis 7 secondes seulement de plus qu’il y a deux ans, où j’avais gagné ce segment, avec environ 15 secondes sur Sam. Cette fois-ci, il me prenait au moins 40 secondes.
Le nombre exact de secondes, on n’allait jamais le savoir, entre le Garmin naze de Sam, et… l’absence de chronométrage ! Ils s’étaient finalement décidés en cours d’épreuve qu’il n’y aurait aucun classement. Donc la tente de chronométrage n’était même plus là le temps qu’on arrive.
Mais il y avait un peu plus de ce délicieux gâteau ! Je pense que Sam commençait en avoir marre de me voire m’empiffrer à chaque ravito !
N’empêche, j’ai bien fait, car une fois de plus, je suis reparti de là avec des jambes neuves.
Au pied de la dernière descente, un autre passage presque plat, et le compteur montait toujours dans les alentours de 36 km/h.
Si bien qu’environ 5 km avant Blanes, ville départ et arrivée, nous avions de nouveau Alberto II avec son cortège en point de mire.
Il était naze, collé en danseuse sur le plat, s’empiffrant un gel pour tenir.
Je faisais remarquer à Sam qu’il essuyait la juste colère du dieu de l’apéro, à avoir sauté tous les ravitaillements, et en manquant de respect au gâteau en le fourrant sous son maillot. Franchement ! Y a pas que le vélo dans la vie, merde enfin !
Nous le dépassions alors à 40 à l’heure, il n’essayait même pas de choper nos roues.
A nous le cortège ! Moto police, voiture de directeur de course et voiture de police étaient à nous, le laissant au moins aussi paumé que je l’avais été la veille sur la promenade de la plage.
Il restait le digestif: Le Castell Blanes, une montée de 1,3 km à 8% de moyenne, avec toutefois quelques rampes à 16%. Le genre d’exercice tout indiqué pour détoxer les muscles après un effort. Je lançai mes dernières forces dans la bataille, Sam montait ça au bout de 230 km comme si c’était la balade du dimanche. Nous l’avons tout de même plié à 16,3 de moyenne, mais Sam était sur le freins, je pense.
Arrivé tout seuls tout en haut, il me restait juste assez de souffle pour un « PopoloppopopolomPoloroooo », et à ma grande joie, deux touristes qui passaient par là répondaient par un « Olé ! » appuyé.
Dernière édition par violinbodo le 14 oct. 2018, 23:34, édité 2 fois.