- 13 juin 2018, 15:35
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deuxième cas, c’est le coureur qui connaît très bien les règles et qui les enfreint en connaissance de cause. Lui, il prend le risque. Là, vous allez reconnaître le dopage de certains leaders, qui sont les coureurs les mieux encadrés. Ce sont les vrais tricheurs et la répression, la police en particulier, est la mieux à même de les confondre.
– Et la troisième catégorie?
– Les coureurs qui ont des contraintes d’emploi telles qu’ils s’imaginent que prendre des stimulants est le seul recours. On nous a cité le cas d’un coureur du World Tour qui avait grossi de six kilos. Son équipe, qui n’a rien vu pendant longtemps, s’en aperçoit. On le convoque, docteur et manager lui donnent trois semaines pour revenir à son poids de forme ou c’est la porte. Trois semaines plus tard, le coureur revient nickel et fait même des bonnes courses en fin de saison. Son directeur sportif nous raconte ça dans un entretien; deux jours plus tard, le coureur est contrôlé positif. C’est l’engrenage classique: pas de suivi, erreur de management, absence de ressources laissées à l’employé. Au final, le coureur se retrouve piégé. Un autre cas vécu: un jeune coureur est convoqué par son directeur sportif qui juge sa première saison décevante et lui dit: «Tu ne fais pas le métier.» Le coureur s’offusque: «Ah non, ce n’est pas possible de rouler plus que je ne l’ai fait cette année. J’ai vraiment bossé. Dire que je n’ai pas fait le métier, c’est insultant.» Plus tard, le coureur comprend ce que «faire le métier» veut dire dans la bouche de son employeur et il se met au niveau.
Le problème, c’est le dilemme du prisonnier dans la théorie des jeux: vous avez intérêt à tricher parce que vous ne pourrez jamais être sûr que les autres ne trichent pas. Et s’ils trichent et vous pas, vous êtes le dindon de la farce.
– Que faudrait-il incriminer: la pression financière ou la dureté du travail?
– Les deux à la fois. Un cycliste peut se doper pour avoir un meilleur contrat, ou simplement pour avoir un contrat la saison prochaine. Le dopage inhérent à la situation de l’emploi, c’est le coureur en fin de contrat qui a besoin de résultats. Entre juin et juillet a lieu le marché des coureurs. Celui qui n’a pas de contrat après le Tour de France commencera à sérieusement s’inquiéter de son avenir. Il aura beaucoup de pression durant les courses d’août et de septembre et sera plus vulnérable. Une équipe, qui teste actuellement notre cahier des charges, a par exemple mis en place un protocole d’accompagnement accru pour les coureurs dont elle entend se séparer afin de les aider à maintenir leur entraînement sans céder à la tentation. Le dopage inhérent aux conditions de travail, c’est le dopage à l’ancienne: supporter les heures de selle dans le froid, le vent, la pluie. Un coureur m’a raconté qu’il avait fait sa séance de six heures de vélo dans la neige. Il faut y aller quand même! Cela requiert un courage extraordinaire. Quand vous êtes fatigué, vous êtes tenté de courber ou de prendre une pilule d’amphétamine.
Grand Gourou