Crabtree a écrit : ↑15 oct. 2017, 20:35
Je ne suis pas d'accord à 100% avec ce qui a été dit. Par exemple, je ne pense pas que l'on puisse dire après les révélations de ces dernières années que le dopage dans les années 1980 ait été aussi "doux" que cela. Nous savons que Francesco Moser a avoué avoir recours aux transfusions sanguines juste avant sa tentative frauduleuse contre le record de l'heure d'Eddy Merckx et que ces transfusions faisait probablement toujours effet un mois et demi plus tard lors de sa victoire à Milan-Sanremo. Nous savons également que les coureurs de la PDM transfusaient également, en particulier les "grimpeurs": Steven Rooks, Gert-Jan Theunisse et Jörg Muller. D'autres se dopaient à la testostérone déjà: Adrie Van der Poel chez PDM ou alors c'était d'autres hormones comme Pedro Delgado. Philippe Bordas prétend que le cyclisme est mort en 1984 avec l'arrivée des vélos aérodynamiques de Moser et son étrange renaissance, un Laurent Fignon "deux fois plus fort qu'il ne l'était en 1983", représentant selon lui des classes moyennes et se moquant du panache d'Hinault, représentant les paysans et les prolétaires, avec l'arrivée de Bernard Tapie dans le milieu, et cetera:
http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/ru ... nault.html Je pense qu'il y a du vrai. En outre, je ne crois pas que nous pouvons isoler une année pour situer la généralisation de l'EPO dans le peloton. De 1990 à 1996, chaque année était pire que la précédente. En 1991, Edwig Van Hooydonck remportait son deuxième et dernier Tour des Flandres à 24 ans. Ses meilleurs années étaient censées être devant lui. En 1993, il ne pouvait plus le gagner mais faire dans les 10 premiers du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix, c'était toujours possible, tout comme remporter des semi-classiques. Frans Maassen pouvait accompagner Museeuw sur le Tour des Flandres, sans pouvoir le relayer bien sûr mais il faisait deuxième. Sur les Championnats du monde, Frans était aux avant-postes. Il a laissé partir Armstrong (dont on sait qu'il prenait déjà du lourd) qui était pourtant prenable. Maassen terminera dixième à Oslo. En 1995, plus rien de tout cela n'est possible ou dans tous les cas, très peu. Après un entrainement hivernal de spartiate, Edwig Van Hooydonck parvient tout de même à arracher sa cinquième et dernière Flèche brabançonne, une victoire dont il fut très fier car obtenue aux dépens de deux coureurs de l'est mais sur les classiques, c'est terminé. Même terminer dans les dix premiers, ce n'est plus envisageable. Déjà en 1994, Frans Maassen ironisait sur les performances des Italiens. Avant Milan-Sanremo, il disait (article du Volkskrant le 24 mars): "Je ne sais pas où sont les Italiens. Probablement en train de s'entrainer. Il semble qu'ils ne font plus que cela, désormais." Il terminera 155ième, lui le deuxième de l'épreuve en 1989. En 1995, il court ce qui était selon lui son meilleur Liège-Bastogne-Liège et termine 38ième à un quart d'heure de Mauro Gianetti qui a soudainement découvert qu'il était capable de gagner une classique. Frans était 18ième à un peu plus de deux minutes d'Argentin en 1991. À la fin de cette saison 1995, Frans Maassen bien dégouté tire sa révérence à 30 ans, Edwig Van Hooydonck attendra le 29 avril de l'année suivante pour faire de même. Gilles Delion arrête à peu près en même temps que Van Hooydonck. L'évolution des coureurs Lotto montre aussi une vraie rupture en 1995. En 1992, Peter De Clercq remporte une étape du Tour de France. L'année précédente, il était dans le groupe de tête au Carrefour de l'Arbre quand Madiot partit vers la victoire. En 1994, De Clercq a pu porter le maillot à poids pendant plus de deux semaines sur le Tour de France (il a même accusé Virenque de lui avoir fait une offre) mais en 1995, il fallait se battre pour suivre. Il n'était même plus question de se porter en tête du peloton, encore moins de se glisser dans une échappée et donc a fortiori de gagner quoi que ce soit. Le peloton était systématiquement en file indienne. Marc Sergeant se souvient de la première étape à Lannion. Il raconte qu'à l'approche d'un sprint intermédiaire, il se trouvait à peu près à la centième place. Une seule file, il n'y avait plus moyen de remonter une seule place. Il jetait un coup d'oeil sur son compteur: 60kmh, 62kmh. Pfiouu, cela va très vite maintenant. Et eux, à l'avant, ils étaient encore capable de lancer un sprint. Et puis, lors de la fameuse étape de Liège lorsqu'Indurain attaqua avec Bruyneel dans sa roue, Herman Frison dira: "au milieu du peloton, c'était une file! Une file!" "Tu ne pouvais plus remonter, tu ne pouvais plus rien faire sinon, simplement, rester dans la roue à bloc, à bloc et suivre." "Je n'ai jamais roulé aussi vite que sur cette étape et n'ai jamais autant souffert. Tout cela juste pour suivre. C'est alors que j'ai posé la question: est-ce que tout ceci est encore normal?" Peter De Clercq résumait tout cela en disant: "C'était simplement: épingler ton numéro de dossard et attendre le moment où tu dois lacher." Tout cela pour dire que je pense que chaque année, jusqu'en 1996, une nouvelle étape était franchie.
Je remonte le message de Crabtree, par flemme de me fader le moment nostalgie, et parce que c'est un peu les mêmes images qui me viennent quand je me replonge dans ces souvenirs. Faut déjà expliquer qu'en dehors de quelques gros furieux, nous étions quand même pas mal sevrés d'images, dans les années '80-'90, et que je guettais les résultats dans le quotidien du matin, ou dans Vélo-Magazine et Miroir du Cyclisme. Même servis par une bonne plume, les résultats, c'est aride pour mesurer l'activité et la santé d'un peloton. Comme je n'avais personne avec qui partager ma passion, et comme non-pratiquant, je ne connaissais des courses que ce que j'en voyais à la télévision, plus quelques rares passages sur le Tour Méditerranéen, Paris-Nice, Milan-Sanremo ou le Tour du Haut-Var. J'ai été déniaisé
en 1990 (je n'avais pas loin de 20 ans), quand un pote m'a parlé du décès d'Oosterbosch, même si l'affaire PDM + Delgado m'avait déjà profondément marqué, mais je rejoins Crabtree sur le sentiment que les années Tapie, strass et paillettes, ont marqué un sacré virage dans la perception qu'on avait de ce sport (l'opposition anthropologique Hinault-Fignon me paraît très judicieuse). Comme j'avais autre chose à construire qu'un regard sur le cyclisme, en dehors d'un profond dégoût pour l'armada Banesto et son quinquennat, c'est la Gewiss-Ballan '94 et l'histoire de caféine de Bugno qui m'ont dessillé les yeux. Il y avait déjà des papiers sur l'EPO, mais là on commençait à voir de visu des trucs complètement irréels. Notamment dans l'aplomb des coureurs, des nouvelles comètes. Je reconnais avoir été (modérément) dupé par les numéros de Chiappucci, mais je n'étais pas dans l'arène, et il n'y avait pas de forum... '93-'94, c'est à ce moment-là que j'ai commencé à parler de catch et arrêté de tenir mes petits palmarès. Honnêtement, '98 ne m'a pas du tout étonné: je pensais simplement qu'après un tel scandale, ce sport subirait un aggiornamento radical, et j'ai vite été déçu. C'est juste un sentiment, hein, nourri peut-être par l'âge et le res-sentiment, mais il y a des éléments qui me renvoient à cette triste EPOque, notamment l'impression que certaines équipes ne pratiquent pas le même sport que les autres. (Pardon pour le ton candide mais sincère du message)
Pour un cyclisme d'avant-guerre, sauvagement beau, entre Carniole, Cantabrie et Bouches-du-Rhin (avec quelques Abyssins), sans laborantins, dollars, UCI, 4x4 et gagne-petits.